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let me follow — letha&leander

Letha Bulstrode
Letha Bulstrode
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Âge : 25 ans
Occupation : Pigiste et écrivaine
Head : let me follow — letha&leander Tumblr_inline_pqujo0Qvev1t8bm8b_250
Habitation : 15 place d'Aphrodite, Chelsea, Londres
Messages : 9
Date d'inscription : 26/03/2024
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LET ME FOLLOW
ft. leander bulstrode


TW mariage forcé @Leander Bulstrode

Dans l’ombre de la cage d’escalier, la porte lui apparaît menaçante.

Elle a l’impression que des heures entières se sont écoulées depuis que ses pieds l’ont conduit là, sur le seuil. Des heures que son poing serré se lève et s’abaisse pour frôler le bois froid avec hésitation, et que son cœur bat furieusement dans sa gorge.

Un simple coup, un léger claquement contre le bois ; c’est tout ce qu’il suffira. C’est étrange, vraiment, qu’un gouffre infranchissable puisse être comblé par un geste si anodin.
Depuis combien de temps n’a-t-elle pas vu son visage ? Letha aimerait prétendre qu’elle ne le sait pas. Elle aimerait pouvoir penser avec détachement, peut-être quelques mois, ou bien quelques années, sans qu’aucune date ne s’impose à son esprit avec la clarté et la lucidité qu’on accorde aux souvenirs importants.

Deux ans, trois mois et dix jours.

C’était un accident, une rencontre fortuite dans un de leurs rares cercles communs. Lorsqu’il avait tenté de lui adresser la parole, Letha s’était détournée, arborant l’air absent qu’elle arrive si bien à modeler sur ses traits nobles. Elle avait fait mine de s’intéresser à tout sauf à lui, ignorant soigneusement le son de sa voix, refusant de croiser le bleu de ses yeux ; ceux qu’elle observe tous les jours dans le miroir. Alors Leander avait lâché prise, comme il le faisait toujours avec sa sœur, car il sait d’expérience qu’au royaume de l’entêtement, c’est elle, la reine. Que toute tentative de combattre son opiniâtreté est vouée à l’échec. Alors il l’a laissée dans ses faux semblants, et ce jour-là, Letha ne lui a jamais pardonné de ne pas avoir essayé un peu plus fort.

À vrai dire, il y a beaucoup de choses qu’elle ne lui a pas pardonnées.
Son départ. Ses silences. Sa différence.
Plus que tout le reste, son absence.

Et voilà que c’est elle qui vient à lui. De sa propre initiative.

Les lèvres serrées en une fine ligne pâle, Letha compte dans sa tête, un, deux, trois, et lorsque le son du coup frappé résonne dans le couloir, son expression tourmentée laisse sa place à un calme désinvolte, délicatement ciselé. Elle reste là, statufiée, jusqu’à ce que la porte s’ouvre et que la lumière baignant l’appartement de Leander se déverse dans le couloir glacé. Aveuglée, elle cligne des paupières le temps que ses yeux fassent le point sur des traits familiers. Son cœur, le traître, loupe un déchirant battement, brièvement arraché de sa poitrine et grossièrement remboité. La douleur, vive et aiguë, la surprend.

Leander la dévisage sans ciller. Le choc se lit sur son visage, mais plus les secondes passent et plus il devient imperceptible. Maîtrisé. Habilement lissé par une existence d’apprentissage en faux-semblants.

— Lettie ?

L’espace d’un instant, le masque de Letha menace de flancher. Elle doit s’y accrocher de toutes ses forces pour l’empêcher de glisser et de révéler l’horrible rictus qui pointe aux commissures de ses lèvres. La colère qui gronde dans son ventre la rend fébrile. Au moindre relâchement, elle se déversera en un flot torrentiel et l’engloutira sous ses eaux tumultueuses, entraînant avec elle les derniers fragments de sa dignité. Sauf qu’elle ne cédera pas, Letha. Plutôt mourir que de le laisser entrevoir ne serait-ce qu’un quart de l’étendue de sa vulnérabilité.

Il suffit de les regarder, tous les deux, murés derrière leurs yeux couleur banquise, pour réaliser que le sang qui coule dans les veines de l’un coule indéniablement dans les veines de l’autre.

Sans un mot, Letha s’introduit dans l’appartement, bousculant sans ménagement l’épaule de son frère au passage. Elle promène son regard sur la pièce principale, sur les meubles d’un autre temps, le papier peint qui se décolle, le tapis rongé aux mites, et les dizaines de livres ouverts qui s’entassent sur un petit écritoire. Elle n’a pas besoin de s’approcher pour en deviner le contenu ; et même si son instinct n’était pas suffisant, impossible de louper le petit croquis fraîchement gribouillé dans la marge de l’une des pages. Deux cornes, des écailles violettes, de longues griffes.

— Ça fait quoi de vivre dans un taudis ? s’enquiert-elle, la voix traînante et légère, tandis qu’elle s’aventure vers les fenêtres donnant directement sur la pierre du bâtiment voisin. Est-ce que tu as choppé des maladies ? Des poux, peut-être ?
— Qu’est-ce que tu fais là ?

Il sait exactement ce qu’elle fait là. Elle le voit à ses épaules tendues et la veine qui tressaille sur sa tempe. Elle ne se laissera pas duper par son ton tranquille, comme si sa présence ici ne représentait pas une nuisance. Non, elle le connaît mieux que ça. Elle pourrait même se targuer de le connaître mieux que quiconque. Cette pensée, aussi douce qu’amère, lui apporte un peu de réconfort. Le sentiment d’avoir l’ascendant sur le reste du monde.

— Si j’avais su que tu finirais par vivre comme un rat, lance-t-elle, poussant du bout du doigt une vieille horloge mécanique qui s’écrase sur le sol dans un tumulte agonisant.
— Arrête ça.
— Arrête quoi ?

Une lueur vicieuse danse dans les yeux de la jeune Bulstrode. Elle crève d’envie de le forcer à se délester de son calme d’apparat, de le provoquer jusqu’à ce que quelque chose en lui se fissure et que tout vole en éclat.

Sans le quitter des yeux, Letha s’approche d’une étagère et avec une lenteur exagérée, y déloge un cadre vide qui explose en mille morceaux de verre sur le tapis. Malgré ses mâchoires contractées, Leander se contente de laisser échapper un faible soupir.

— Tu es juste venue détruire mon appartement ?
— Je fais un peu de ménage.

La main de Letha s’aventure dangereusement en direction du pot d’encre noire posé sur l’écritoire, mais avant que ses doigts aient pu le frôler, Leander s’est approché à grandes enjambées pour attraper fermement son poignet. Satisfaite, elle le gratifie d’un sourire de travers qui exsude toute l’insolence dont elle sait faire preuve.

— Arrête ça, siffle Leander, et cette fois-ci, il y a de l’agacement dans sa voix.

Elle se contente de sourire, la vipère. Puis, d’un bref mouvement du menton, elle indique le parchemin posé près du pot d’encre. Celui qui, bien qu’insignifiant au premier coup d'œil, se distingue par un détail significatif.

Un aigle blanc.
Le sceau des Bulstrode.

— Elle est très jolie, tu sais. Ta fiancée.

À l’entente de ce mot, Leander tique, raffermissant brièvement sa prise autour du poignet de sa sœur avant de la lâcher.

— Je n'ai pas de fiancée.
— Ta future fiancée, appelle-la comme tu veux, rétorque Letha en battant l’air d’un revers de main indifférent. Le résultat sera le même.
— Je ne compte pas l’épouser, et tu le sais très bien.

Il tente de s’éloigner, mais cette fois-ci, c’est Letha qui le retient. Elle plante les ongles dans la chair de son bras, son regard de glace soutenant le sien.

— Est-ce que tu te rends compte que c’est le dernier maillon qui te relie à eux ? Ils vont te déshériter, Leander, et pour de bon cette fois-ci.
— Je ne sais vraiment pas ce qui t’a donné l’impression que j’en avais quelque chose à faire, réplique l’intéressé d’un ton sardonique. Regarde autour de toi, Letha. Je me fiche de leur argent.

Elle a envie de hurler, Letha. De le secouer, de le frapper, de lui faire comprendre que la vie n’est pas un fichu conte de fées. Qu'il n'y a que les demeurés qui fuient l'argent et le pouvoir pour partir à la recherche du bonheur. Le bonheur, cette notion chimérique, placebo pour esprits faibles.

— La question que je me pose, reprend Leander avant qu’elle n’ait eu le temps de prononcer le moindre mot, c’est plutôt ce que ça peut bien te faire à toi.

Évidemment que la question allait finir sur le tapis. Ce n’était qu’une question de temps. Ravalant son venin, Letha se détourne avec raideur pour s’emparer de la lettre frappée du sceau de sa famille. L’écriture anguleuse, aux boucles serrées et syllabes déliées, est reconnaissable entre mille. Au bas de la page, un large “V.” signe la missive sans autre forme de procès. Madame Bulstrode ne s’est jamais étendue en formules de politesse, encore moins en témoignages de tendresse. Il aurait fallu pour cela qu'elle en ait jamais été pourvue. Le jour maudit où Vesta ouvrit les yeux sur ce monde qu'elle cherchera à dominer, la fée préposée aux bons sentiments refusa purement et simplement de se pencher sur son berceau.

— Jeanne Duval est un bon parti, déclare Letha, jetant la lettre sur le bureau d'une torsion méprisante du poignet.
— Depuis quand tu te ranges du côté de Mère ?
— C'est triste à dire, mais la vieille catin n'a pas que des mauvaises idées.

Leander roule des yeux, s’éloignant de sa sœur pour se poster devant la fenêtre. Le calme placide qu’il arbore a beau feindre le désintérêt, sa posture rigide et défensive est loin de la tromper. Faut-il vraiment le rappeler ? Elle le connaît si bien. Elle pourrait tracer chacun de ses chemins de pensées du bout des doigts, aussi facilement que si elle suivait les contours de son visage. Elle sait tout de ses travers, de ses faiblesses, de ses plus grandes peurs. Les êtres qui nous sont chers sont les plus faciles à manipuler, et s’il subsiste une réticence dans le cœur gangréné de Letha, elle sait très bien qu’elle ne s’arrêtera pas.

— Tu veux savoir pourquoi je fais ça ? Parce que si tu refuses, ce sera sur moi que retombera tout ce que tu as fui. La garce a tout prévu. Il me forceront à épouser Ned cet été, et cette fois je ne pourrai plus y échapper. Tu sais que je ne peux pas vivre sans leur argent.

Elle reprend son souffle, laisse passer un temps, puis deux. Tout est parfaitement mesuré.
Elle s’improvise maîtresse de son propre orchestre d’égoïsme.

— Je serai piégée, mais qu’importe ? Tu seras libre.

Pendant un temps qui lui semble s’étirer sur des heures entières, Leander ne bouge pas. Rien dans sa façon de se tenir ne laisse indiquer qu’il a même entendu ce qu’elle vient de lui asséner. Jusqu’à ce qu’il finisse par se retourner et croiser son regard. Sur ses traits affaissés, il n’y a plus que de la résignation. La résignation d’un grand frère à qui l’honneur n’a jamais fait défaut.

La manœuvre est odieuse, mais Letha garde le silence. Elle ne ravale pas ses mots. Non, elle garde le menton bien haut, le dos bien droit, et soutient le contact. Pourtant, en elle, quelque chose s’est fissuré. La part d’espoir qu’il lui restait en sa propre humanité, peut-être. Seul un monstre peut condamner le seul être qu’il aime à une vie en captivité dans le seul but de s’en préserver.

— Je la rencontrerai, mais je ne promets pas de l’épouser, finit par répliquer son frère entre ses dents serrées.
— C’est tout ce dont on a besoin pour l’instant.

Elle sait ce qui lui reste à faire. Le conduire au Croissant Salvais, à Jeanne. Tirer les ficelles jusqu’à ce qu’il cède et le regarder danser comme un pantin, le regard vide et éteint, pour le restant de ses jours. Facile.

À condition de survivre à sa propre ignominie.