Le deal à ne pas rater :
Cartes Pokémon EV6.5 : où trouver le Bundle Lot 6 Boosters Fable ...
Voir le deal


be a fool ⎯ althem

2 participants
Althea Lovegood
Althea Lovegood
Admin

Onglet 1
Âge : 25
Occupation : Joaillière
Head : be a fool ⎯ althem 21c29054d0a8d9b604e39302a7641e83
Messages : 10
Date d'inscription : 26/03/2024
Onglet 2

   


be a fool ⎯ althem 4k6nwuyf

stars, hide your fires
ft. guilhem verrier
28 avril 1949 ⎯ New york ; Metropolitan museum of art

TW alcool, misogynie, drogue

Place d'Aphrodite ⎯ 11:27

Les nuances rougeâtres du soleil effleurent ses traits encore endormis.
Ils soulignent les aspérités de son visage apaisé par la douceur d’une nuit qui s'achève. Cette dernière n’était pourtant pas de celles qui laissent des stigmates mémorables ; si ce n’est la douleur sourde qui s’installe progressivement dans son crâne. Pour tout avouer, c’est à peine si elle a conscience des heures passées, son esprit encore embrumé par les vapeurs de l’alcool, par le son des rires, des éclats de voix qui se mêlent et se rencontrent sans que les propos ne parviennent à s’ancrer dans son esprit enivré. Si Althea peine à se souvenir, encore perdue dans des rêves aux images nébuleuses, elle garde pourtant l’empreinte de ce bonheur fugace. Il se voit dans le léger soulèvement de ses lèvres, dans le rouge de ses joues, dans l’étincelle indistincte qui se dissimule derrière ses paupières closes.
Pourtant, la soirée n’avait pas commencé de cette façon. Elle se souvient de ses prémices, le cœur au bord des lèvres et l’âme abîmée par le manque de son amant. La présence de Hafsa avait beau l’avoir sortie de cette torpeur larmoyante, elle ne voulait pas affronter le monde sans lui. Ses pensées étaient accablées par l’idée qu’il passerait, une nouvelle fois, la soirée dans un autre pays, aussi loin d’elle que les six dernières nuits ; agressées par le manque et l’absence qui étiraient leurs branches.

Quatre mois. C’est le temps qu’il s’est écoulé depuis qu’il a décidé de quitter les rues parisiennes, de déserter la capitale française pour une ville dont elle ne connaît rien, si ce n’est quelques images brièvement attrapées lors de sa dernière visite. Naples, la belle Naples et ses allées, ses embruns au goût de sel et ses nuits enfiévrées. Quatre mois de soirées napolitaines, à errer dans des endroits embrumés par les vapeurs de l’alcool. Quatre mois de réveils, à s’aimer et à se quitter, à s’embrasser sans savoir quand seront les prochains baisers. Peut-être que, durant un temps, durant des journées éphémères, des secondes passagères, elle a aimé ça. Partir et le retrouver. Parce qu’ils ont pu apprendre à se manquer, à ressentir cette absence et l’euphorie de leurs retrouvailles. De son cœur qui se brise en un millier d’éclats dorés à chaque fois qu’elle revient sur le chemin de ses iris d’aniline.

Mais Althea a vu. Elle a vu la façon dont il s’attache, dont il évoque des moments de sa vie où elle n’est pas — où elle n’est plus. Et dans le creux de son esprit, l’amertume est venue s’installer. Elle s’est mise à mépriser l’évocation de ses nuits, de ses jours à s’accaparer les cieux. De ses instants où elle n’est que le témoin de son existence, de ce bonheur dont elle n’est plus la cause. Et si la frénésie de leurs retrouvailles comble les interstices mélancoliques de cette existence, ils reviennent s’abattre sur elle dès que leurs corps s’éloignent, que leurs doigts se délient — que le froid revient envahir la chaleur de son être.
Il y a une semaine, il lui a annoncé un tournoi à l’étranger, il lui a dit qu’il ne serait plus disponible pendant quelques jours, perdu aux tréfonds du Japon et la vélane a acquiescé. Elle a même prétendu que les heures passées, les jours qui allaient se dérouler sans qu’il ne soit à ses côtés ne seraient que des instants de paix. Lui-même a prétendu y croire, qu’importe à quel point leurs doigts ont eu du mal à se libérer, et à détacher leur étreinte. Mais la vérité, c’est que ça lui a semblé être une épreuve plus dure à surmonter que la traversée d’une montagne enneigée, parce que le pire dans leurs séparations sont les nuits où il n’est pas là.

S’endormir sans Guilhem est un tourment pour la vélane ; elle qui s’est toujours laissée plus facilement capturer par Morphée quand il est là pour la conduire jusqu’à lui a dû réapprendre à se laisser aller. Son absence la dévore, il ancre sous ses yeux des tracés violets. Le pire reste pourtant sa présence constante dans son esprit, celle qui ne fait que rendre l’existence d’Althea plus détestable encore. Parce qu’il est là à chaque fois, il submerge chacune de ses pensées. Chaque seconde de ses journées ternes est vouée à son image. À ses questions qui ne trouvent aucune réponse. Elle tente de deviner ce qu’il fait, est-ce que le soleil caresse son visage avec la même douceur qu’il peut le faire avec le sien ? Est-ce que la pluie qui s’abat parfois contre ses fenêtres vient également le frapper de plein fouet ? Elle se demande si ses nuits d’ivresse le pousse à oublier leurs promesses, leurs baisers enfiévrés qui disparaissent derrière des danses endiablées, là où son nom se fait souvenir d’une vie passée. Elle y pense, Althea, derrière la confiance qu’elle lui accorde, elle y pense constamment, aux yeux papillonnants des femmes et des hommes qui le voient effleurer les cieux et danser à travers les nuages et les étoiles. Comment ne pas les comprendre, ces êtres qui pensent qu’ils peuvent l’atteindre et l’arracher à ses doigts. Elle y pense quand elle se réveille et qu’elle se demande si, sur ses lèvres, il a encore la marque d’un rouge à lèvre usé, s’il porte encore le parfum bon marché d’amants de passage. Chacun de ses doutes est une nouvelle lame enfoncée dans son cœur ; une qu’elle voudrait pouvoir déloger en un battement de cils, parce qu’elle sent au fond de son être qu’il n’a rien fait. Althea le sent quand ils se retrouvent, quand leurs étreintes dévoilent la douleur de leurs absences.
Mais la peur est tenace, et dans son ventre, elle se fait insatiable.

Alors Althea a commencé à sortir, à imiter les soirées où elle n’est pas. Elle s’est faite nymphe dans des bars anglais, aux bras de Hafsa. Elle a commencé à prétendre que le manque ne lui retourne pas le ventre, que lorsqu’il part et qu’elle sait que les jours sans lui seront trop nombreux, elle n’a pas l’impression de suffoquer. Comme si ça suffisait pour qu’elle cesse d’avoir l’envie de s’effondrer. Et puis Althea s’est même dit que ça n’avait pas trop d’importance, si dans son ivresse, il n’y avait pas que Hafsa, si des visages se sont raccrochés à elles. Celui de James, de Simon, d'Auguste. Peut-être qu’avec eux, elle parvient à oublier qu’une part de son cœur n’est plus à portée de ses doigts.
La nuit dernière, c’est Hafsa qui a proposé qu’elles se retrouvent — pardon, qu’ils se retrouvent. C’est la sorcière qui a évoqué l’idée de lui offrir une soirée digne des plus grandes, de celles qui vous capturent l’esprit et vous font oublier les instants les plus sombres. Si elle a été tentée de refuser, Althea a cédé, ne serait-ce que pour faire passer les dernières heures sans lui plus rapidement. Elle se souvient alors des premiers verres, des premiers instants, des premiers rires. Et puis de la noirceur tout autour d’elle et d’avoir sombré lorsque les verres se sont fait plus nombreux — trop nombreux. Elle se souvient même que sur la table, Auguste a glissé une poudre blanche et qu’elle n’a pas pensé aux conséquences, que la vélane a juste voulu oublier, pendant un instant, que la seule présence qu’elle désirait n’était pas à ses côtés.

Malgré sa débauche, la nuit a su atténuer la noirceur de ses cernes et combler la rougeur de ses yeux. De ses instants solitaires où elle ne parvient pas à trouver le sommeil, celles où elle prétend que, à travers les plis de ses draps de soie, l’effleurement de ses doigts contre sa peau, la douceur de ses caresses, de son souffle qui s’emballe jusqu’à ce que le sommeil vienne la capturer de son étreinte suffit à combler le vide dans son cœur.

Contre son bras, c’est la présence d’un autre qui la pousse à émerger et à oublier ses pensées sombres. C’est le contact de nouvelles lèvres contre son épiderme qui viennent dessiner sur ses traits l’empreinte d’un sourire léger, encore ensommeillé, un sourire éreinté par une grimace qui s’installe quand la douleur lui vrille le crâne. Si elle ne bouge pas, la morsure légère qu’elle subit lui arrache pourtant un râle avant qu’elle ne se retourne, dos à l’inconscient qui ose briser sa volonté de se rendormir, de se laisser aller à d’autres rêves, où ses réveils se font avec lui. Mais le feulement qui résonne dans la pièce ne fait que lui confirmer qu’elle ne pourra pas se rendormir avant d’avoir nourrit l’insolent qui lui grimpe dessus pour frotter son museau contre son visage, réclamant quelques caresses, avant d’être servi — tel le prince qu’il est.

Tu es aussi agaçant que ton père, j’espère que tu le sais, Marmotte la vélane aux yeux clos en cédant, ses doigts effleurant la fourrure de l’animal. Même si tu restes beaucoup plus doux…
—  J’espère que je n’interromps pas quelque chose qui serait aussi gênant pour toi que pour moi.

La voix qui brise la quiétude de la pièce est un supplice. Elle possède des intonations détestables, qui irritent ses oreilles et lui arrachent une grimace. Althea ne prend pas la peine de dissimuler son agacement lorsqu’elle se redresse et qu’elle dépose son regard nébuleux sur le visage amusé de sa benjamine. Les deux sœurs offrent alors un contraste plus saisissant que jamais : Althea, avec ses cheveux défaits et ses traits chiffonnés, fait face à l’élégance parfaitement composée de Félicie.

Comment est-ce que tu es rentrée ? Bougonne l’endormie.
Ton petit ami m’a ouvert, Répond la plus jeune en s’avançant pour ouvrir la fenêtre, laissant l’air frais s’insinuer dans la chambre. Je dois avouer ne pas être étonnée que Guilhem se soit lassé. Le nouveau semble beaucoup plus… Accessible. Il me fait d’ailleurs penser à quelqu’un dont je ne parviens pas à retrouver le nom…
Félicie… Grogne Althea en tirant la couette sur sa tête.
On s’est déjà croisés, lui et moi ? Reprend Félicie en ignorant l’agacement de sa sœur. John, c’est bien ça ? Ou alors Jacques..
Félicie, tais-toi, par pitié.

Le bonheur de la nuit passée parvient à se faire oublier lorsque Félicie se met à parler, à avancer dans sa chambre comme si l’endroit lui appartenait. Althea a beau ne pas la voir, elle peut sentir le coin du lit s’affaisser sous son poids, ainsi que le regard perçant qu’elle doit déposer sur la chambre, celle qui ne doit pas lui sembler être à la hauteur de sa prestance. Par tous les saints qu’à cet instant précis, Althea a envie de l’achever, de faire disparaître le sourire qu’elle ne peut voir mais qu’elle ressent. Qu’importe si elle même n’est plus qu’un maudit tas formé sous une couette plissée, dans l’espoir que cela puisse l’aider à se fondre à travers son matelas.


Je ne voudrais pas te contrarier, mais tu sembles avoir une mine épouvantable et l’odeur qui règne ici… Reprend Félicie avec douceur. Si mère te voyait, elle…

La phrase est interrompue par le coussin qui vient s’abattre sur son visage et qui arrache à Félicie son air suffisant. La victoire est toutefois courte, car la benjamine n’attend pas pour se venger. L’eau qui vient alors frapper la silhouette d’Althea est glacée. Elle ruisselle contre son corps tandis qu’elle se lève dans un bond, en récupérant la baguette qui trônait sur sa table de chevet. La plus jeune est plus rapide, elle s’échappe de la chambre avec un éclat de rire solitaire, évitant de justesse la mâchoire d'un Titus trempé, qui se referme à proximité de son poignet.

Si Althea la suit, elle s’arrête pourtant brusquement devant la scène qui se dévoile sous ses yeux. Près de la fenêtre, James se tient debout, une tasse de café à la main. Il est plongé dans une discussion animée en compagnie de Hafsa, dont l’apparence ne laisse pas supposer la fugacité de sa nuit. Mais c’est sur la carrure d’Auguste, celle qui dissimule le corps frêle de Félicie, qu’Althea s’arrête le plus longtemps. L’idée même que Guilhem aurait pu rentrer dans la pièce avant elle et tomber sur lui arrive presque à lui faire oublier ses vêtements trempés et la colère qu’elle ressentait envers la plus jeune, quelques instants auparavant.


Qu’est-ce que vous faîtes encore là ? Maugrée Althea à l’attention de ses convives, et principalement de l’homme face à elle. Vous n’avez pas d’autres gens à aller voir ?
Bonjour à toi aussi Althea, Répond la voix de James derrière elle. Tu es rayonnante ce matin.
Elle est toujours aussi désagréable ? Ose demander Félicie, arrachant à Auguste un sourire en coin. Je comprends que tu sois parti.


Bien que la vélane lui offre un de ses regards les plus mauvais, c’est seulement par le silence qu’elle répond. Ses mots ont quitté le pas de ses lèvres, ne laissant leur place qu'au fracas régulier dans son crâne. Sans un bruit, elle passe devant eux, usant de tout son flegme pour récupérer une tasse de café, comme si les contrariétés n’étaient qu’un détail dans la solitude qu’elle prétend.

Le feulement de Titus dans son dos répond à sa colère matinale, à son envie de retourner s’allonger sous les draps pour oublier cette matinée qu’elle méprise avant d’en avoir passé les premières heures. Peut-être même que ça étire le coin de ses lèvres, dans une mascarade d’amusement. Mais alors qu’elle se retourne, la présence de l’animal dans les bras de James la pousse à lever les yeux au ciel.


—  Sale traître, débrouille-toi avec lui pour avoir à manger, Souffle-t-elle en se laissant tomber sur son canapé, ses jambes allongées sur le sofa et son visage fermé. Est-ce que je peux au moins savoir, ce que ma soeur adorée fait à Londres ?
Je suis venue te prévenir que je viens avec toi au gala.
De quoi est-ce que tu parles…


L’attention d’Althea est détournée par la présence de Hafsa à ses côtés. Celle-ci repousse les jambes de la française pour s’asseoir, puis attire à nouveau ces dernières sur les siennes. Comme si elle savait que la conversation à venir allait arracher à la vélane le calme qu’elle prétend posséder.


— Mère a su pour le Mus Gala, elle pense que c’est une bonne occasion pour moi de trouver un parti acceptable, Répond Félicie. J’y serai au bras de Thomas Bridgerton, le fils de l’organisateur.
Grand bien te fasse Félicie, que veux-tu que je te dise ? Soupire Althea avec lassitude.
Tu pourrais me féliciter, Rétorque la plus jeune. De plus, mère tenait à ce que tu saches que si tu comptes faire des esclandres, elle fera en sorte que tu n’aies plus accès à tes rentes.


Dans la pièce, le silence s’est fait.
Seule Félicie semble ne pas remarquer le trouble qui s’est installé et le volcan qui menace de venir briser la prétendue sérénité de l’endroit. Althea refuse que les rares moments qu’elle peut partager avec son amant se fassent sous l'œil inquisiteur de sa benjamine et de sa langue acérée. Depuis le jour où Guilhem l’a invitée à venir à son bras, la vélane s’est imaginée l’esprit enivré par leurs retrouvailles. Par leurs êtres qui s’élancent et qui dansent au milieu des regards intrigués de ceux qu’ils ne connaissent pas. Dans la ville où tout est possible, elle  a songé à tous les endroits où ils pourraient s’égarer, là où les immeubles touchent le ciel et où les étoiles ne sont que bien fades face à la beauté des lieux. Elle ne s’est pas imaginée être surveillée, ni devoir dissimuler le besoin qu’elle ressent d’être sienne. La vélane tente pourtant de ne pas montrer sa rage, d’étouffer dans les tréfonds de son cœur toute la colère qui la ronge. Ça lui semble injuste, ça lui semble cruel, mais elle s’enferme dans un nouveau silence. Peut-être que dans le fond, elle s’en moque. Parce qu’elle sait qu’ils parviendront à échapper à cette présence impromptue.


— Tout de même… Reprend-elle pourtant. Je suis étonnée que tu viennes. Je pensais que tu serais plus occupée à Paris et que d’autres personnes t’attendaient là bas, comme par exemple Isidora.
Althea, la ferme.


Les joues albâtres de la blonde se sont teintées de rose, ou peut-être ont-elle, au contraire, perdu de leurs couleurs. Si l’attaque est petite, le fait que Félicie n’ait plus rien à dire et que ses mots se soient échappés de sa bouche infâme est une récompense suffisante aux yeux d’Althea, peu importe le regard que lui offre James et qu’elle ignore derrière une gorgée de sa tasse à café.


— Pourquoi devrais-je me taire ? Interroge Althea. Je ne suis pas responsable de ton incapacité à assumer tes penchants.
Malgré cette ambiance extrêmement chaleureuse…, Lance Auguste en haussant le son de sa voix, rompant le silence lourd qui commençait à s’installer. Je vais y aller… C’était un plaisir de te revoir, Félicie.


Le français repose alors sa tasse sur la table avant de s’en aller, laissant Althea à ses songes. Car si la répartie de la jeune femme était mesquine, elle sait que le silence de sa benjamine laisse présager le pire.

Brisant en milliers d’éclats les rêves de conte de fée que laissait présumer sa soirée.

Metropolitan Museum of Arts, ⎯ 20:08

Mus Gala, l'Art Sauvage


Ce soir-là, l’endroit moldu porte un costume plein de magie. Althea la ressent jusqu’aux vibrations qui parcourent ses veines. Elle pourrait même la deviner les yeux clos, mais les fermer reviendrait à effacer la beauté du bâtiment qui lui fait face. La grande façade, auparavant blanche, est ici emplie de roses qui se meuvent en ornement le long des murs, elles éclosent et se ferment dans des boutons dorés. Les teintes pastels se mêlent aux reflets d’or des cheveux des muses qui se déplacent dans un ballet silencieux ; c’est un spectacle éblouissant, qui comble l’étincelle des iris de la vélane d’un tourbillon d’étoiles. Althea n’a plus de mots. Celle dont la verve semble d’ordinaire insatiable n’arrive pas à exprimer ce qu’elle ressent face à ce qui se dévoile devant ses yeux émerveillés. Elle n’a même pas su répondre aux propos de Félicie quand cette dernière a découvert sa tenue.

Outrageante, c’est le mot dont elle a usé lorsqu’elle l’a vue arriver, sous les yeux effarés de son cavalier. Althea ne peut pas prétendre que ce n’était pas ce qu’elle espérait, elle dont la tenue est recouverte de véritables pétales qui ne dissimulent que le minimum exigé par la décence. Mais Althea s’est contentée d’ignorer les reproches de sa benjamine, de l’ignorer tout simplement, elle et ses faux sourires, ses rires qui n’expriment qu’un bonheur surfait quand elle parle à l’homme à son bras. Elle n’a qu’à peine accordé d’intérêt aux mouvements de sa robe parme quand elle s’est éloignée. Au-milieu de la foule éparse, personne ne semble se soucier des détails de sa tenue. Les invités se pressent aux abords de l’entrée, ils montent les escaliers lentement pour se retrouver, durant un instant, sous le feu des projecteurs. Les sorciers sont nombreux et pourtant, les hommes et les femmes qui marchent le long des trottoirs alentour ne semblent pas les remarquer. Ils avancent sans apposer leurs regards sur l’étrangeté des tenues de ces semblant de célébrités, dont certains détails se déplacent à travers les tissus et dont les couleurs vives attirent l'œil. Pour tout avouer, elle même ne semble pas prendre conscience de la présence des autres.

Son regard ne cherche qu’un visage qui ne semble pas vouloir apparaître.

Son esprit parvient presque à lui faire croire que cette absence est normale, qu’il n’est pas venu parce qu’il n’en avait plus l’envie. Que la semaine passée a suffit à lui rappeler ses désirs de liberté. Une part d’elle se prépare à cette souffrance là, elle commence à ressentir la poigne qui se referme autour de son cœur, prête à le compresser jusqu’à ce qu’il ne soit plus que poussière sur le sol de cette ville inconnue. Mais à l’instant où son visage apparaît dans les lumières factices de la ville, ses doutes s’échappent.

Malgré les ombres et la foule, elle reconnaîtrait entre mille sa démarche, ses traits, le sourire qu’il dévoile en croisant ses prunelles. Et son cœur, Althea, elle pourrait jurer qu’il a manqué un battement ou peut-être deux. Peut-être même qu’il a dégringolé aux tréfonds de son ventre, parce que Guilhem est là et qu’il est sublime dans le costume sombre qu’il porte et dont les ornements rappellent à Althea une soirée des plus animées. Plus il s’approche, plus elle reconnaît les détails du tableau volé. La rose tranchante se dévoile dans de lents mouvements, imbriquée entre du noir et du bordeaux, du rouge qui se glisse et se perd dans des filaments d’or qui trouvent échos dans sa main dorée. La jeune femme se noie dans sa propre fascination, elle contemple son ensemble et la beauté de son amant et, alors, les secondes arrêtent de s’écouler. La terre ne tourne plus, les bruits du monde se font silence parce qu’elle s’élance au mépris de la foule autour d’elle. Elle se jette dans ses bras sans se soucier des pétales de sa robe et de la volupté transparente de ses drapés.

La vélane n’a pas besoin de parler pour lui dévoiler la joie qu’elle ressent, elle n’a pas besoin d’un bonjour ou d’entendre résonner le son de sa voix, seules les effluves de son parfum sont présentes dans son esprit, ainsi que ses lèvres qui rejoignent les siennes —  qui se fracassent contre celles qu’il lui offre. Seuls les bras de Guilhem empêchent sa silhouette frêle de basculer en se refermant autour de son corps. Peut-être ont-ils l’air ridicules ainsi accrochés, tels deux âmes qui se retrouvent après des années, mais Althea s’en moque. Elle se fout des regards qui peuvent se déposer sur eux. Elle ne ressent que ce soulagement, ce souffle de vie qui revient enfin combler le vide dans ses poumons.

Non, sans méprise, ce n’est pas un baiser qu’elle lui offre, c’est son être, son âme, c’est la passion de leurs retrouvailles qu’elle exprime en s’accrochant à lui, par peur qu’il ne s’éloigne. C’est un sentiment d’aniline, comme ses pupilles qu’elle dissimule derrière ses paupières closes, c’est la caresse de leurs respirations étouffées, c’est l’éclat de leurs souffles et de ce désir qui gonfle dans son être. Que la décadence soit dévoilée devant le regard des curieux car Althea refuse de le lâcher. Lorsque ses doigts se mêlent à ses cheveux, qu’ils disparaissent dans leur noirceur, que ses doigts s’agrippent à sa chemise, elle ne peut nier qu’il n’existe plus que lui.

Bonsoir mon ange… Souffle-t-il contre ses lèvres.

Et le simple mot qu’il laisse échapper se perd à travers le battement irrégulier de son cœur dans ses oreilles. Rendant le désir de le retrouver plus grand encore. Elle a besoin de sa présence. Qu’elle consume son corps. Même le rire qu’il laisse échapper arrive à être en trop. D’autant plus lorsqu’il le pousse à s’échapper à la portée de ses lèvres pour glisser son visage dans le creux de son cou, la privant de la chaleur de ses baisers.


— L’idée de te faire l’amour ici même ne me dérange pas… Souffle Guilhem contre son épiderme. Mais je crois qu’on nous regarde…
Depuis quand est-ce que ça te dérange ? S’agace-t-elle.
Disons que Félicie a un regard perçant…


La frustration que la vélane ressent s’échappe dans un râle à l'instant même où elle se détache de lui, brisant alors la chaleur qui envahissait son esprit, sans pour autant réussir à la faire disparaître. Althea détourne son regard des lèvres encore gonflées de son amant pour retrouver le chemin du visage fermé de sa benjamine, elle dont le cavalier murmure des paroles à son oreille, avec un air offusqué qui arrache à Althea un nouveau soupir.


— Son compagnon est le fils de l’organisateur… Finit-elle par dire en reportant son attention sur Guilhem, sans le libérer de l’étreinte de ses bras. D’après les propos de ma soeur, il doit nous trouver outrageants. Je me demande ce qu’il dirait s’il avait connaissance des liens que Félicie partage avec Isidora…


Le visage de Guilhem s’éclaire alors et cette expression, Althea la connaît par cœur. C’est une lueur dans son regard qui s’allume, c’est un nouveau défi pour lui, une nouvelle occasion de briser les convenances imposées. C’est comme glisser un bonbon dans la main d’un enfant et lui intimer de ne pas y toucher. Elle niche son nez dans le creux de son cou, capture dans une inspiration le souvenir de son odeur et ancre la caresse de son parfum dans son esprit. Elle pourrait rester là éternellement, à oublier les derniers jours où il n’était pas là, où elle n’était qu’un spectre privé de sa présence, vide de son amour.


— Par Merlin ! S’exclame la voix de sa benjamine dans leur dos. Est-ce qu’on peut enfin rentrer ou est-ce que vous comptez vous déshabiller ici même ?
Est-ce qu’on peut la pousser sous le métro ? Grogne la vélane en déposant un dernier baiser contre ses lèvres.
Plus tard dans la soirée, si tu insistes, S’amuse Guilhem, ses doigts parcourant la courbe de  son dos jusqu’à les entremêler aux siens. Là, ça risquerait de gâcher la soirée…


La tête d’Althea se dépose contre son bras lorsque ses doigts s’agrippent aux siens. C’est à deux qu’ils avancent ainsi vers l’entrée.

— Comment c’était, le Japon ? Finit-elle par lui demander.
— C’était bien, ça aurait été mieux avec toi, Répond son amant en déposant un baiser sur le sommet de son crâne. Et toi ?
J’ai été très occupée avec mes amants, mais ton retour n’est pas pour me déplaire…


Le rire qui franchit les lèvres d’Althea lorsqu’il répond à son insolence par un léger pincement contre sa taille est cristallin. Elle redécouvre les sons qu’elle a étouffés toute la semaine passée. Sons qui disparaissent pourtant quand ils franchissent l’entrée et que devant eux, l’immense hall dévoile ses secrets. Les arches du musée sont toujours visibles, mais elles semblent disparaître à travers les fleurs qui s’étendent autour d’eux, diffusant leurs odeurs enivrantes. Une peinture géante semble recouvrir chaque parcelle de marbre, transformant le lieu en un décor géant où se mêlent les figures peintes aux invités. L’herbe qui bouge sous leurs pieds semble assez réelle pour donner envie à Althea de se pencher pour l’effleurer du bout de ses doigts. Même les muses qui parcourent librement les murs et les colonnes se fondent à travers les tenues extravagantes des convives.


— D’ailleurs, j’ai oublié de te prévenir… Reprend-elle après quelques secondes d’émerveillement silencieux. Hafsa est ici. Elle est venue avec James.
Hafsa et James ? Demande Guilhem en tournant son visage vers le sien. Ensemble…?
Oui, elle cherchait un cavalier et il avait des personnes à voir à New York après.


Althea s’interrompt pour prendre une coupe de champagne sur l’un des plateaux volants qui se glissent entre les invités, aussitôt imitée par Guilhem. Malgré la grandeur et la splendeur des lieux, la française  peine à détacher son regard de son amant, si bien qu’elle ne remarque pas la présence impromptue de sa cadette et de l’homme dont elle tient le bras.


— Félicie m’a dit que vous étiez un grand joueur de Quidditch dans le temps. C’est un honneur de faire votre connaissance.


Le cavalier de Félicie attire le regard des amants, notamment celui de Guilhem qui s’abaisse vers sa main tendue, comme s’il hésitait à la prendre. L’intrus est le portrait craché d’un homme de la haute société. Sa coiffure est plaquée en arrière pour ne laisser à aucune mèche la possibilité de se faire audacieuse, son costume ne déroge pas non plus à la règle et les quelques détails colorés qu’apportent les fleurs brodées ne parviennent pas à briser la monotonie de son costume. L’élégance sans l'extravagance. Même l’intonation de sa voix, qui dévoile pourtant un certain charisme, est le prototype parfait de ces hommes qu’Althea méprise, mais qu’elle n’est pas surprise de voir en compagnie de sa jeune sœur. Guilhem tend finalement sa main à son tour et glisse sur ses lèvres un sourire si faux qu’il arrache à Althea une grimace amusée. D’autant plus lorsque l’inconnu serre fortement la main de Guilhem dans la sienne, dans une tentative ridicule de l’intimider ou de prétendre à une certaine supériorité.

Thomas Bridgerton, enchanté.
Guilhem Verrier.
Madame Lovegood m’a parlé de vous, oui.
Amusant, Rétorque le français. Personnellement, je viens seulement de découvrir votre existence.


Althea doit retenir le rictus qui menace de percer sur ses lèvres, notamment devant la mine offusquée que dévoile le couple face à eux. Peut-être que rien de mauvais ne s’échappe à travers la mine fermée du sorcier, mais la vélane ne peut s’empêcher d’être agacée par cette présence indésirable. Elle méprise sa façon de chercher à exister comme s’il était le maître des lieux. Si les mots semblent se presser à la porte de ses lèvres, Thomas garde pourtant le silence et libère la main de Guilhem pour capturer celle d’Althea et y déposer un baiser.


— J’espère que cette soirée sera à votre goût, Reprend Thomas avec davantage de froideur. N’hésitez pas à aller voir à l’étage, certains tableaux sont très immersifs.


La vélane se détourne avant même la disparition du couple, mais alors qu’elle entrouvre ses lèvres pour reprendre une conversation avec son amant, les mots qui résonnent s’ajoutent à son agacement déjà palpable.


—  Je ne pensais pas que tu serais à l’heure, Lance Félicie d’un ton sec.


Peut-être qu’Althea aurait pu sentir l’orage qui menaçait dans les iris sombre de sa soeur, dans sa façon de tourner ses syllabes entre ses lèvres ou encore dans le léger soulèvement qui imite un sourire, mais qui ne fait que dévoiler ses dents acérées, prêtes à briser les os de sa proie d’une seule morsure.


— Je veux dire… Ajoute-t-elle après un silence. Auguste est parti assez tardivement de chez toi, non ?


Mille mots se pressent dans l’esprit d’Althea, mille insultes et phrases assassines, mais tout ce qui arrive à exister dans son crâne c’est le regard que Guilhem dépose sur son visage. C’est la sensation glaciale qui se dévoile dans ses veines et qui arrache à ses lèvres le moindre de ses souffles. Elle ne remarque même pas la disparition de sa sœur, ni n’entend le rire que la diablesse fait résonner.


— Auguste…? Interroge Guilhem en libérant sa main.
Ce n’est pas ce que tu crois Guilhem, Soupire Althea, tu connais Félicie, elle est prête à dire n’importe quoi pour…
Auguste était chez toi ? L’interrompt-il avec froideur.


Un battement. Deux battements. Les secondes arrêtent une nouvelle fois leur lent déroulé et, une fois encore, elle voudrait qu’elles restent ainsi, figées, pour qu’elle n’ait pas à parler. Peut-être qu’une part d’elle est tentée par les mensonges qui éclosent dans son esprit, car oui, il serait si simple de nier, de prétendre que tout ceci n’est qu’un bobard inventé pour ruiner leurs retrouvailles. Mais Althea n’y arrive pas.

L’idée même de lui mentir semble pire que la colère que risque d’engendrer ses aveux.


— Hier soir, Hafsa a organisé une soirée à l’appartement, avec James, Simon et Auguste, Confesse-t-elle d’une voix qui effleure l’inaudible Il est resté dormir avec James et Hafsa, mais…
Depuis combien de temps Althea ? Grogne-t-il, sa mâchoire crispée. Depuis combien de temps est-ce que tu revois Auguste ?


Depuis des mois. Mais ça, elle n’arrive pas à le lui dire. Parce que si elle ne veut pas lui mentir, confesser la vérité reviendrait à briser l’équilibre qu’ils ont su installer. Elle-même est terrifiée à l’idée qu’il s’en aille ou pire, que leur histoire reprenne des chemins plus cabossés et que ses nuits solitaires à Naples lui fasse payer les mystères étouffés. Mais alors qu’elle entrouvre ses lèvres, une voix les interrompt, la poussant à détourner son regard de la noirceur qui existe dans celui de son amant.


— Althea, c’est bien toi !

La femme qui se dévoile et qui ne semble pas prendre conscience de malaise du couple devant elle est un vestige du passé, de ses soirées parisiennes à refaire le monde, dans des bars où les femmes avaient le droit de hausser le son de leur voix. De présenter leurs idées sans se faire rabaisser par des paroles masculines. Bonnie Whitehead a toujours été de ces femmes que l’on approche sans oser la regarder dans les yeux, si charismatique que l’on ne peut s’empêcher de vouloir être à ses côtés et recevoir son attention. Même ici, malgré sa robe couverte de roses noires, perdue au milieu de l’effluve de couleurs chaudes, elle ressort et resplendit. Elle captive l’attention, si bien qu’Althea met un certain temps à lui répondre.


— Bonnie ! S’exclame t-elle avec un sourire forcé. Je ne m’attendais pas à te voir ici.
Je ne m’attendais pas à m’y voir non plus, Répond la femme avant de détourner son regard brun vers Guilhem. Je manque à toutes les convenances, pardon. Je suis Bonnie Whitehead, et toi, tu dois être Guilhem Verrier. Je t’ai aperçu au bras d’une de mes amies dans certains journaux, Isidora Araújo. Comme quoi, même à New York les potins amoureux d’outre-manche font vendre.
Enchanté, Répond Guilhem en retrouvant son flegme naturel. Isidora n’était pas vraiment…
Elle n’est pas vraiment une amie non plus, L’interrompt Bonnie avec un clin d'œil discret. Je ne veux pas vous déranger plus longtemps, mais j’ai vu que vous discutiez avec Thomas…
Discuter est un bien grand mot, Souffle Althea.
Thomas est un très vieil ami, Reprend Bonnie, comme si elle n’avait pas été interrompue. Pour tout avouer, je suis là pour le voir, mais il est difficile à approcher et je me demandais si tu pouvais t’arranger pour que je puisse être seule avec lui. L’attirer à l’étage, près du Vitrail de Tiffany, par exemple. Si ça ne te dérange pas, en souvenir de nos anciennes réunions…


Et elle le sent, Althea, elle le sent dans chaque fibre de son âme, dans chaque frisson de son corps que ce que Bonnie lui demande va conduire à des actions illégales. Elle sait qu’en acceptant, elle met un terme à l’idée de passer un soirée paisible aux bras de son amant. Pourtant, la jeune femme acquiesce. Althea ose même prétendre qu’elle ne sait pas ce qui se cache derrière le sourire de Bonnie, peut-être parce qu’ainsi elle se dit qu’elle pourra échapper à une conversation dont elle ne veut pas.

Peu importe si le sourire qu’elle offre à Guilhem est truffé d’une culpabilité qui lui ronge désormais le cœur.


Guilhem Verrier
Guilhem Verrier
Admin

Onglet 1
Âge : vingt-sept ans.
Occupation : poursuiveur tête-brûlée de l'équipe des Vivets de Naples ; la célébrité à laquelle il regoûte avec une forme d'ivresse, après avoir pensé celle-ci définitivement éloignée.
Head : be a fool ⎯ althem Qmtp
Habitation : rues ensoleillées d'un Naples où il apprend à se reconstruire depuis plusieurs mois, loin du Paris mortifère dont il avait fait son propre enfer.
Messages : 14
Date d'inscription : 26/03/2024
Onglet 2

   

stars, hide your fires
ft. Althea Lovegood
28 AVRIL 1949 ⎯ NEW YORK ; METROPOLITAN MUSEUM OF ART

TW mention de drogue, d'alcool

Les esprits sont encore à l'heure du Japon. Sept heures les séparent des visages familiers des napolitains, qui commencent déjà à sentir les effets d'une fatigue naturelle ; mais le milieu de la nuit n'en est pas un pour eux qui s'électrisent, qui célèbrent leur dernière victoire grandiloquente. Plus loin, il y a Vittoria qui s'enthousiasme, qui conte une fois de plus à un auditoire diffus la manière dont elle avait réussi à chopper le vif à la dernière minute ; le plat de sa main ondule devant son visage, il mime le trajet précis d'un balai tandis qu'une noix de cajou prend le rôle de la balle dorée. Ses paroles sont vives, comme gonflées d'énergie par l'adrénaline de la gagne. Autour d'elle, ils s'esclaffent avec tendresse, mais acceptent de se faire auditoire : Vittoria, mia cara, tu sais que tu l'as déjà raconté quatre fois ? D'un geste vif, elle attrape la noix et l'avale, les joues rosies, puis s'affale aux côtés d'Antonio. Ces deux-là prennent de moins en moins de précautions pour faire croire à leur distance ; et ça amuse les autres, de prétendre ne rien voir. Comme une sorte de secret de Polichinelle devenu la mascotte de leur petit groupe – un de plus. D'un geste flou, le français tend la main vers le paquet de cigarettes posé sur la table, allume paresseusement l'une d'elles alors que Valentino s'approche, la mine flegmatique. Ses cheveux noirs tombent devant ses paupières lourdes, et il a un drôle de sourire lorsqu'il lance au poursuiveur un minuscule flacon rempli de poudre blanche, que celui-ci rattrape machinalement. Aucun mot n'est nécessaire à cette heure de la nuit, à l'heure où les secrets se dilatent pour laisser apparaitre une débauche qui n'essaie même plus de se faire mascarade. Personne n'osera rien leur dire, de toute façon. Corrado est bien trop satisfait qu'ils aient choisi son bar comme quartier général pour fêter leurs victoires – et puis simplement pour se retourner la tête dès qu'ils en expriment le besoin. Il dit que ça lui amène du monde, parce qu'ils ont tout de petites célébrités populaires. Alors en contrepartie de leur fidélité, ils accèdent à cette impunité sacro-sainte, celle qui autorise Vittoria à grimper sur les tables quand ça lui chante, et Guilhem à se pencher vers le bois de la table pour laisser son visage rejoindre la ligne blanchâtre qu'il y a tracé. Plus de mascarade, plus de secrets ; il parait que ça fait même partie de leur image, de leur blason doré.
L'euphorie envahit son crâne au moment où il se redresse : la sensation est familière, désormais. Nombreuses sont les poudres qu'ils laissent tâcher leurs doigts, frôler le bout de leurs museaux. Blanches, rouges et ocres, narcotiques venus du Moyen-Orient ou de Scandinavie, ils se font voyageurs de l'extases, vagabonds sans peurs. Tout est bon à essayer, pour toucher du plat des paumes les cieux qu'ils passent leur temps à arpenter. À croire qu'il n'y a que ça qui les intéresse, même lorsqu'ils ont le pied à terre : retrouver les étoiles. Toni dit que c'est un truc de joueur de Quidditch, qu'à force de faire des nuages leur terrain de jeu, ils deviennent obsédés par l'idée de les retrouver – la sensation de hauteur et de vertige, l'adrénaline des ciels toujours trop hauts. Toni, il dit qu'ils sont tous des genre d'Icare modernes : et Guilhem n'a jamais eu l'audace de protester à ce sujet.
La moiteur de sa paume rejoint le brun humide de ses cheveux alors que son cœur s'emballe, et ses pensées se font plus claires, plus acérées. Ce n'est qu'une illusion, et il le sait ; mais il ne s'en offusque pas pour autant, parce qu'il aime ça. Il aime ça comme il avait aimé ces sensations il y a des années, de la même manière qu'il les avait chéries, fait siennes jusqu'à l'insomnie. L'esprit encore doré, à l'heure du Japon.

Vous êtes l'équipe des Vivets, pas vrai ? J'ai vu tous vos matchs italiens, cette année, je vous adore.

Adorer.
La fille a terriblement bien choisi son dernier verbe. Il résonne avec l'étincelle dans ses prunelles, l'admiration qu'il lit dans chaque pli de son visage. Elle les adore. Elle n'est pas la seule, prise dans un système boîteux d'idolâtrie à sens unique ; mais le plus cruel, c'est certainement qu'ils ont l'habitude d'entendre ce mot-là, de se savoir aimés sans être connus, seulement pour des prouesses observées depuis un gradin. Il avait presque oublié ce que cet amour-là représentait, l'importance presque absurde qu'il réussissait à prendre chez chacun d'entre eux – même s'ils juraient ne pas se faire avoir par les affres de la célébrité. La vérité, c'était qu'il était impossible à ignorer ; trop facile, trop léger, trop régulier. Se faire adorer sans avoir besoin d'exister en temps qu'être, sans avoir besoin de prouver ou de changer, c'était d'une aisance violente. Et il savait parfaitement qu'il ne pourrait qu'y reprendre goût.
Le regard de l'italienne s'est posé sur le métal de sa main, lâchement abandonné sur le bois de la table ; l'expression de son visage a changé, comme si elle avait aperçu quelque chose de très rare, que n'importe qui aurait rêvé d'observer d'aussi près. Elle a hésité, elle l'a regardé, et puis elle a fini par le lui demander. Je peux te serrer la main ? C'était d'une ironie terrible. Il y a quelques mois, l'idée l'aurait carrément répugné, ou au mieux, mis franchement mal à l'aise. Il y a quelques mois, il aurait eu honte, ou se serait vexé, convaincu d'être pris pour une bête de foire. Mais ce n'est plus le cas ; cette main n'est plus une preuve de difformité, mais le symbole d'une unicité. Il ne compte plus le nombre de cancans italiens qui ont dit de lui qu'il avait de l'or dans les mains, qui l'ont appelé l'uomo di ferro – l'homme de fer. Il s'en est fait un surnom, une réputation. Un prétexte d'adoration, un détail qui captive les foules et sur lequel construire une histoire. Un truc pour le rendre sympathique aussi, parce que tout le monde aime entendre les récits de ceux qui se relèvent depuis la boue. L'opinion publique a une passion pour les phénix, c'est connu ; cyniquement, Guilhem en était le représentant le plus flagrant.
Alors il lui tend la main, presque amusé. La poigne qu'ils échangent est simple, dénuée de sens ; mais ça semble faire plaisir à la fille, qui a un sourire large scotché au visage lorsqu'elle libère ses doigts. Merci. Putain, elle le remercie, pour avoir effleuré ce qu'il considérait jadis comme un poids, comme une infirmité. Il ne sait pas trop pourquoi, mais soudain il pense à Althea ; parce qu'il sait très bien que sans elle, le contact serait toujours désagréable, inacceptable. Il sait qu'il lui doit beaucoup, au moins pour ça, et l'ironie de la situation lui parait presqu'inconfortable : une fille serrait sa main parce qu'une autre l'avait guéri de ses peurs les plus tenaces. Mais Althea n'était pas une fille. Elle était Althea, entité, celle que toute l'idôlatrie à laquelle il était confronté ne pouvait lui faire oublier d'adorer. Et s'il aurait aimé observer son culte amoureux avec plus d'assiduité ces temps-ci, il était rare qu'elle ne quitte réellement ses pensées, qu'elle ne se prive d'être invoquée par chaque menu détail qui l'entourait. La vérité, c'était qu'elle était partout.
Althea, entité : toute l'adoration des charmants inconnus de ce monde n'aurait jamais pu lui faire oublier de l'aimer.

Casa del Mandorlo, 18h45

Il avait fallu que Yodi en vienne à le secouer pour qu’il émerge enfin, marquant son mécontentement d’un grognement de convenances. Le crâne est lourd, la bouche pâteuse. Gueule de bois coutumière, vieille amie délétère. Il fera avec, et puis de toute façon il a bien le temps de se remettre sur pieds avant que… Merde. Les aiguilles du réveil sur sa table de chevet lui flanquent une claque brusque qui le poussent à se redresser ; le vertige du mouvement en question manque de le faire tituber. Il n’avait pas prévu de dormir aussi longtemps, mais faut croire qu’il a l’esprit encore ailleurs, accroché au fuseau horaire d’un autre continent. Les jurons sont nombreux à s’échapper d’entre ses lèvres, la mauvaise humeur palpable lorsqu’il fait face au miroir : il a une mine atroce, et il sait pertinemment qu’une simple douche ne sera pas en mesure de régler entièrement ce problème de taille. Non pas qu’il éprouve une honte quelconque à se présenter en public avec la gueule du débauché qu’ils ont toujours vu en lui ; au contraire, il en ferait presque une fierté, érigeant la cerne au goût du jour avec une rare forme d’élégance. C’est plutôt qu’il n’est pas certain de vouloir nourrir l’inquiétude de l’amante qu’il retrouvera là-bas — ou sa suspicion. Guilhem n’est pas stupide : il sait parfaitement qu’Althea n’apprécie qu’assez peu l’idée de le savoir se brûler les sens au creux des nuits napolitaines. Il ne lui cache rien de sa vie, mais il évite de s’attarder sur cette partie, lorsque c’est possible ; parce qu’il est certain du tracas que ces récits feraient naître chez elle. Alors la plupart du temps, ils évitent le sujet consciencieusement. Il n’est pas certain que cette posture soit la meilleure à adopter ; mais en attendant de trouver une autre manière de faire, il se contente de ne rien avoir à se reprocher. Esquiver est acceptable : mais mentir ne l’est plus depuis longtemps, entre eux.

Contre ses épaules, les tissus glissent avec précipitation, pressés par l’aiguille qui trotte à toute allure. Dans la hâte, il a même entaillé la base de sa mâchoire d’un coup de rasoir imprécis : tant pis, le résultat reste convaincant, et l’illusion presque parfaite. Il fera croire à un retard de coutume, du genre fashionably late, comme disent les New-Yorkais. Ce serait de circonstance.
Nouveau juron lorsqu’il aperçoit l’heure affichée sur sa montre : cette fois, elle va vraiment le tuer. Mais la menace paraîtrait presque douce, face à la hâte grandissante de la retrouver. Car si l’excitation était restée engourdie durant les quelques minutes qui avaient suivies son réveil, elle semblait sortir peu à peu de sa torpeur à l’image de sa propre carcasse, et de chacun de ses muscles. Une semaine, c’était pourtant pas grand chose ; mais dans leur temporalité amoureuse, ça avait le goût d’infini. Il avait appris à aimer voir les durées se distordre, les nuits blanches passer en une seconde et les jours d’absence prendre la teinte des années. Il avait appris à aimer la saveur particulière des retrouvailles, la frénésie torride des étreintes partagées lorsqu’ils s’étaient manqués à la déraison. Aimer la nostalgie d’une solitude retrouvée, à la seule condition que celle-ci finirait toujours par se terminer, et qu’ils finiraient par se rejoindre dans une nouvelle ivresse de caresses et de baisers. Tout ça, tout ce manège, il avait fini par l’apprécier ; mais une part infime de lui ne cessait de chuchoter que l’arrangement était bancal, même s’il était difficile pour eux de l’admettre. Quand bien même ils n’étaient plus tenus au secret quant à leur relation, les modalités de cette dernière restaient insuffisantes : il ne savait seulement pas très bien comment ils auraient pu agir autrement.

Metropolitan Museum of Arts, New York, 20:23

La foule est extravagante, endimanchée a souhait. Sur les costumes et les brocards s’étendent des masses de fleurs en papier, corolles de couleurs vives qui se mêlent aux effluves printaniers. La beauté de tous les visages est flagrante ; mais c’est un constat qu’il ne fait qu’avec distraction, puisqu’une silhouette a déjà capté son attention. Il l’avait aperçue une, ou peut-être deux secondes avant qu’elle ne pivoté le menton vers lui : il a alors eu tout loisir de voir son visage s’illuminer, ses joues rosir d’une hâte enfin éclose. Se jeter à son cou, à ses lèvres, à lui tout entier. Il n’a même pas eu le temps de lui dire à quel point il la trouvait belle ; elle l’avait déjà embrassé à en perdre haleine, comme si seules les braises de leur frénésie amoureuse avaient pu couler dans ses veines. Sûrement ne s’étaient-ils pas embarrassés de la moindre retenue, à l’égard du public nombreux qu’ils savaient les dévisager. Pas leur genre, cela dit. Sans doute parce qu’ils avaient coutume de penser que s’ils avaient fini par choisir de s’extirper du secret, ce n’était certainement pas pour cacher ce qu’ils étaient ; qu’ils se fichaient bien d’être inconvenants – ou pire, qu’ils avaient l’audace d’en tirer une satisfaction brutale et inédite. Là où ils avaient jadis craint de voir leur relation utilisée par les autres pour les annihiler, ils en avaient fait une arme contre la société, et toutes les valeurs surannées qu’ils méprisaient. À ceux qui plébiscitaient un amour discret ou invisible, fait de codes et de manières, ils offraient au monde la peinture d’une passion torride, d’une affection des chairs et des âmes qui ne laissait aucune place aux doutes, quant à la manière dont ils se plaisaient à la consumer. Le type de regards et de murmures que leur avait accordé Thomas ne les gênait pas, au contraire : il leur donnait l’envie terrible d’aller plus loin encore, de crever les limites du romantisme pour en offrir une version noire, obscène. De donner à tous leur vision charnelle d’une tendresse proscrite.
Et à ce jeu, n’importe qui l’aurait juré : Guilhem et Althea étaient terriblement doués.

L’ennui n'était pas venu de l’héritier, inoffensif pour un sou, mais d’avantage de Félicie. Félicie et sa langue de vipère, prête à tout pour briser la douceur de leur réunion en un fracas de verre. Le talent est grand, puisque la remarque fait mouche, et que le prénom prononcé reste coincé en bordure de son esprit.
Auguste.
Le plus douloureux, c’est sans doute qu’il avait presque réussi à l’oublier ; que le temps avait fini par faire son affaire, et qu’Auguste Rivière n’avait plus d’autre visage que celui d’un protagoniste laissé sur le côté, d'une silhouette hors du tableau.
Guilhem ne savait pas bien ce qui le privait tant d’assurance, lorsque son nom était évoqué. Ou peut-être qu’il le savait, mais qu’une certaine forme d’égo lui interdisait de le formuler à voix claire : car la peur intime que celui-ci reconvoquait chez lui, c’était celle d’un premier amour que l’on n’oubliait jamais vraiment, l’image d’une idylle primaire de laquelle on serait éternellement esclave, et nostalgique. Celle des émois nouveaux, des étreintes découvertes à la lueur d’une jeunesse tout juste éclose. Le romantisme particulier qu’il attachait à cette image le terrifiait, sans doute parce qu’il avait peur qu’elle en ait gardé ce même idyllisme blême. Et à cet égard, Auguste ne cesserait jamais tout à fait d’être un rival – à la différence qu’ils ne se faisaient pas face sur un terrain similaire. Lui avait le privilège d’être certain qu’il ne serait jamais tout à fait oublié, peu importe l’intensité des amours qu’elle connaîtrait après. Guilhem était à peu près certain de ne pas pouvoir prétendre à la même chose.
Mais le plus inconfortable restait la suspicion, la vague de questions incontrôlables qui se pressaient aux portes de son esprit soudain agité. Pourquoi aurait-elle omis de lui parler de ces rencontres, si elles étaient plus que fortuites ? L’avait-elle fait par honte de se voir toujours ressentir quelque chose pour lui ? Pire, avait-elle cédé un jour à l’appel d’une nostalgie des temps passés, à la douceur des souvenirs délaissés ? Évidemment qu’il avait essayé de repousser ces préoccupations imbéciles, de s'accrocher à la confiance tenace qu'il plaçait en elle ; mais chacune d’entre elle ne cessait de revenir en un écho douloureux, peu importe le nombre de fois qu'il pouvait les chasser.
Pourtant, il savait bien qu'il avait tort de se sentir si brusquement menacé ; idiotie coutumière d'une jalousie profonde et puérile, d'autant plus ridicule qu'il n'avait jamais eu l'élégance d'être envieux d'Auguste au moment de l'histoire qu'il avait partagé avec Althea. À l'époque où la vélane en question n'était qu'un charmant visage parmi d'autres, il n'avait jamais eu l'idée de s'intéresser à ceux qu'elle fréquentait ; comment aurait-il pu alors geindre de ne pas avoir été sa première idylle ? Comment aurait-il pu regretter qu'elle n'ait pas été la sienne ? L'hypocrisie aurait été saisissante. Et c'était là tout l'inconfort qu'il ressentait à l'instant, conscient de l'illégitimité de son ressentiment. Car si toute jalousie restait bête, celle-là l'était plus encore ; il n'était pas assez stupide pour l'ignorer.

Pourtant, si la lucidité sur l'aspect vain de cette colère lui était acquise, le fait de n'y trouver aucune solution le peinait. À la confrontation immédiate avec son amante, il avait préféré l'évitement ; l'apparition de cette ancienne amie avait été un prétexte parfait, saisi au vol après avoir échangé quelques banales politesses. Les mains avaient déjà été déliées : il ne restait plus qu'à laisser leurs silhouettes se détacher, et prétendre offrir à la jeune vélane un moment d'intimité avec cette vieille amitié. Mais alors qu'il amorce un mouvement pour s'éloigner, il les voit ; les doigts qui se tendent vainement vers les siens pour tenter de les retenir – qui retombent. Le regard qui suit sa silhouette, l'alarme au fond de celui-ci pour tâcher de capter un signe qui aurait pu la renseigner sur son état d'esprit. Pourtant, il ne voulait pas vraiment la punir, Althea ; il savait seulement que la jalousie le poussait à être un imbécile, et qu'il préférait autant que ce soit en son absence.
Entre les convives drapés de couleurs pastel, il zigzague jusqu'à l'une des parois peintes, qu'il approche jusqu'à être en mesure d'en apercevoir chaque aspérité. Distraction peu efficace, puisqu'il sent encore dans sa poitrine le fracas d'un cœur qui tambourine – encore déréglé par la vague de ressentiments éprouvés. Une main s'appuie alors sur son épaule, lui arrachant un sursaut léger ; mais c'est seulement le sourire espiègle de James auquel il fait face. D'une élégance soignée, le sorcier avait enfilé un costume brodé de fleurs pourpres et carmines – sans doute étudiées pour être accordées à celle d'une Hafsa très soucieuse de ce genre de détails. Immédiatement détendu par la présence de son ami, le visage de Guilhem s'est relâché, approchant ce premier pour lui offrir une accolade légère.

— Si j'avais imaginé te croiser à un gala de charité, Taquine t-il alors l'irlandais. Je vais finir par croire que tu aimes te faire scruter de la tête aux pieds par les arrogants de ce monde.
— Disons que la seule chose que je peux me permettre d'offrir ce soir, c'est un service à une amie.
— À voir si Hafsa voit toujours ça comme un service, une fois que tu l'auras faite danser.

Le coude de James est envoyé dans son bras, et Guilhem s'esclaffe ; atmosphère légère pour les retrouvailles de ces deux compères, qui ne s'étaient pas vus depuis des semaines. Il était heureux de sa présence, et n'aurait pas pu le nier : outre le fait qu'il lui offrait à l'instant une occasion parfaite d'oublier sa jalousie idiote, James était semblable aux passages fugaces des oiseaux au creux des ciels gris. D'un trait, il rayait la morosité de ce qui était, pour en attraper l'attention des tendres ennuyés. Sans doute lui avait-il manqué pour ça.

— Il parait que tu fais des merveilles, en Italie. J'attends toujours un pourcentage de tes recettes en temps que joueur favori, S'amuse l'irlandais en trempant ses lèvres dans une coupe de champagne.
— Je te connaissais pas vénal, Kergoat, Réplique Guilhem en haussant les sourcils.
— Alors tu me connais mal, Prétend l'autre, grimaçant avec dérision. « Comment va ta main ?

De la part de James, il fallait comprendre qu'il s'intéressait à l'autre. Pas celle de chair, mais celle d'étain ; celle qu'il avait façonnée, et qu'il lui avait donnée. Pour toute réponse, le poursuiveur a levé les doigts avec flegme pour les agiter devant son nez.

— Comme un charme. Malgré le fait que j'ai failli me brûler avec, un jour où je m'étais endormi au soleil.
— Quelle vie épuisante tu mènes, Ironise Kergoat en lui lançant un regard en coin.
— Tu n'as pas idée. Et toi ? Il parait que vous n'êtes pas en reste, à Londres.

Habile manipulation pour accéder au sujet qui le tenaillait : promis, il avait vraiment essayé de ne pas l'aborder. Mais c'était plus fort que lui, surtout qu'il savait parfaitement que James saurait exactement où il voulait en venir – peu importe les airs détachés que l'insolent pouvait bien arborer. Le menton de celui-ci s'est alors tourné vers son comparse, dont il a observé le visage un instant.

— Si tu veux avoir des détails sur la façon dont Althea passe ses soirées, je te suggère de directement lui demander.
— Je me souciais des tiennes, rien de plus, Prétend-il avec légèreté.
— Et puis si tu es si inquiet, quelle idée de t'exiler à des milliers de kilomètres, Renchérit James en secouant la tête.
— Tu parles comme un homme harassé par le manque.
— De toi ?
— De qui d'autre ?
— Peut-être. Mais je n'aurais pas la prétention de vouloir concurrencer une vélane. Tu sais comme elles ont mauvais caractère.

Ça lui a arraché un sourire.

— Tu me manques aussi, Kergoat.

Le pli sur leurs lèvres fait connivence ; habiles complices aux faux-airs de frères. Et il faut bien reconnaître que James a cet effet presque magique de noyer chacune de ses pensées agitées dans un lac apaisé ; sauf qu'un pincement nouveau nait contre sa cage thoracique, lorsqu'il voit la silhouette d'Althea s'approcher. Au fond, il sait parfaitement qu'ils doivent avoir cette conversation, alors il ne bouge pas d'un cil, la laisse venir à leur niveau. D'abord, elle se hisse sur la pointe des pieds pour déposer un baiser sur la joue de James, puis recule d'un pas en observant sa tenue.

— Ton costume est superbe, Admire t-elle en hochant vaguement la tête pour elle-même. « Je suppose que Hafsa est derrière tout ça ?
— Althea, tu es vexante, Fait-il mine de la réprimander, déclenchant chez la vélane un petit rire mutin, avant qu'elle ne pivote légèrement le menton vers son amant.

Il a senti ses doigts se tendre légèrement vers les siens pour les effleurer ; caresse un peu hésitante, vaguement interrogatrice. Et s'il n'y a pas vraiment répondu, il n'a pas non plus cherché à mettre sa main à distance de la sienne.

— Guilhem, on peut parler une minute ? Demande t-elle alors d'une voix calme.

Et il a su que si elle tâchait de garder la face devant son ami, il y avait une certaine urgence dans sa demande. Ou dans ses yeux, dans ce regard qu'elle avait appuyé contre le sien et qui lui faisait comprendre que la requête était d'importance ; lui même savait qu'il aurait été puéril de s'y substituer plus longtemps. Alors, il s'est contenté d'opiner de la tête légèrement, et d'adresser un regard à James pour en prendre congé – lequel a vaguement secoué la main pour lui indiquer de suivre la vélane. Les deux amants ont alors longé la salle, jusqu'à l'une des alcôves dessinées par les arches fleuries ; les couleurs murales s'y font d'un bleu-violet profond, qui semblent presque se mouvoir sous leurs yeux admiratifs. Là, ils se sont fait face, et Althea a alors semblé vaguement mal à l'aise avec l'idée de commencer cette conversation. Les yeux papillonnant sur plusieurs détails de l'architecture autour d'elle, elle a pincé les lèvres, avant de reporter ceux-ci sur le visage du français.

— J'ai commencé à revoir Auguste parce que je n'avais pas tant de personnes que ça autour de moi, à Londres, Confesse t-elle d'une voix qu'elle a vaguement laissé trembler, sans doute incertaine de l'effet que son aveu aurait sur l'humeur de son amant. « Ça me fait du bien d'avoir quelqu'un là-bas qui me connait depuis longtemps. Mais Guilhem, ce n'est pas, ça ne sera jamais... » Elle a secoué la tête plusieurs fois, sorte de négation complexe et obstinée. « Je ne l'aime pas. Tu comprends ?

Il comprenait oui. Il n'avait pas l'esprit assez embué pour être en incapacité de raisonner convenablement, pour se laisser emporter par l'absurdité de songes jaloux et peu éclairés. N'empêche. Restait ce pincement profond dans le cœur, cette inquiétude sourde – comme une sorte de bourdonnement impossible à stopper. Il a lentement hoché la tête, pensif, et détaché son regard de son visage pour une poignée de secondes.

— Je comprends, oui, Admet-il sur le bout de la voix, un peu à contrecœur. « Mais c'est difficile d'apprendre que tu me l'as caché, et de ne pas imaginer...

Sa voix se suspend ; il ne sait plus bien s'il a envie de prononcer les mots qui restent.

— Imaginer quoi, Guilhem ? Fait-elle en exerçant un pas vers sa silhouette, pour glisser une main contre la courbe drue de sa mâchoire. « Que je pourrais vouloir de lui de nouveau ? Ne sois pas stupide.
— Tu as bien voulu de moi une deuxième fois, Trouve t-il bêtement à répondre, un peu nerveux face aux peurs qu'il ne pouvait empêcher d'affluer de nouveau dans les interstices de son esprit.
— Tu sais très bien que ce n'est pas la même chose, Qu'elle souffle en cajolant sa joue du dos de son index.
— Non, tu as raison. Ce n'est pas la même chose, Réplique t-il, vaguement amer.

Elle a dû comprendre que la phrase n'avait pas le même sens pour elle que pour lui, parce que ses yeux se sont faits incrédules, demandeurs d'une explication que son visage fermé refusait de lui donner.

— Qu'est-ce que tu veux dire ?

Il a pincé les lèvres, le regard obstinément appuyé sur un détail bleuté de la fresque murale ; sans doute cherchait-il une manière correcte de formuler ce qui le pesait, ce qui pinçait sa poitrine depuis que le nom d'Auguste avait été prononcé. Du moins, une manière moins ridicule que tout ce à quoi il pouvait songer.

— C'est ton premier amour, Althea, Finit-il par marmonner du bout des lèvres. « Evidemment que ce n'est pas pareil. Ça ne sera jamais pareil.

Elle est restée stupéfaite un instant, comme si elle ne s'était pas attendue à une confession de cet acabit. S'il avait été moins sincère, peut-être aurait-il comparé cette jalousie à toute autre ; mais il tâchait d'être honnête avec elle, au moins pour se délester du poids perché sur son dos. Visiblement prise au dépourvue, la vélane a lentement ramené ses deux mains contre sa poitrine, et levé le nez vers lui.

— Et tu penses réellement que pour ça, le notre a moins de valeur ?
— Non. C'est juste différent, Soupire t-il. Un premier amour, ça ne s'oublie pas.

Elle a retiré ses mains, puis appuyé son regard au sien en fronçant les sourcils.

— Donc selon ton raisonnement, je devrais avoir peur de te voir retomber dans les bras de Daphné ?

Il l'a dévisagée pendant un instant, comme si l'idée en question ne lui était même pas venue à l'esprit.

— Daphné me déteste, Réplique t-il bêtement, comme si cette simple phrase avait pu invalider sa question.
— Et toi ?

Sa bouche s'ouvre pour répondre, mais aucun mot n'en sort. Peut-être parce qu'il n'y a rien à répliquer et qu'elle a raison. Encore. Soudain, il se sent imbécile, piégé par les limites évidentes de son propre raisonnement. Un peu embarrassé aussi.
Face à lui, le visage de la vélane a semblé se détendre face à son mutisme, sans doute consciente d'avoir gagné sur le terrain idéologique. Elle a alors choisi ce moment pour s'approcher de lui, glisser ses bras autour de son cou et tendre son visage, taquiner son nez du sien. L'embrasser.
Là seulement, il a réellement cédé. Et alors que la bouche rougie de son amante trainait encore vers sa nuque pour cueillir l'orée de son tympan, il s'est surpris à clore les paupières pour un instant.

— Toi et moi, ce n'était pas pareil, parce que ce n'était pas fini, Qu'elle murmure tout bas. Parce que c'est nous. Parce qu'il y aura toujours un nous, et que ce nous est le seul qui m'intéresse. Parce que je t'aime toi. » Elle a marqué un temps de pause, enfouissant le bout de son nez dans le creux de son cou. « ... Et parce que tu es déjà assez épuisant pour que je m'encombre d'un autre amant.

Allez savoir pourquoi, mais ça a réussi à le faire rire : dépôt d'armes définitif pour Verrier, conquis par les paroles murmurées. Rassuré ? Sans doute un peu, sans doute pas définitivement non plus ; ils s'en contenteront sûrement pour le moment. Lentement, il a glissé ses doigts contre le creux de sa taille nue, et redressé son nez face au sien.

— Je n'ai pas envie de me disputer avec toi aujourd'hui, Admet-il du bout de la voix. « Pas avant de t'avoir retrouvée convenablement.

Ça a arraché un sourire à la vélane, qui a incliné la tête sur le côté.

— C'est à dire ?
— Tu sais très bien ce que je veux dire.

Elle a trouvé le moyen d'en rire : éclat de voix jovial, rassuré de le voir capituler face à la jalousie qui l'avait submergé. Un rire qu'elle perd contre ses lèvres lorsqu'elle les embrasse, avec la lenteur des floraisons ; un baiser qu'il lui rend et qui s'attarde, qui se détache à peine lorsqu'ils se le confisquent mutuellement.

— Tu peux toujours me montrer, Suggère t-elle en un murmure à peine audible.
— La politesse voudrait qu'on attende, Réplique t-il sur le même ton, cajolant sa pommette d'une caresse de son index.
— La quoi... ?
— Je ne pensais pas dire ça un jour, mais de nous deux mon ange, tu es la pire.

Elle a semblé prendre la remarque avec fierté, comme un compliment qu'on aurait oublié de considérer comme tel. D'un geste distrait, ses doigts fins sont venus tracer le contour des broderies sur sa veste, les yeux perdus dans les couleurs changeantes du tissu.

— Cette Bonnie, Fait-il alors sans totalement hausser la voix. « Comment est-ce que tu la connais ?

Althea a haussé les yeux vers lui pour l'observer un instant, puis s'est contentée de hausser les épaules en continuant le geste machinal de ses phalanges sur son costume.

— On fréquentait les mêmes endroits à Paris, les mêmes cercles, Fait-elle évasivement. « Des groupes qui se réunissaient pour parler de l'égalité que les femmes n'ont pas dans notre société, et trouver des manières de s'organiser pour lutter contre ceux qui cherchent à nous empêcher d'avoir autant de liberté, d'indépendance, de respect que vous.

Le mot l'a heurté d'abord, puisqu'il comprenait que par là, elle désignait toute cette caste d'hommes dont il faisait partie. Il a voulu s'en défendre, prétendre qu'il n'avait jamais fait partie de ceux qui s'employaient à regarder les femmes en êtres inférieurs ; mais il s'est rétracté finalement, se disant qu'il valait peut-être mieux la laisser s'expliquer jusqu'au bout.

— Bonnie est plus radicale que la plupart d'entre nous, Poursuit-elle à mi-voix en laissant retomber ses mains, observant les alentours pour vérifier qu'elle n'était pas écoutée. « Je ne sais pas ce qu'elle veut faire avec Thomas, mais...
— Radicale ? Répète t-il en haussant les sourcils.
— Utiliser la violence ne la dérange pas, si c'est pour arriver à ses fins.

Il est resté un moment interdit, comme songeur – et un peu perturbé – par les propos énoncés. Étrangement mal à l'aise, il a légèrement froncé les sourcils, observant le visage stoïque de son amante.

— Et l'idée ne te dérange pas ? L'interroge t-il, dubitatif. « Je veux bien croire que certains sont rétrogrades, et traitent les femmes comme des abrutis. Mais est-ce qu'ils méritent vraiment...

Sa phrase est restée en suspens, et il a légèrement pincé les lèvres en secouant la tête, sans savoir quoi ajouter. Face à lui, Althea l'a dévisagé pendant un instant, comme si elle cherchait la bonne manière de lui répondre.

— Guilhem, certains ne font pas que traiter les femmes comme des abrutis, Finit-elle par lâcher avec un calme étrange. Ils les battent, les prennent comme objets, comme morceau de viande à marier. Et autour d'eux, personne ne bouge jamais le petit doigt pour aider leurs victimes, personne.

Et sans doute avait-il fallu attendre qu'elle prononce le dernier mot pour qu'il ne saisisse le nom qui flottait en filigrane de ses derniers mots, l'exemple parfait de sa démonstration : François. Un peu pris au dépourvu, il a capitulé en clignant légèrement des paupières.

— Désolé, je n'avais pas pensé à...
— Je sais.

Il n'y avait pas de reproche, dans sa voix, mais elle ne cherchait pas à le rassurer non plus : Althea savait qu'il n'y avait pas pensé, parce que rien dans sa posture d'homme de ce monde ne l'y avait jamais poussé. À cet égard, la chose n'avait rien d'étonnante ; mais elle n'était pas pour autant pardonnable dans sa totalité.
Il s'est senti soudainement peu à sa place, conscient d'avoir essayé de parler d'un sujet dont il ne saisissait finalement qu'une parcelle, qu'une pellicule infime à la surface d'une immensité.

— Qu'est-ce que je peux faire pour t'aider ? A t-il finalement tenté en remontant ses doigts le long de son bras.
— Tu n'es pas obligé, tu sais, Réplique t-elle en secouant la tête.
— Je sais, mais ça fait trop longtemps qu'on est séparés pour qu'on fasse bande à part maintenant. Alors ?

La rétorque a arraché un sourire à la vélane, qui a haussé les épaules en secouant la tête.

— Le problème, c'est Félicie. Je la connais, elle restera collée à Thomas toute la soirée, et devinera immédiatement qu'il se passe quelque chose si je tente de le prendre à part.
— Je pourrais la distraire, Suggère t-il alors avec naturel.
— Comment ?
— Oh, j'ai quelques idées.

Une expression commune est apparue sur le visage des deux amants – de ces mimiques complices qu'ils partageaient lorsqu'ils étaient conscients des méfaits qu'ils s'apprêtaient à accomplir. Pour être honnête, Guilhem n'était pas certain de la portée idéologique de l'acte qu'il s'apprêtait à encourager ; mais il faisait confiance à Althea, à son jugement et à la vivacité de son esprit pour savoir lorsqu'une cause était juste. Même lorsqu'il n'en saisissait pas tous les tenants.
Là, la vélane s'est alors approchée de lui d'un pas, pour glisser ses mains sur ses épaules et lever le nez vers son visage.

— Mais Bonnie peut attendre un moment. Je veux visiter le musée avec toi d'abord.

Il n'a pu qu'accueillir l'idée avec enthousiasme, attaché à l'idée de garder intacte la délicate bulle autour d'eux encore pour quelques temps. Lentement, la sorcière a alors glissé ses doigts entre ses siens, pour l'attirer à sa suite et prendre la direction des galeries. Les couloirs sont immenses, recouverts de tapisseries mouvantes où semblent danser des branches de lierre sinuant contre les colonnes. L'ensemble est hypnotisant, déjà si appréciable qu'il était presque difficile de croire que le spectacle qu'offriraient les différentes pièces des galeries serait à la hauteur des prémices. Et pourtant ; car la première pièce dans laquelle ils entrent est d'une beauté ravageuse, les murs couverts de peintures immenses aux cadres solides dont les protagonistes se déplacent avec grâce. Au creux de teintes chaudes et automnales, d'arbres aux feuillages en perdition, ce sont des faunes qui dansent et se pavanent, qui semblent célébrer une fête que les humains auraient oublié. Puis, au moment où l'un d'entre eux les entend entrer et s'avancer, il porte une petite flûte à sa bouche ; c'est alors une mélodie tendre qui s'échappe de l'instrument, qui navigue jusqu'à leurs oreilles.
Guilhem pourrait en jurer : il s'agit certainement de la nappe de notes la plus agréable qu'il ne lui ait jamais été donné d'écouter. La douceur du son boisé de la flute le transperce et le cajole à la fois, engourdit son cerveau jusqu'à ce que sa vision même ne se trouble ; là, il n'existe plus que les couleurs du tableau autour de lui, comme si celui-ci avait été en mesure de l'absorber. Pendant ce qui lui semble être de longues minutes, il a l'impression d'être lui-même dans cette forêt, de sentir les effluves du bois flambé autour duquel se pressent les faunes enjoués, l'odeur de l'humus frais, des nuits tout juste tombées. L'expérience est renversante, lui fait totalement perdre pied au point qu'il n'a plus conscience de son propre corps – du moins, jusqu'au moment où la créature arrête de jouer. La mélodie se stoppe, et les visions se dissipent : la salle du musée réapparait, ainsi que le parquet sous ses pieds.
Un peu confus, ou sonné, il s'est alors tourné vers Althea pour la dévisager.

— Est-ce que tu as vu ça ? Souffle t-il
— Oui, c'était... Réplique t-elle d'une voix rauque, sans sembler trouver de mot adéquat pour qualifier ce qu'ils venaient de vivre.
— Génial ?
— Terrifiant ?
— Sans doute un peu des deux, mon ange, Reconnaît-il en jetant un nouveau coup d'œil admiratif au triptyque de toiles exposées devant eux – désormais silencieuses.
— Je comprends ce que Thomas voulait dire, lorsqu'il parlait de peintures immersives, Enonce la vélane en secouant la tête, saisissant au passage les doigts de son amant pour l'arracher à sa contemplation. « Viens, je veux voir les autres. Toutes les autres.

Les silhouettes amourachées s'éclipsent aussitôt pour passer de salle en salle, butinant aux toiles toutes plus fantastiques les unes que les autres ; ils s'émerveillent devant celles qui chantent pour eux, pour celles qui leur donnent l'impression de plonger dans un gouffre sans fond. Pour celles dont les couleurs chatoient tant qu'ils finissent par en avoir mal aux yeux, pour celles qui leur donnent l'impression de marcher dans les cieux. Une rêverie sans fin, à la fois picturale et utopique – une aubaine, pour les tendres poètes qu'ils sont.
Et puis tout au bout du bâtiment, dans la dernière des salles, il n'y a qu'une toile blanche. Immense, immaculée – superbe. L'incompréhension est tenace, jusqu'à ce qu'ils aperçoivent un petit nécessaire de peintre, quelques tubes de peinture à huile et une collection restreinte de pinceaux dans un pot d'eau. S'ils comprennent ce qui est attendu d'eux, ils ne font pourtant rien pour le moment ; parce que tout ce blanc vous savez, c'est intimidant. Comme les premières neiges du matin, on sait qu'elles finiront toujours piétinées, que l'ivoire n'en restera jamais un longtemps. C'est ce qui fascine, dans cette couleur qui n'en est pas une : l'idée qu'il s'agit là d'un état péremptoire, dont on ne connait pas précisément la fin. Alors ils restent là un moment, un peu bêtes face à cette toile vierge qui n'attend qu'à être peinturlurée.

— Tu ne veux pas peindre ? Demande t-il finalement à mi-voix.
— Je ne saurais pas quoi faire, quoi dessiner, Regrette la vélane sur le même ton, un peu nerveuse.
— Tu as pourtant le plus sublime des modèles à tes côtés.

Son rire a résonné dans la pièce, amer comme une couleur de nuit.

— Idiot.
— Tu n'es pas obligée de peindre quelque chose, Qu'il suggère en glissant le regard sur le profil qu'elle lui présentait. « Tu peux juste... Tu sais ? Laisser ta trace ici.

Elle est restée interdite quelques secondes, comme songeuse face aux paroles de son amant, le regard encore perdu contre tout ce blanc. Puis, elle a fini par avancer vers le nécessaire de peinture, pour presser l'un des tubes et en faire jaillir la couleur sur le bois de la palette, suivi d'un deuxième. Consciencieusement, Althea travaille la teinte pour la modeler à son idée, pour finalement y plonger l'index et le majeur. Lentement, voilà qu'une ligne vert d'eau d'écrase sur la toile, dessinée par ses doigts maculés de peinture ; une courbe qu'elle conduit avec précision, forme aussi abstraite que possible dans laquelle elle place toute sa tendresse. Il le voit bien : parce qu'elle a ce regard-là, Althea.

— Tu penses vraiment que c'est le rôle de la peinture, de faire office de marque de possession ? L'interroge t-elle en lui tournant le dos, toujours occupée à glisser sa main le long de la toile.

Deuxième couleur ; un rose indien à la vivacité mordante. Guilhem a souri.

— Ce n'est pas une question de possession mais de passage, Qu'il a trouvé à répliquer à mi-voix, les yeux perdus dans le chemin que prenaient les doigts de son amante sur le blanc pour en briser la fadeur. « Une façon de dire, j'étais là.
— Je crois que c'est plus que ça, Ajoute t-elle finalement en abaissant les mains, reculant d'un pas pour contempler son œuvre – esquissant au passage une grimace critique. « Je crois, Qu'elle reprend, Que la peinture se trouve à l'exact embranchement d'où on a été, d'où on est, et d'où on sera. C'est un adieu et une promesse de se retrouver. C'est tout à la fois.

Il est resté muet plusieurs instants, choisissant de méditer sur ce qu'elle venait de théoriser sur la chose ; il était presque certain de trouver dans cette vision-là quelque chose d'apaisant, de tendre pour l'esprit. Laisser sa trace, oui : partout, chaque fois, à n'importe quel prix. Bizarrement, il a aussi eu l'impression que cette philosophie s'appliquait aussi à leur relation à eux ; car ce qu'ils cherchaient aussi frénétiquement, ce n'était pas de se posséder, mais de marquer l'autre avec tant de profondeur, tant de sincérité, qu'ils resteraient pour l'un et l'autre impossibles à oublier. Ce qu'ils convoitaient vraiment, c'était l'art d'être pour chacun ce qui avait été, ce qui était, et ce qui serait – l'art d'être tout à la fois, de tout ressentir en un cri, en un rire : l'extase de l'amour retrouvé, et la douleur de songer que bientôt, tout serait déjà fini.
Après une poignée d'instants, Guilhem s'est dirigé à son tour vers la palette barbouillée de couleurs ; son index s'y plonge, rencontre la teinte vert émeraude mélangée par la vélane. Mais ce n'est pas vers la toile que ses pas le mènent, mais vers cette dernière – qui l'observe d'un air dubitatif. D'un geste naturel, voilà que son autre main ne glisse lentement vers le bas pour saisir le tissu vaporeux de sa robe, et le retrousser pli par pli pour en dévoiler la jambe voilée de bas. En silence, la posture du français se baisse, pour faire face à cet éclat de peau tout juste montrée ; et contre le haut de la cuisse, sur cette parcelle d'épiderme secret, proche de la hanche, son index peinturluré trace une ligne avec lenteur, jusqu'à ce que le doigt ne s'arrête. Là, il a pressé ses lèvres avec lenteur, une fois,  deux fois, trois fois.
Là où il avait été, où il était, où il serait.


— Je reviendrai, A t-il murmuré avec malice, contre la peau hérissée de sa cuisse.
— Tu es complètement cinglé, Qu'il a entendu souffler la vélane un peu plus haut, alors qu'elle glissait les doigts dans les épis bruns de ses cheveux.

Mais un peu plus loin, ils ont entendu des bruits de pas réguliers s'approcher ; d'un mouvement vif et conjugué, voilà que l'amant se redresse, que la sorcière n'en replace convenablement le tissu de ses jupons. Juste à temps pour adopter une posture de convenances, alors que la silhouette hautaine de Félicie rentrait dans la salle. L'air peu surpris, vaguement dédaigneuse, elle a laissé son regard naviguer entre la toile derrière sa sœur, et les doigts peinturlurés de celle-ci.

— J'espère que tu n'as pas prévu de carrière complémentaire dans la peinture, chère sœur, Lance la vipère avec un sourire vaguement railleur. « Je suis sûre que ton petit-ami ferait mieux, même avec son moign...
— Félicie ! Gronde Althea en fusillant celle-ci du regard – une réprimande que l'autre a semblé prendre avec la plus grande des légèretés.
— Tiens, tu tombes bien d'ailleurs, Intervient Guilhem avec le plus grand des flegmes, comme s'il n'avait absolument pas entendu la provocation de la plus jeune sœur à son égard. « Je devais te parler d'une chose.

La benjamine l'a dévisagé une seconde d'un air peu intéressé, puis a balayé la proposition d'un mouvement de main en faisant mine de se tourner pour quitter la pièce.

— Une autre fois, peut-être. J'ai un cavalier à retrouver, et...
— C'est à propos d'Isidora.

Mot magique, à n'en point douter ; voilà que la gamine se fige, l'oreille soudain attentive. Elle pivote le menton vers lui – quelque chose dans son regard a changé. Et Guilhem, il sait qu'il a gagné. Plus loin, Althea lui lance un coup d'œil, parce qu'elle a compris.

— Je vais vous laisser, Prétend t-elle évasivement en quittant la pièce d'un pas léger.

Ne laissant que la vipère, et lui.
Althea Lovegood
Althea Lovegood
Admin

Onglet 1
Âge : 25
Occupation : Joaillière
Head : be a fool ⎯ althem 21c29054d0a8d9b604e39302a7641e83
Messages : 10
Date d'inscription : 26/03/2024
Onglet 2

   

stars, hide your fires
ft. guilhem verrier
28 avril 1949 ⎯ New york ; Metropolitan museum of art

TW alcool, sang, meurtre, tentative de viol

Les années d’Althea à Beauxbatons ont été hantées par les images fugaces d’un garçon aux yeux noirs. Par le souvenir de ses nuits blanches, passées à rêver de cheveux plus sombres que le ciel au-dessus de sa tête et à compter les étoiles pour oublier celles qui naissaient puis mouraient dans ses yeux, devant des sourires qui ne lui étaient jamais destinés. Guilhem Verrier représentait ses ténèbres les plus profondes et toutes les secondes à se perdre dans les détails de ses aspérités. Il était la lenteur monotone de ses jours les plus longs à somnoler dans l’espoir de retrouver l'inatteignable, dans des rêves charnels où la chaleur de son corps pouvait presque se faire sentir contre les courbes du sien. Son départ avait offert à l’adolescente qu’elle était un chagrin incommensurable, qui avait arraché à ses yeux quelques larmes. Offrandes cruelles qui s’étaient perdues dans la constellation de ses tâches de rousseur, pour ne devenir que des vestiges d’un temps oublié.

À ses souvenirs se superpose le visage d’Auguste, lui qui n’attirait son attention que par ses sourires et ses approches discrètes, lui qu’elle prenait souvent soin d’ignorer. Parce qu’il n’était pas Guilhem, il n’avait pas le droit d’exister. Il devait se contenter de n’être qu’un esprit dans le sillage de ses pas rapides. Mais Guilhem n’étant plus, Auguste s’est insinué dans les failles de sa souffrance. Althea a alors commencé à remarquer que les cheveux du garçon pouvaient avoir la même teinte. Que ses yeux étaient plus clairs mais que dans la noirceur de la nuit, elle pouvait presque les confondre. Et dans son cœur d’adolescente, les traits de son amant imaginaire se sont mêlés à ceux d’un homme qui l’aimait. Qui la voyait enfin, comme elle aurait aimé que le fantasme de ses nuits puisse la voir. Peut-elle dire qu’elle l’a aimé ? Peut-être que son cœur a cru que l’attirance qu’elle ressentait pour son corps, que la chaleur naissante dans son être face à ses sourires formait un amour indéniable, de ceux qui affrontent l’éternité. Un qui s’est pourtant fané, car lorsqu’elle en a eu l’occasion, Althea s’est échappée. Loin de ses doigts, loin de leurs baisers volés dans des couloirs silencieux. Loin de l’illusion d’un amour qui était là pour lui faire oublier que, durant ses nuits agitées, l’homme à ses côtés prenait parfois l’apparence d’un autre. Peut-être alors que si Althea l’aimait, ses sentiments étaient plus forts encore, quand ses yeux se fermaient pour que ses mains se fassent celles d’un Verrier.

Il serait si simple d’avouer à Guilhem qu’elle s’est souvent perdue dans les bras d’un autre en ne voyant que lui. Qu’elle passait à ses côtés, son cœur blessé par son incapacité à remarquer ses tentatives de tendre ses doigts pour effleurer les siens. Il était cette silhouette qu’elle apprenait à connaître par cœur et dont elle suivait les itinéraires dans l’espoir de croiser son regard et, qu’enfin, il se laisse avoir par sa façon d'essayer d’attirer son attention. Mais comment lui faire croire, quand les secrets qu’elle dissimule dans les tréfonds de son ventre sont si nombreux ? Comment lui dire dans les yeux que le seul véritable homme qu’elle ait aimé porte son nom, quand elle est retournée si souvent dans les bras d’Auguste. Althea sait qu'il ne peut la croire. Elle même douterait du bien fondé de ses mots, encore tourmentée par le souvenir de nuits plus récentes, où Guilhem n’était plus qu’un souvenir ancré dans les tréfonds de son inconscient. La culpabilité est bien présente dans le creux de son ventre, mais ses pensées s’échappent quand leurs lèvres se retrouvent. Que dans sa main la sienne reprend sa place. Que leur passé ne devient qu’une fumée indistincte dans les interstices de ce gala, que les effluves du champagne les aident à oublier qu’un jour, ils ont pu aimer d’autres âmes. Dans le dédale des peintures, des couleurs qui les capturent et des sons qui arrivent à les étreindre, Althea et Guilhem en oublient chaque être qu’ils peuvent croiser. Il est si courant, pour les deux amants, de prétendre que le monde autour d’eux n’est qu’une illusion dont ils sont les maîtres. Une qu’ils peuvent faire disparaître dans les souvenirs d’instants qui n’appartiennent qu’à eux. Comment se soucier des voix qui portent, des êtres qui s’élancent sur la piste avec une élégance soumise aux contraintes de leurs rangs quand elle peut sentir la chaleur de son souffle contre sa peau nue. Quand le bout de ses doigts remontent le long de sa cuisse pour se fondre sur son épiderme, murmurant des promesses qui s’ancrent dans son esprit et qui empoisonnent ses désirs les plus profonds.

Seule la voix de Félicie a la capacité de la sortir de ce songe utopique, elle et sa façon d’offrir au monde le sentiment qu’elle en est la reine incontestée. Dans le cœur d’Althea, les éclats d’or offerts par les lèvres de Guilhem deviennent d’aniline — noir de rage et non plus de désir. Les frémissements et les soupirs bloqués dans sa gorge sont rongés par les propos de sa cadette et la couleur sur ses doigts ne devient plus que la réminiscence des traces honteuses de sa peinture. De cet art dont elle ne sera jamais maîtresse ou seulement dans ses impénétrables rêveries. Le serpent a frappé et la vélane a conscience qu’elle ne devrait pas laisser son venin s’ancrer dans ses pensées, mais il est déjà là, il sature les battements irréguliers de son cœur. Pourtant, ses traits stoïques ne dévoilent rien, ils n’expriment qu’à peine une douleur éparse qui s’efface dans les intonations de sa voix et dans sa façon de la maudire à travers des malédictions indicibles. Ou le sourire qui éclot au coin de ses lèvres devant l’allure de sa sœur, devant cette statue de marbre qui laisse apparaître des failles quand survient l’évocation d’un prénom.

D’une fameuse danseuse aux yeux d’or.

La française ne prend pas le temps de s’en amuser, ni d’exprimer à voix haute quelques réflexions, elle s’échappe, dans un sourire, dans un mouvement de tissus et de pétales rosées dont l’éclat disparaît au détour de l’entrée. Dans son esprit, le vide allonge ses racines infrangibles. Le néant la protège d’une vérité trop cruelle qui lui dévoilerait alors la portée de ce qu’elle fait. Il lui montrerait les dangers à travers la promesse qu’elle a pu faire, celle qui la conduit directement entre les crocs aiguisés de ceux qui pourraient la briser. Mais quelle importance. Si Althea ne pense pas, la portée de ses gestes ne peut pas l’atteindre.

Autour d’elle, les corps sont sublimés par des tenues qui capturent le regard, mélange d’or et de fleurs épanouies qui dansent jusqu’aux reflets de leurs cheveux agités, des gorges qui se dévoilent dans des éclats de rire et des murmures qui se font aux creux des tympans. Ballet fascinant de faux sourire, de tout ce qu’Althea méprise et à travers desquels elle se fond pourtant en imitant l’étirement de leurs lèvres. Elle dévoile ses dents albâtres, la blancheur de ses doigts qu’elle agite devant quelques visages connus, croisés lors de soirées sur l’autre continent. Althea est reine à ce jeu. Pourtant, ses yeux ne cherchent que le visage de Thomas, mais dans ce monde tous les profils sont les mêmes, toutes les voix ont des intonations semblables. Même les recoins ne dissimulent que peu d’âmes, si ce n’est certaines qui s’échappent à la pression de la foule pour glisser entre leurs lèvres de quoi les aider à soutenir l’hypocrisie de leur existence.

Quand elle l’aperçoit enfin, l’amusement qu’elle dévoile est plus sincère ; presque insolent. Elle pourrait prétendre ne pas être surprise de le découvrir dans une partie du musée plus silencieuse, à l’abris de la musique et des bruits, accroché aux bras d’une femme aux cheveux sombres. Ses lèvres auparavant si offusquée par la tenue diaphane de la vélane, sont désormais glissées contre l’épiderme dénudé d’une femme qui soupire son prénom à l’abris des oreilles indiscrètes. Althea serait presque tentée de s’en éloigner, de les laisser satisfaire les désirs de leurs corps, mais à la place, c’est un raclement de gorge qu’elle fait entendre et un sourire amusé qu’elle dévoile face aux traits surpris que les deux amants dévoilent.

— Je suis désolée de vous déranger, Commence-t-elle en s’avançant d’un pas. « C’est que ma soeur vous cherche.

Si l’inconnue s’offusque d’être la femme de trop, elle n’en dévoile rien, même Thomas n’a pas le respect de paraître désolé – de sa tromperie ou simplement de s’être fait prendre, ses doigts perdus sous le tissu d’une autre.

— Dorothy, tu peux nous laisser ? Souffle l’infidèle aux oreilles de sa dulcinée, tandis que sa main remonte le long de son flanc pour se perdre dans ses cheveux. « Promis, je ne serai pas long.


La jeune femme acquiesce en pinçant les lèvres avant de s’en aller, sans un mot supplémentaire, sans un baiser d’au revoir. Avec un simple regard mauvais envers la vélane qu’elle dépasse d’un pas fier. Elle les laisse alors seuls, seuls au milieu des tableaux qui se déplacent et Althea pourrait jurer que même les peintures ont décidé de retenir leur souffle quand Thomas s’avance et que la française reste en place, le dos droit, malgré le léger frémissement qui remonte le long de son dos. C’est qu’elle voit dans le regard de l’homme ce qu’il éprouve. Triste malédiction que de ne pouvoir s’empêcher d’attirer à elle le désir que certains éprouvent à l’idée de la posséder.

— Est-ce que Félicie sait ce que vous faîtes ici ? Demande Althea, avec le timbre de celle qui connaît déjà la réponse à sa propre question. « Je doute qu’elle apprécie de savoir que vous ne prenez même pas la peine de vous faire discret.
— Je n’ai fait aucune promesse, Fait remarquer Thomas d’une voix placide en remettant de l’ordre dans les plis de sa veste. « Une créature devrait déjà s’estimer heureuse d’être vue à mon bras.
— Mère était beaucoup plus exigeante quand elle choisissait mes cavaliers, Soupire la jeune femme, sans pour autant s’attarder sur les propos offensant tenus par l’homme. « Quoi qu’il en soit, ma sœur m’a demandé de vous conduire jusqu’à elle. Vous pouvez rester là si vous le souhaitez, mais je serais alors dans l’obligation de prévenir ma mère pour vos dérives et bien qu’elle ne soit qu’une… Créature, je dois tout de même vous prévenir qu’elle n’apprécie que peu d’être contrariée.

La vélane tente de ne pas succomber à la violence qui éclot dans le creux de son ventre, cette colère qui l'incite à le détruire par ses mots ou par ses doigts. De briser la suffisance de l’éclat qui règne dans son regard, celui qui parcourt le corps de la jeune femme comme s’il était déjà sien. Elle se raccroche à l’idée plaisante que Bonnie lui fera subir ce qu’il mérite sans qu’elle ne soit obligée de se laisser mener à l’action bestiale que ses mains désirent. Althea se sert alors de tout ce que son éducation lui a offert. Elle force sur ses lèvres un sourire qui pourrait presque sembler vrai, son visage se redresse. Véritable port altier — pardon, port Althea ; tête levée sur laquelle on pourrait déposer une couronne et ainsi la proclamer reine des faux semblants. Elle n’attend pas pour partir, pour quitter la pièce et laisser à sa future victime le choix, car elle sait déjà qu’elle a gagné. Pour preuve, elle n’a pas besoin de ralentir le pas que celui de Thomas se fait déjà entendre dans son dos, offrant à ses lèvres un sourire victorieux qu’elle dissimule en tournant sa tête vers lui.

— Courageux mais pas téméraire, Remarque-t-elle. N’ayez pas honte de votre faiblesse, vous n’êtes pas le seul à être terrifié par ce que pourrait faire ma mère.
— Cela ne se voit pas, Répond-il en venant à sa hauteur. À moins qu’une femme comme elle apprécie une tenue aussi provocante.

Sans s’offusquer, la femme rit, de l’un de ces rires qui résonne dans le couloir et attire à eux quelques regards curieux. Son éclat de vélane résonne tel le tumulte d’une cascade d’or et de diamants. Si Thomas s’agace de la légèreté de la femme à ses côtés, elle ne s’en amuse que davantage. C’est qu’elle a arrêté de se soucier des avis de ces personnes pour qui provocant veut dire décadent. Elle préfère périr que d’être blessée par la frustration de ceux qui ne seront que des visages passagers dans le déroulé de son existence.

— Ne prétendez pas mépriser mon apparence lorsque votre regard s’attarde davantage sur mon corps que sur mes traits, Fait-elle avec un rictus au bord des lèvres. « Si ma tenue est trop provocante pour vous, peut-être devriez-vous l’ignorer et vous contenter me regarder dans les yeux lorsque je vous parle.
— Une femme ne devrait pas s’offusquer de devenir un objet quand elle offre tant aux yeux des hommes, Affirme Thomas en détournant pourtant son regard de la robe.
— Un homme ne devrait pas s’étonner de passer pour un idiot, lorsqu’il ose avoir des propos si stupides.

Profitant de leur proximité, la main de Thomas s’empare de son poignet et l’attire face à lui, suscitant quelques regards curieux devant cette scène d’effusion soudaine. Même Althea ne parvient pas à étouffer sa surprise quand il avance son visage près du sien et qu’elle se retrouve forcée à affronter la noirceur et la froideur des iris qu’il plonge dans les siennes.

— Est-ce que vous vous pensez maligne parce que vous vous perdez dans la luxure à travers les draps d’un homme pour qui vous ne serez rien d’autre qu’une fille facile ? Lâche-t-il dans un ricanement étouffé par sa frustration. « Parlez si vous le désirez, mais vous n’êtes qu’une catin comme les autres, simplement sauvée par la malédiction de votre espèce et par votre nom. Mais n’oubliez pas que tous les héritages se dilapident et qu’un jour, vous payerez les conséquences de votre insubordination.
— Je préfère être une catin solitaire qu’être un homme qui se prétend le maître de ce monde, quand il ne fait que profiter de ses privilèges, Laisse-t-elle échapper à travers un murmure.
— Est-ce que tout va bien ici ?


La voix grave dans leur dos les arrachent tous les deux à leur échange, à leurs murmures glaciaux qui serpentent encore entre leurs âmes pour les empoisonner d’une colère implacide. L’homme devant eux est plus âgé, mais il possède les mêmes traits que son fils, le même regard vipérin qu’il attarde sur la robe de la vélane, plus que sur la main qui la maintient fermement ; et qui la libère aussi rapidement qu’elle a su s’en emparer.

— Oui père, Reprend Thomas plus sobrement, Je vous présente Althea Lovegood, la sœur de ma cavalière. Elle me menait justement à elle.
— Enchantée, Prétend la sorcière.

La fracture dans le visage d’Althea n’a duré qu’une seconde. Une imperceptible faille dans le marbre de ses traits avant qu’elle ne retrouve une façade plus lisse ; ainsi que sa capacité à prétendre qu’elle n’a pas été possédée par le besoin meurtrier de briser l’homme entre ses doigts fins. Si elle doutait de son talent pour forcer un sourire sur ses lèvres, elle le fait pourtant, elle incline même sa tête dans une salutation polie. Elle doit alors prendre sur elle-même pour trouver la force de tendre sa main quand l’homme avance la sienne, pour ne pas reculer quand des lèvres inconnues l’embrasse avec lenteur.

— L’enchantement est surtout pour moi. Avoir une créature si rare sous les yeux est un honneur que chaque homme devrait connaître, Répond l’ancien en papillonnant du regard, détournant ensuite difficilement son attention sur son fils. « Pas de vagues aujourd’hui Thomas, je compte sur toi pour faire honneur à notre nom.

Le fils acquiesce. Le père repart. Althea reprend sa marche. Chacun agit sans qu’un bruit ne s’échappe de leurs lèvres désormais closes.

Entre les deux sorciers qui avancent l’un à côté de l’autre, la tension est présente, mais ils n’ont pas l’indécence de repartir dans une esclandre. Elle voudrait pourtant s’offusquer de ses mots passés, lui renvoyer au visage ce qu’il a l’audace de penser être la vérité, ainsi que sa capacité à prétendre sans ciller que les femmes sont inférieures à lui. Elle voudrait, mais elle n’en fait rien. Elle laisse mourir au creux de son ventre sa fierté, non pas par lâcheté mais pour que sa colère ne la pousse pas à commettre un acte qui viendrait, par la suite, la hanter. C’est qu’Althea le sait, si elle a arrêté d’assister aux réunions qui faisaient pourtant battre son cœur, si elle s’est éloignée de ces femmes qu’elle regardait avec admiration, c’est tout simplement parce qu’elle a sentit la flamme naître dans sa poitrine.
Celle qui menaçait de l'embraser tel un feu encouragé par la force du vent.

Le vitrail qui apparaît devant ses yeux est le symbole de sa libération prochaine. Il dévoile ses couleurs automnales et sa cascade, ensorcelée pour laisser résonner le son de l’eau qui éclate contre les rochers en contrebas. Cette mélodie envoûtante apaise son cœur malmené par leurs échanges. Elle pourrait presque oublier la présence de Thomas si sa voix n’avait pas eu l’audace de se faire plus forte dans son dos.

— Où est Félicie ?
— Elle était juste là quand je suis partie… Affirme la sorcière, en prétendant être confuse par l’absence de sa cadette. « L’attente a dû la lasser…

Althea quitte difficilement du regard le vitrail et sa ribambelle d'éclats de lumière pour reporter son attention sur l’homme derrière elle. Sur le masque de stoïcisme maintenu sur le visage de Thomas, les doutes parviennent à creuser un sillon entre ses sourcils. Sa prétendue patience s’étiole et ses filaments se défilent à travers ses traits au fur et à mesure que la peur de s’être fait duper prend sa place. L’homme dévoile alors une expression plus menaçante face au silence d’Althea. Réflexe archaïque pour essayer d’asseoir la dominance dont il pense être le roi. Les lèvres d’Althea se serrent alors jusqu’à ce qu’elles ne forment plus qu’une ligne indistincte et que dans sa gorge les mots se meurent.

Ils sont beaucoup plus nombreux dans sa tête, ils répètent et dessinent les traits de François et les souvenirs passés d’un temps où elle était la martyre de ses infâmes désirs. Althea sait que les hommes n’aiment pas attendre, ils n’aiment pas non plus l’illusion d'infériorité qu’ils ressentent face à ces femmes qui osent parler et répondre à la stupidité de leurs propos. Quand il s’avance, elle ne peut alors pas s’empêcher de reculer et de maudire la coquetterie qui l’a faite ne pas prendre sa baguette pour ne pas gâcher les détails de sa robe.
Althea voudrait pourtant ne pas ressentir cette impression de vulnérabilité ; de faiblesse face à celui qui tente de la faire ployer de son regard assassin.

— Dire que Félicie m’avait prévenu…, Débute la voix traînante de Thomas. Elle m’avait dit que tu étais de ces femmes faciles qui cherchent juste à obtenir l’attention. » Dans sa gorge, sa voix se meurt, remplacée par un rictus qui saurait glacer le sang des plus téméraires. « Elle m’avait dit que tu serais sûrement en colère de la voir au bras d’un homme mieux placé que ton cavalier et que tu essayerais sûrement de me séduire pour te venger.
— Félicie est une menteuse, Souffle Althea en reculant d’un pas.
— Elle ne viendra pas, c’est ça ? L’interrompt Thomas.
— Elle était juste là…


La voix d’Althea se brise quand l’homme s’avance brusquement. Elle se recule alors, aussi vite que ses jambes peuvent la porter et ce jusqu’à ce que le mur dans son dos ne devienne plus qu’une barrière à sa potentielle liberté.


— Si tu voulais te retrouver seule avec moi, il suffisait de le demander.

Il va l’atteindre. François va l’atteindre.
Elle peut presque sentir les relents de son eau de Cologne ainsi que la nausée qui monte dans sa gorge et qui la pousse à fermer les yeux, juste avant que Thomas n’arrive devant elle. La sorcière se prépare à l’impact, à la violence de doigts inconnus contre son épiderme et d’une présence indésirable contre son corps. Mais la douleur ne vient pas. Quand elle prend sur elle pour l’affronter, tout ce qui lui fait face c’est la silhouette figée du sorcier à quelques centimètres d’elle. Althea pourrait jurer qu’elle lui a jeté un sort, qu’elle a su se défendre uniquement grâce à sa volonté de le briser, mais le long des lèvres de l’homme s’écoule un filet carmin. Avant qu’elle ne puisse comprendre la scène qui se déroule devant ses yeux, une toux fait parvenir jusqu’à sa robe des éclats vermeils qui se fondent à la teinte de ses pétales. Thomas s’effondre à genoux. Il dévoile la silhouette de Bonnie dans son dos, un poignard serré dans sa main et un sourire éclairant ses lèvres.

Aux yeux d’Althea, le temps se fige. Elle peut le sentir à la musique qui cesse de résonner, aux horloges de sa montre qui n’avancent plus. À la foule au loin qui n'émet plus le moindre son — même les murmures indistincts se sont étouffés. Althea ne respire plus. Dans sa poitrine son cœur s’est arrêté, tout comme le reste de ses organes qui ont cessé de fonctionner. Seule Bonnie parvient à capturer son attention, elle et le sang qui s’écoule sur le sol et qui vient emplir l’air de ses relents de cuivre. Si elle voit les lèvres de son amie qui s’agitent, qui se mouvent et qui l’interpellent, le tambourinement sourd dans ses tympans rend ses propos indistincts.
Seules les mains qui se déposent sur ses bras et qui s’évertuent à la secouer arrivent à l’arracher à sa torpeur, à sa contemplation du corps à ses pieds, dont les traits se mélangent au visage de son oncle.


— Tu dois t’en aller, Thea.
— Est-ce qu’il est…
— Retourne en bas, tu as été d’une grande aide, mais je n’ai plus besoin de toi, Se contente-t-elle de répondre avec impatience. Va boire une coupe de champagne, va danser avec ton cavalier.

L’homme qu’elle enjambe alors est mort et Althea en est la cause.

Cette affirmation prend assez de place dans son ventre pour qu’elle ne cherche pas à débattre quand Bonnie la repousse doucement vers le couloir désert. Non, Althea acquiesce même assez mécaniquement. Sans méprise, ce n’est pas le sang, le corps au sol ou encore la violence de l’attaque qui l'enferment dans cette léthargie. Ce ne sont pas non plus les images de l’épervier et le souvenir de la chaleur de son sang sur ses mains qui la font tanguer. Non. C’est cette sensation qu’elle éprouve dans ses tripes, celle qu’elle ne parvient pas à s’avouer tant elle lui semble déplaisante. C’est une satisfaction mortuaire. Parce que Thomas est mort et qu’il le méritait. Parce que la vision de son cadavre sur le sol de marbre ôte à l’esprit d’Althea la vision tortueuse de son oncle. Celle qui s’effrite et qui arrache à son ventre le poids de son passé. Si Althea est troublée, c’est parce qu’elle se sent libre, plus qu’elle ne l’était déjà, comme si elle prenait finalement conscience de la violence de son passé.
Mais peut-on dire qu’un homme mérite de voir sa vie s’achever sans qu’il n’ait le temps de prendre conscience de son éphémérité ?

L’absence de culpabilité et l’adrénaline qu’elle ressent jusque dans ses veines quand elle quitte le couloir reculé et, qu’autour d’elle, la vie commence à reprendre sa place, accélèrent son souffle. Ses respirations, qu’elle puise au plus profond de son ventre, se font plus bruyantes. Supplications silencieuses qui en demandent davantage. Retrouver sur son visage vélanien les traits stoïques dont elle est reine est le plus difficile, car elle peine à dissimuler le simulacre de sourire qui s’y est ancré.

Tant pis pour le sang invisible et indélébile qui coule désormais sur ses doigts.

Ses pas s’élancent et le soulèvement irrégulier de son ventre s’apaise.
Elle replace derrière son oreille une mèche audacieuse qui s’est échappée, elle remet en place les plis indélicats qui se sont formés sur le tissu transparent de sa robe. Derrière ses iris incandescents, la vie retrouve sa place. Maladroitement, les étincelles reprennent leur flamboiement dans ses prunelles, elles s’installent dans l’espoir de lui faire oublier la part de son âme qu’elle a condamnée. Le brouhaha de la foule qu’elle retrouve vient la frapper de plein fouet, son esprit n’est plus apte à étouffer les sons et, pendant une seconde passagère, elle n’est plus certaine de savoir comment faire. L’instant est fugace et se brise quand elle croise son regard. Si son sourire était malhabile, il se fait sincère quand elle s’avance et que dans ses bras, elle retrouve sa place.
Malgré son désir, elle ne l’embrasse pas, elle se contente de blottir son visage dans le creux de son cou, de s’abreuver des effluves de parfum et de fleur. D’amour et de bonheur. De ses mains qu’elle sent se déposer dans le creux de son dos et de sa voix qui vient murmurer à son oreille son prénom. Douce mélopée qui vient effacer la noirceur qui s’accroche encore à elle. Les deux amants enlacés sont figés, blottis dans un monde qui s’arrête. Personne n’aurait l’audace de venir briser les cœurs qui se retrouvent et qui gardent le silence.


— Quand tu auras terminé de te donner en spectacle, tu pourras me dire si tu as vu Thomas.

Personne, sauf les âmes les plus mesquines.

Le soupir que libère Althea se perd contre l’épiderme frémissant de son amant. Elle prend pourtant son temps pour se défaire de son étreinte et pour s’attarder ensuite sur le visage fermé de sa benjamine. Elle ose même sourire, non pas de sa phrase, mais de son allure. De sa mine fermée, celle qui prouve que ses instants passés avec Guilhem n’ont pas joué en sa faveur. Si Althea ignore la portée de leur discussion, il suffit de voir la froideur de sa sœur ainsi que son incapacité à laisser sa langue de serpent danser entre ses sourires, pour comprendre que l’homme a brisé les cornes du diable. Contre toute attente, c’est la faille dans son visage si parfait qui permet à Althea de revenir sur Terre. De quitter les enfers installées dans son esprit et d’éteindre ses flammes incandescentes.


— Oui je l’ai vu, Confesse la vélane avant de reporter son attention sur Guilhem, comme si sa sœur avait disparu dès la fin de son affirmation. « Mon amour, j’ai envie de danser.
— Vos désirs sont des ordres, Répond tranquillement son amant en inclinant sa tête.
Ses doigts se glissent entre les siens, ils s’entremêlent tandis qu’ils s’éloignent, laissant la plus jeune dans sa solitude.
— Althea ! S’exclame Félicie d’une voix qui se perd dans des airs plus aiguës. J’exige une réponse !

Il serait si simple de l’ignorer, de la laisser se donner en spectacle devant ces convives qui murmurent son nom et s'étonnent qu’elle puisse ainsi s’emporter. Mais Althea ne peut pas s’en empêcher. Sans libérer la main de son amant, elle tourne son visage vers sa sœur. Pourrait-elle murmurer sa confession ? Certainement, mais elle ne lui fait pas ce plaisir. Sa voix porte assez fort pour que les convives puissent alors prendre conscience de ses aveux. Cruelle âme qu’elle est devenue lorsqu’elle entrouvre ses lèvres pour libérer sa sentence.

— J’ai vu ton cavalier dans les bras d’une autre femme, Confesse Althea d’un ton léger. Je crois que Thomas n’est pas homme à apprécier les… De quel mot a-t-il usé pour te décrire déjà… » Les mots s’arrêtent, doux silence maîtrisé auquel elle met fin dans un haussement d’épaules. « Les créatures.

Et la vélane s’effondre.
Althea peut le voir à la façon dont Félicie bat des cils, dont elle entrouvre sa bouche pour répondre sans que son venin ne réussisse à parvenir jusqu’à ses lèvres. Peut-être qu’Althea pourrait avoir un peu de pitié, mais elle n’en fait rien. Non, sa main attire Guilhem au milieu des corps qui s’enlacent pour glisser ses doigts dans son dos, glisser sur ses traits un air amusé quand ses iris plongent dans les siennes. Sous le ciel de pétales et d’étoiles, la jeune femme libère un soupir quand elle retrouve le chemin de sa nuque, de ses mèches d’aniline qui capturent la lumière autant que ses souffles. Ceux qu’il vient perdre dans le creux de son oreille quand il l’attire tout contre son corps, et que leurs deux êtres se mêlent dans les mouvements lents de la musique qui parvient jusqu’à eux.

— Tout s’est bien passé ? Murmure Guilhem, ses doigts effleurant avec lenteur les pétales dans le bas de son dos.
— Oui, je l’ai laissée avec Bonnie. Répond évasivement Althea. Et toi ?
— Félicie n’est pas une aussi bonne amante que to… Débute l’insolent avant de s’interrompre dans une grimace quand Althea le pince.
— Tu es un idiot.
— Un idiot amoureux, tu oublies toujours de le préciser.
— Et un beau parleur.


Un rictus se meurt sur les lèvres d’Althea lorsqu’elle recule son visage, juste assez pour pouvoir détailler la courbe de ses traits, de ce profil qui s’offre à elle.

— Nous avons passé une semaine sans nous voir et la moindre minute qu’on nous accorde est interrompue, Fait remarquer Althea dans un souffle. Par pitié, la prochaine fois, mettons-nous d’accord pour nous retrouver ailleurs que lors d’un gala.

— Comme par exemple dans tes draps ? S'amuse-t-il en effleurant de son pouce la courbe de son dos.

Les secondes se suspendent, parce que ses lèvres s’approchent des siennes et que la chaleur de son souffle se mêle au sien. Bien assez pour que ses mots résonnent dans la caresse de ses effluves. De son regard qui dévore le sien.

— Mes draps sont en manque de toi…, Avoue la tentatrice dans un murmure plus grave. Je dois confesser qu’ils ont été froissés lorsque mes nuits solitaires devenaient trop difficiles à supporter. Mais mes doigts n’ont pas le même talent que les tiens.

Elle ose, l’audacieuse. Elle ose sourire quand elle voit la fracture qui se fait dans les prunelles de son amant — d’un noir néant. Dans leurs regards qui s’accrochent, de leurs souffles qui se font plus lourds, portés par leurs corps qui se rapprochent et qui brisent les espaces superflus qui se sont insinués entre eux.

— Ferons-nous également la une de leurs quotidiens à scandales s’ils nous surprennent ? Souffle Althea d’une voix plus rauque. Je vois déjà nos noms en lettres d’or.
— Nous pourrions collectionner les journaux, peut-être feront-ils l’effort de nous trouver un surnom.

Le rire qui franchit les lèvres de la vélane se perd en cascade.
Il s’étouffe contre les lèvres de Guilhem, dévoré par ce baiser enfiévré qu’il lui offre comme si les convives autour d’eux n’étaient que des silhouettes sans âme. C’est qu’il est si simple pour eux de replonger, de se noyer dans leurs étreintes, de leurs doigts qui s’agrippent, suppliant de s’offrir davantage de temps. Leurs respirations s’alourdissent, leurs respirations se meurent. Savent-ils encore ce que ça fait d’inspirer de l’air ? Quand tout ce qui existe n’est plus que la chaleur moite de leurs corps qui se cherchent, de leurs cœurs qui se fracassent contre leur poitrine et que la réalité se trouble.

Guilhem est partout. Dans chacune de ses pensées erratiques, contre chacune des courbes de son corps qui réclame davantage que ce baiser ; que la caresse sage de leurs doigts crispés. De leurs bouches malmenées par l’ardeur de leurs souffles, de ses dents qui finissent leur course dans leur pulpe rougeâtre. Ses jambes alanguies par son désir peinent à maintenir son corps tanguant. Elle est pourtant la première à se défaire de cette étreinte inappropriée, offrant à son oreille la frustration du souffle rauque de son amant.

— James m’a dit qu’il connaissait des endroits sympas où finir la soirée, Reprend Althea, comme si son cœur ne menaçait pas de s’échapper de sa poitrine.
— Je connais des endroits où finir cette danse, Vient-il insinuer contre la peau brûlante de son cou, martyrisant ce dernier d’une morsure.
— Pourquoi la finir alors qu’elle ne fait que commencer ?


La fausse ingénue prétend ignorer la lueur fauve qui scintille dans les regards que Guilhem fait naviguer sur ses lèvres entrouvertes. Elle prétend qu’elle même n’est pas hantée par le désir que sa bouche vienne redécouvrir les courbes de son épiderme, comme si chaque grain de beauté était une nouvelle révélation à aimer un peu plus fort que les précédentes.

— Cruelle vélane, Glisse-t-il en dégageant une de ses mèches d’or de son épaule pour continuer la course de ses lèvres, s’égarant entre les pétales et le tissu diaphane.

Les pas qui s’approchent d’eux, le claquement régulier et rapide des talons sur le sol de marbre les pousse à tourner leur visage, dans un mouvement commun, en direction d’une Hafsa dont la mine fermée parvient à ôter à Althea le sourire qui s’était installé.

— Le cavalier de Félicie a disparu, Commence-t-elle en se bornant à éviter le regard de Guilhem, comme si ce dernier n’était pas assez bien pour exister à ses yeux.
— Bonsoir Hafsa, c’est un plaisir de te revoir, L’interrompt pourtant le sorcier avec malice. « Ta robe est sublime, est-ce que ce sont de véritables roses que tu..

S’il s’interrompt c’est seulement face au regard noir de la jeune femme ; qui ne prend pourtant pas la peine de lui répondre. Mais également à la petite tape qu’Althea abat contre sa poitrine.

— J’ai entendu des invités dire qu’il avait été aperçu avec toi juste avant de disparaître, Reprend Hafsa avec un soupir agacé. Est-ce que c’est possible de passer une soirée avec toi sans que cette dernière ne tourne au chaos ? Vas-tu nous faire enfermer cette fois encore ? Maintenant, je retourne profiter du gala avant que l’un d’entre vous ne fasse brûler ce musée.

Dans un parfait balancement de ses boucles brunes, du tissu de sa robe carmine, la tempête s’éloigne aussi vite qu’elle s’est approchée, ôtant durant un instant les mots de la bouche des deux amants. Le silence qui s’installe est pourtant brisé par le rire léger de la vélane, quand elle reporte son attention sur Guilhem.

— Vous faire enfermer…? Demande Guilhem.
— Une longue histoire, avec un autre voleur… Élude Althea en balayant l’air de sa main. Peut-être que nous pourrions aller visiter New-York dès maintenant.
— Où est Thomas ?
— Disons que s’il réapparaît, je doute de rester dans les bonnes grâces de son père.

Pourquoi ne pas le lui dire ? Que l’homme n’est plus, que son dernier souffle s’en est allé, ne laissant dans son sillage que les infimes particules de sang dispersées sur les pétales de sa robe. Est-ce parce que le reconnaître rendrait la chose plus violente encore ? Ou parce qu’en le faisant, elle se persuade de condamner leurs retrouvailles d’une noirceur trop éparse pour être dissipée d’un simple baiser ?

Ou peut-être que la vérité, c’est que dans le creux de son ventre enfle une peur terrible qui s’insinue dans ses entrailles. Car si elle ne parvient pas à se sentir coupable, si elle se sent libre grâce à la mort d’un homme, peut-être que son âme s’en est allée et que dans les yeux de Guilhem, l’amour risque de se briser en de sombres éclats.

Guilhem Verrier
Guilhem Verrier
Admin

Onglet 1
Âge : vingt-sept ans.
Occupation : poursuiveur tête-brûlée de l'équipe des Vivets de Naples ; la célébrité à laquelle il regoûte avec une forme d'ivresse, après avoir pensé celle-ci définitivement éloignée.
Head : be a fool ⎯ althem Qmtp
Habitation : rues ensoleillées d'un Naples où il apprend à se reconstruire depuis plusieurs mois, loin du Paris mortifère dont il avait fait son propre enfer.
Messages : 14
Date d'inscription : 26/03/2024
Onglet 2

   

stars, hide your fires
ft. Althea Lovegood
28 AVRIL 1949 ⎯ NEW YORK ; METROPOLITAN MUSEUM OF ART

TW consommation d'alcool, relation sexuelle, mention d'assassinat.

La danse qu'ils partagent est un berceau d'indécence. Étreinte de souffles brisés et de corps accolés, tendre balancement de peaux qui se cherchent, se collent et s'effleurent, seulement assez pour faire renaitre le souvenir des moments où ils se retrouvaient enlacés. Les doigts se nouent et se crispent, luttant sans cesse contre leur instincts les plus primaires – ceux qui leur dictent d'explorer, de retrouver toute parcelle de leurs silhouettes familières. Plus d'une fois, il a failli oublier. Plus d'une fois, il s'est forcé à ouvrir les yeux pour en redécouvrir les corps des autres danseurs, pour ne pas céder à plus d'obscénité. Mais le parfum entêtant de sa gorge lui embrouille les pensées, le prive peu à peu de toute conscience collective ; à tel point qu'il est presque soulagé de la voir s'écarter de lui, de mettre à distance la tentation qu'elle représentait à elle-même.
Le cœur encore battant, il tâche tant bien que mal de reprendre une contenance par quelques badinages légers, soulignant d'une ou deux paroles détachées tout le bien qu'il pensait de la robe dont Hafsa s'était drapée. Insuffisant. Car Althea reste là, à portée de ses doigts – ceux qu'il ne peut empêcher de laisser courir dans le creux de son dos alors que la marocaine s'inquiète de leur implication dans la disparition. Même cette nouvelle semble à ses yeux bien futile, tant il reste à l'instant incapable de lui accorder une attention soutenue. Alors peut-être ne saisit-il pas bien la lueur coupable dans les mots de son amante lorsqu'elle s'exprime sur le sujet, peut-être n'est-il pas assez attentif pour se montrer suspicieux – quand bien même les propos de celle-ci restent imprécis, et vaporeux. Une autre fois, il se serait douté de quelque chose : mais à ce moment précis, il se fiche éperdument de l'endroit où peut bien s'être terré Thomas Bridgerton. Ou plus exactement, il n'a pas envie de le savoir.
Seule la perspective de quitter ce gala moribond lui parait plaisante, qui plus est afin de s'éclipser en compagnie de son amante ; docile, le voilà alors qui repousse le sujet des agissements de cette dernière, pour se placer face à elle. Sa main se redresse lentement, pour repousser une mèche dorée d'un geste emprunt de chasteté.

— Tu sais, Fait-il du bout des lèvres, Je crois que ce gala m'ennuie déjà.
— Est-ce que je te distrais tant que ça ? Murmure t-elle à mi-voix.
— Mon ange, je suis actuellement incapable de penser à autre chose qu'à toi, et à tout ce que je meurs d'envie de te faire une fois qu'on sera seuls.
— C'est à dire ?

Le regard est brûlant d'insolence – une petite merveille d'indécence. Elle le défie sans complexes, avec l'air de celle qui sait parfaitement ce qu'elle est en train de provoquer. Et évidemment qu'elle fait mouche : elle le connaît trop bien, pour ça. Le sourire qui pointe à ses lèvres fait écho au sien, alors qu'il approche celles-ci de l'orée de son tympan. Le murmure qui s'y faufile est confidentiel, et fait naître dans l'œil de la vélane une lueur nouvelle – une appétence qui se décline jusqu'à sa silhouette, qu'elle a instinctivement rapprochée de la sienne. Lentement, ses doigts fins remontent contre les mèches brunes de sa nuque, auxquelles ils s'emmêlent.

— C'est un programme intéressant, Souffle t-elle. Je peux savoir ce que tu attends ?
— Ça m'embête de te le rappeler, mais le lieu est plutôt inapproprié.
— Mon amour, tu manques vraiment de créativité, Fait-elle mine de déplorer en se détachant d'un pas de lui, pour reculer légèrement.

Mais sa main, elle, n'a pas lâché la sienne. Au contraire, voilà qu'elle l'enjoint de la suivre, le regard encore brillant d'une mutinerie exquise. Pensez-vous, il n'allait pas se faire prier : pas lorsqu'elle avait cette manière aventureuse de le dévisager, cette lueur fauve au creux des yeux. Pour cette dernière, croyez bien qu'il se serait mis à prier les cieux.
En silence, il l'a suivie de bonne grâce, alors qu'elle l'entrainait vers l'aile ouest du Musée – loin du hall principal où se déroulaient la majorité des festivités. Dans les couloirs de marbre, entre les colonnes hautes, leurs silhouettes se faufilent sans un bruit – si ce n'est le froissement discret des tissus de sa robe contre ses jambes. Peu à peu, c'est tout un statuaire grec qui se dessine autour d'eux, quantité de corps de pierre froide aux postures qui se tordent, se pavanent et posent sur leurs socles austères. Immobiles, on pourrait presque croire qu'ils les observent ; et sans doute est-ce précisément cette chose-là qui amuse Althea. La raison pour laquelle elle ralentit le pas, et qu'au milieu de cette galerie déserte et assombrie, elle se retourne finalement vers lui. Le sourire est flou – peut-être un peu fou – mais les intentions sont claires. Lorsqu'elle recule pas à pas vers l'une des alcôves, dessinée par les arches de marbre gracieuses ; lorsque sous l'œil circonspect d'un éphèbe de pierre, elle glisse lentement ses doigts dans ses cheveux pour les défaire.
Lorsqu'elle lâche sa main, que son dos rejoint la paroi froide et qu'elle plonge son regard dans le sien.

— Je crois qu'on nous observe, Lâche l'héritier en un chuchotis mutin.
— Ça ne t'a jamais dérangé jusqu'à présent, Réplique la vélane immobile, en le suivant du regard tendis qu'il s'avançait vers elle.
— Est-ce que j'ai dit que ça me dérangeait ? Achève t-il finalement non loin de ses lèvres, une fois arrivé à sa hauteur.

Elle n'a pas jugé utile de répondre, parce qu'après un regard échangé, ils se sont embrassés. Un baiser lent, suffoquant, qui laisse mourir la frustration et éclore le désir, un baiser qui s'étouffe, qui se brûle, qui s'accélère. Un baiser qui mord et qui supplie, qui laisse les mains et les jambes tremblantes, vacillantes sous le poids de l'appétence, qui s'impatiente. Qui se joint à l'exploration des doigts, à la bataille des souffles entrecoupés, complice des tissus retroussés et des boutons défaits. Les dents de la vélane s'abreuvent de la peau qu'elle a dévoilé à l'orée de sa poitrine masculine, tendis que la main gauche de son amant descend contre son flanc, pour en repousser les pétales et la mousseline. Mais haletante, voilà alors qu'elle stoppe le geste qu'il a amorcé, privant ses lèvres de l'étreinte des siennes pour y murmurer quelques mots.

— Pas cette main. L'autre.

Et sans doute avait-il l'esprit trop embué à l'instant pour s'interroger ou se questionner d'avantage ; la surprise se dissipe bien vite alors qu'il accède docilement à sa demande, perdant leurs lèvres dans une nouvelle étreinte brûlante. L'or remplace alors la chair, et sous la froideur du métal, Althea frissonne toute entière. Puis lorsque celui-ci se fait caressant, elle enroule ses bras autour de son cou, y enfouit son visage ; sa nuque se fait alors cachette de ses plaisirs, creux où dissimuler la tendresse de ses soupirs. Où perdre son prénom, au cœur de ses propres ondulations.
Suppliantes, les respirations meurent au creux d'un nouveau baiser, alors qu'elle défait fébrilement la boucle de sa ceinture ; ses phalanges délaissent le creux de ses cuisses pour se saisir de celles-ci et les hisser sur le socle de la sculpture la plus proche. Et alors que les lèvres se retrouvent, le dos de la vélane s'écrase contre le marbre antique : un dédain insolent face à l'art grec, qu'ils ne manquaient pourtant pas habituellement d'admirer.
Tant pis, ils auraient tout le temps de s'excuser une fois rassasiés.
Car leurs baisers sont carnassiers ; ils possèdent l'ardeur des fauves affamés, obsédés par la chair à mordre, à embrasser – à tel point qu'ils ne remarquent même pas le vacarme distant qui a commencé à retentir plus loin. Dans l'étreinte éperdue de leurs corps noués, le seul brouhaha qui leur importe est celui de leur gorges sifflantes, de leurs respirations maltraitées ; la complainte implorante qu'en mordant son épaule, elle tente péniblement d'étouffer – et qu'elle renonce finalement à faire taire, lorsqu'elle laisse tomber la nuque vers l'arrière. Les hanches se pressent encore un moment, tandis que les jambes se crispent, pour redevenir flageolantes ; il a les mains tremblantes, l'esprit embrouillé par l'extase brûlante qui s'y était déversée. À tel point qu'à lui aussi, il lui a fallu plusieurs secondes pour comprendre que plus loin, un prénom était scandé à répétition.

« Althea ! »

Ils avaient dû discerner le nom au même instant, puisque leur regards se sont croisés, soudainement alarmés. Sans prendre le temps de sortir correctement de leur torpeur commune, ils se sont détachés avec agitation en reconnaissant la voix qui appelait la vélane. Celle-ci dégringole de son socle antique, s'abaisse pour replacer chacun des tissus contre ses cuisses alors que son amant reboucle rapidement l'attache de sa ceinture. Mais pris en faute, voilà que les deux amants se figent lorsque Hafsa apparait à quelques mètres d'eux, l'air furibond. La scène pourrait aisément être comique, sans la colère apparente de cette dernière – une humeur mauvaise qu'ils peinent d'ailleurs à comprendre dans un premier temps. Imaginez ; duo d'amoureux encore débraillés et étourdis par les baisers, jetés en pâture au regard noir d'une Amir visiblement peu ravie : on en aurait pu en faire des spectacles entiers.

— Dîtes-moi que je rêve ! Cingle la marocaine en les désignant d'un mouvement de main colérique. « Je vous cherche depuis dix minutes, et vous ne trouvez rien de mieux à faire que...

La phrase de Hafsa s'est laissée interrompre par une insulte en arabe dont il n'a pas saisi la substance ; mais ce qui était inquiétant, c'était surtout que la sorcière semblait réellement nerveuse – et pas à cause de la petite indécence dont ils venaient de faire preuve à l'égard de l'art antique. Et si Guilhem s'était attendu à ce que la colère de celle-ci ne se dirige vers lui automatiquement, c'est contre toute attente vers Althea, qu'elle se tourne pour la fusiller du regard.

— Qu'est-ce que tu as encore fait ? L'accuse t-elle d'une voix cassante, qu'il ne lui connaissait pas.
— Quoi ? Trouve seulement à lâcher la vélane avec un regard hébété.
— Les aurors sont là, dans le musée, et ils te cherchent, Répète Hafsa avec nervosité, sans quitter son amie du regard. « Althea, qu'est ce que tu as fait ?

La phrase de la marocaine agit comme une gifle, à la fois chez Guilhem et chez celle qui en était la cible. Lentement, le sorcier a alors pivoté le menton vers son amante pour la dévisager à son tour ; celle-ci s'est retrouvée acculée par les regards, soudainement prise par une vague de nervosité.

— Je n'ai rien fait ! Se défend t-elle. Ce n'est pas moi qui ai tué Thomas, c'est Bonnie, elle...
— Thomas est mort ? Interrompt Guilhem d'un ton éberlué.

À ce moment-là, sans doute Althea a t-elle compris qu'elle était en train de perdre son propre procès, la faute à une défense plutôt médiocre de sa part. Et si elle s'est tue, le poursuiveur ne l'avait pour sa part pas quittée des yeux une seule seconde ; car il ne parvenait en réalité pas à avaler l'idée qu'elle ait pu prendre part à un meurtre – pire, qu'elle ne l'ait même pas évoqué quand il lui avait posé la question. Une sidération vide s'est alors installée dans son esprit, sorte d'état de choc auquel Hafsa a coupé court en laissant échapper un sifflement.

— Peu importe, on en parlera plus tard. On doit absolument partir d'ici avant qu'ils ne te trouvent, Affirme la marocaine avec un sang-froid qui le surprend. « Le musée est truffé de sortilèges Anti-Transplanage, mais James dit qu'il y a une sortie de secours au bout de l'aile nord qui mène directement vers Central Park. Il nous attend là-bas pour surveiller l'issue.

Visiblement elle-même secouée par la nouvelle apportée par son amie, Althea n'a trouvé qu'à hocher la tête docilement, alors que la première les entrainait dans les tréfonds des couloirs assombris.
Les pas sont rapides, les cœurs tambourinent dans leurs poitrines et crèvent le silence alentour d'un martèlement incertain. À la lueur d'une baguette brandie, le trio se faufile dans les galeries, se tapissant à intervalles réguliers contre les murs de pierre blanche lorsque les voix s'élèvent. Leur fuite semble durer des siècles, alors que les étreint la peur d'être attrapés ; mais au terme d'un corridor plus étroit, ils aperçoivent enfin la silhouette haute de James, qui se tient proche d'une petite porte en métal rouillé. Celui-ci leur a alors adressé un regard mi-alerte, mi-rassuré, s'arrêtant sur le visage d'Althea.

— Est-ce que tout va bien ? Souffle t-il précipitamment. « On ne parvenait pas à te trouver, j'avais peur qu'ils t'aient déjà attrapée.
— Quelqu'un d'autre s'en était chargé, A répliqué Hafsa avec humeur, jetant un regard noir à Guilhem – lequel a ignoré la pique en question.

L'irlandais s'est contenté d'accueillir l'explication avec un léger soupir, déverrouillant l'épais loquet de la porte d'un mouvement de baguette. Celui-ci saute alors en un claquement sonore, et d'une pression, il pousse le lourd battant vers la sortie. Une par une, voilà que les silhouettes s'extirpent du musée, pour rejoindre les tréfonds assombris du parc endormi. Une odeur tenace d'herbe coupée se faufile au creux de ses narines, laquelle lui donne l'impression étrange d'avoir quitté la ville ; pourtant, les lumières se dessinent encore au delà de l'immense étendue boisée, rappelant sa présence aux regards étonnés. C'est alors James qui mène le petit groupe à travers les sentiers envahis par la pénombre, durant de longues minutes de cavale ininterrompue ; mais finalement, c'est Hafsa qui l'arrête d'un éclat de voix.

— C'est bon Kergoat, stop, Ordonne t-elle. Je pense qu'on est assez loin maintenant.

L'intéressé a alors hoché la tête, jetant autour d'eux un bref regard pour vérifier qu'ils étaient bien seuls. Le petit groupe s'est alors déplacé de quelques mètres jusqu'à l'abri d'un orme imposant – histoire d'être un peu moins visibles qu'au milieu d'un sentier dégagé. Là, Hafsa a lâché un soupir en lissant les plis de sa robe, visiblement contrariée d'avoir dû abimer celle-ci dans une course imprévue.

— Qu'est-ce qu'il s'est passé, Althea ? L'a alors interrogé James au terme de quelques instants, appuyant sur son visage un regard préoccupé – un peu plus rigide qu'à son habitude.

Et pour être honnête, la réponse de la vélane l'intéressait tout autant que celui qui avait posé la question ; à la différence qu'il était trop secoué pour la formuler de lui-même. Du moins, pas sans perdre son sang-froid. Alors, tous les regards se sont déportés sur la silhouette d'Althea, qui a revêtu un air mi-nerveux, mi-revêche.

— J'ai croisé une ancienne amie, Bonnie, Enonce t-elle rapidement, visiblement consciente d'être obligée de s'expliquer malgré ses réticences. Elle fait partie d'un groupe qui œuvre pour les droits des femmes, mais elle est plus radicale que la plupart, et... » Elle a pincé les lèvres un instant. « Elle m'a demandé de faire en sorte qu'elle se retrouve isolée avec Thomas.
— Oh, Althea... Marmonne Hafsa en secouant la tête.
— Guilhem a distrait Félicie, Poursuit la vélane en jetant un coup d'œil au concerné, pendant que j'attirais Thomas là où Bonnie le voulait. On a parlé, et la situation s'est envenimée, je crois qu'il voulait me... » Elle s'est interrompue de nouveau, comme à bout de souffle, avant de plisser les sourcils. « Avant que je comprenne ce qui se passait, Bonnie était là, et il était mort. Je l'ai laissé avec elle, et je suis partie.

Un lourd silence s'est alors dessiné entre eux. Le regard fixé au profil de son amante, Guilhem s'est efforcé de re-déplier le fil des évènements, et la chronologie de la soirée ; il a alors saisi qu'au moment où il avait retrouvé la vélane, celle-ci n'avait certainement pas mentionné la gravité de ce qui s'était passé, quand bien même il l'avait questionnée sur le sujet. Lui aurait-elle même avouée, si les choses n'avaient pas empiré ?

— Pourquoi est-ce qu'ils me cherchent moi ? Ajoute alors la vélane avec une once d'angoisse, relevant le regard vers James et Hafsa pour fouiller les leurs.
— Althea, Thomas a été retrouvé crucifié sur une toile du Christ, Expose calmement James en plissant légèrement les yeux. « Et plusieurs convives, dont son père, s'accordent à dire que tu es la dernière avec qui il a été vu.

Et seulement à cet instant, elle a semblé prendre la mesure des accusations qui pesaient sur elle ; son visage fin s'est défait, et elle a dévisagé son ami d'un air livide.

— Mais je n'ai rien fait ! S'étrangle t-elle.
— Est-ce que tu penses que cette Bonnie aurait pu te piéger ? Intervient Hafsa en appuyant ses yeux noirs sur les traits de la vélane, qui a secoué la tête avec obstination.
— Non, elle n'a pas dû imaginer qu'ils me prendraient pour cible, je ne sais pas...

L'air perdu, elle a glissé ses deux mains contre son visage, laissant papillonner son regard sur les alentours jusqu'à s'arrêter sur les traits de son amant. Mais Guilhem, lui, était resté muet. Car une seule et unique question lui brûlait les lèvres – la seule qui importait réellement à ses yeux, en réalité. Et sans doute avait-elle dû sentir cette réticence particulière dans sa posture, cette façon de laisser son visage se renfermer lorsque trop de pensées malmenaient son esprit embrouillé.

— Guilhem...
— Est-ce que tu savais qu'elle comptait le tuer ?

La question l'a laissée muette, un peu étourdie. Et si la voix de l'héritier était restée placide, il était évident que l'interrogation – et la réponse qu'elle y donnerait – était à ses yeux capitale. Alors, elle a ouvert la bouche légèrement ; mais avant qu'elle ne rétorque, il a reformulé sa propre affirmation, avec une amertume plus marquée.

— Est-ce que tu savais qu'elle comptait le tuer, lorsque tu m'as laissé t'aider ? Est-ce que tu savais ce qui lui arriverait, quand tu l'as amené à elle ?

Ses yeux le dévisagent avec stupeur, nervosité : Althea ne sait plus comment répondre, c'est une évidence. Alors, voilà que son regard cherche une once de soutien dans les traits de James, lequel parait lui même incrédule – et tout à fait inapte à l'aider pour se dépêtrer de la situation en question.

— Non, Souffle t-elle avec réticences. Enfin je me doutais qu'elle voudrait sans doute le blesser, mais je n'étais pas sûre de...
— Par Isis, Soupire Hafsa en passant sa main sur son visage.

Quant à Guilhem, il s'est bien gardé de répondre ; car il reconnaissait la colère sourde qui résonnait dans sa cage thoracique à son égard. C'était celle qu'il ressentait lorsqu'il se sentait trahi ou trompé, lorsqu'on lui cachait quelque chose qu'il estimait devoir connaître. D'avantage, il n'arrivait pas à saisir comment elle avait pu participer à un tel acte – même indirectement – tout en sachant qu'elle serait l'un des rouages d'une violence aux conséquences sans doute mortelles. Il ne comprenait pas. Car s'il y avait bien une chose sur laquelle Althea et lui s'étaient toujours accordés, c'était leur mépris commun de la violence physique, et leur pacifisme obstiné à cet égard. Ou peut-être s'était-il trompé : alors, ce n'était pas vers elle mais vers lui, que sa colère devait se diriger.

— Et cette Bonnie, tu sais où on peut la trouver ? Intervient James, plus pragmatique.

Mécaniquement, la vélane a alors secoué la tête de gauche à droite, le regard livide et coupable – comme si elle prenait peu à peu conscience de l'immense bourbier dans lequel elle s'était plongée.

— Le nom du groupe est Witches of Anarchy, Fait-elle rapidement, du bout des lèvres. « Mais ce n'est pas exactement comme si on pouvait les trouver dans l'annuaire.
— Et c'est la seule qui a une chance de t'innocenter, Achève Hafsa d'un ton aigre.

La vélane a pincé les lèvres, triturant nerveusement ses doigts un peu plus bas en jetant un regard autour d'eux pour vérifier que personne ne les épiait.

— Je suis désolée, Exprime t-elle plus bas, je ne voulais pas vous mêler à tout ça.
— Et qu'est-ce que tu pensais qu'il se passerait, au juste ? A finalement lâché Guilhem d'une voix sèche. « Que tu pourrais aider une demie-inconnue à abattre un des types les plus riches de la ville, et t'en sortir sans que personne ne se rende compte de rien ? Dans quel monde est-ce que tu vis, Althea ?
— Guilhem, ça va, on a compris, L'a vaguement réprimandé James en secouant la tête.

Mais les reproches étaient visiblement devenus trop lourds, trop nombreux pour Althea qui a relevé le nez vers son amant, pinçant les lèvres avec amertume.

— Comment tu peux me faire la leçon à ce sujet, Guilhem ? Riposte t-elle plus vivement. « Est-ce que tu t'es posé la question, quand tu as empoisonné une demie-douzaine de capitaines prêts à nous tuer ?

Il a froncé les sourcils, froissé de se voir rappeler à ce mauvais souvenir.

— Ça n'a rien à voir, nos vies étaient en danger, Qu'il rétorque d'un ton rigide.
— Forcément, quand il s'agit de tes décisions, ça n'a jamais rien à voir, Siffle t-elle, venimeuse.

La mauvaise foi de la vélane l'a irrité profondément ; mais alors qu'il s'apprêtait à répliquer encore, mâchoires crispées, la voix de Hafsa les a rappelés à l'ordre en levant les deux mains.

— Ça suffit, vous deux, Soupire t-elle avec lassitude. « Ecoutez, on pourrait en débattre des heures, mais j'ai froid, et ce parc ne m'inspire pas confiance.
— Je connais un endroit sûr, Intervient James en leur jetant un coup d'œil. « Les aurors ne mettront jamais les pieds là-bas.

Amers, les deux amants ont fini par capituler, opinant du chef en un mouvement commun. Et c'est dans un silence pesant qu'ils reprennent la route au cœur du parc endormi, traversant celui-ci pour rejoindre l'une des artères de circulation principales. James est le premier à s'extirper de la zone boisée pour scruter les environs, et vérifier que des aurors ne quadrillaient pas la rue ; il a ensuite fait signe au reste du groupe de le rejoindre, jetant à la route un regard attentif.

— On va prendre un taxi, Annonce t-il. « C'est plus discret que le métromaj.

D'un geste, il a alors vaguement agité sa baguette pour effectuer un Informulé quelconque, lançant une petite boule lumière jaune vers le ciel ; celle-ci a alors semblé s'évaporer au terme de quelques mètres, et James a haussé les épaules.

— C'est comme ça qu'on les appelle, ici.

Et il avait à peine fini sa phrase, qu'une longue Mercedes à la carrosserie verte a dérapé depuis la perpendiculaire, pilant net sur la chaussée devant eux. Le chauffeur, un très petit homme aux allures marquées de gobelin, leur a jeté un coup d'œil à travers la vitre baissé.

— Service MagiCab, Fait-il d'un anglais monocorde à l'accent texan très marqué. « Qu'est ce que j'peux faire pour vous ?
— On va à Hell's Kitchen, au coin entre la 9e et la 47e avenue, Recite James en s'appuyant sur le haut de la voiture pour se pencher vers la vitre, et répondre à l'employé.
— V's'êtes combien ?
— Quatre.

Celui-ci a alors désigné l'arrière de la voiture d'un mouvement de pouce, et plaqué sa main sur un gros interrupteur jaune. En un soubresaut, voilà que la partie passager du véhicule est pris d'un soubresaut, s'étirant brusquement pour créer deux nouvelles places où s'asseoir.

— Montez. C'est un gallion l'kilomètre, Lâche t-il d'un ton machinal.
— Merci.

James a alors ouvert la portière grinçante, et indiqué à ses comparses de rejoindre les sièges en cuir élimé. Tous grimpent alors dans la voiture verte, qui démarre en trombe à peine le battant refermé – projetant leurs silhouettes vers l'arrière. Assis l'un à côté de l'autre par la force des choses, les deux amants sont cependant restés obstinément muets durant l'entièreté du trajet, butés dans l'expression de leur fierté commune – d'une façon qui aurait paru risible une autre fois. Le chauffeur roule à toute vitesse le long des axes de circulation, se faufilant avec aise entre les voitures moldues présentes, sans sembler effrayé par la possibilité d'une quelconque collision.

— Où est-ce qu'on va, d'ailleurs ? Finit par demander Hafsa, le front appuyé contre la vitre de la voiture, observant le paysage urbain défiler sous ses yeux.
— Mon frère travaille dans un bar plutôt sympathique. Lucian n'est pas le plus fiable des hommes, il ne nous dénoncerait jamais aux aux aurors ; on aura le temps de réfléchir à la suite, là-bas.
— Lucian ? Interroge Althea d'un air surpris, tordant le cou vers l'arrière pour jeter un coup d'œil à l'irlandais.
— On l'avait croisé à l'anniversaire de ma grand-mère l'été passé, tu dois te rappeler.
— Oui, je m'en souviens, Acquiesce évasivement la vélane en tapotant des doigts sur le rebord de la  portière.
— Tu risques d'aimer l'endroit, Guilhem, Ajoute James en se penchant vers l'avant pour passer la tête entre les deux sièges où étaient installés les amants. « Il y a toujours pas mal de jazzeux, là-bas. Des bons et des moins bons : mais la musique est toujours bonne.

Pour toute réponse, l'héritier a esquissé un vague sourire – en réalité un peu trop préoccupé par son différent avec Althea, ainsi que l'idée que celle-ci finisse par se faire arrêter, pour songer à l'ambiance que pourrait bien avoir l'établissement où ils se rendaient. Finalement, le taxi a pilé au coin de deux larges rues, face à un petit établissement à la façade étroite – presqu'inexistante. Le petit chauffeur a alors tiré une chainette au dessus de lui, et un petit tiroir s'est ouvert entre les deux passagers les plus à l'avant.

— Ça fera douze gallions, s'vous plait.

Machinalement, Guilhem a plongé sa main dans la poche internet de sa veste, pour en tirer une poignée de grosses pièces dorées, qu'il a comptées alors qu'elles tombaient une à une dans le petit réservoir. Une fois le compte bon, celui-ci s'est refermé brusquement et les portières se sont toutes ouvertes en un soubresaut. Voilà alors que les silhouettes s'extirpent une à une, pour suivre James vers la porte close du minuscule troquet – sorte de battant opaque à la large poignée verticale, qu'il a tirée d'un coup sec afin de l'ouvrir.

L'endroit est étrange, d'une étroitesse ridicule mais d'une longueur impressionnante – sorte d'enchainement de pièces tortueuses à la manière d'un large couloir arqué sur lui même. L'odeur est tenace lorsqu'ils entrent ; un mélange de tabac, de bière renversée et de viande cuite au four qui a quelque chose de presque rassurant. Mais surtout, il ne s'était pas attendu à voir tant de monde entassé dans un si petit endroit : entassés autour de tables basses rondes en bois, sorciers et sorcières discutent gaiement, bercés par les nappes musicales d'un petit groupe de musiciens placés dans le fond, sur un simulacre de scène. On y aperçoit également d'autres créatures – comme cette table d'elfes, sur le côté droit de la salle, lesquels descendent des pintes plus larges encore que la taille de leur crâne ; et au comptoir, Guilhem repère immédiatement celui que James avait désigné comme son frère. La performance est loin d'être mémorable : Lucian est le portrait craché de son cadet, à la différence seule de sa voix – un peu plus éraillée que celle de ce dernier.

— James ? Holy shit, petit frère, qu'est-ce que tu fais ici ? Lance t-il à la volée en voyant le petit groupe rentrer. « Toujours bien entouré, à c'que je vois, Ajoute t-il en lançant une œillade à Hafsa – laquelle s'est contentée de hausser un sourcil peu convaincu.
— J'ai plus le droit de venir rendre visite à la famille ? Réplique le cadet Kergoat en adressant à son ainé un sourire enjoué, alors qu'il rejoignait le comptoir où celui-ci était appuyé.
— T'aurais pu prévenir, j'aurais pris un jour de congé, Réprimande ce dernier en se penchant pour lui donner une accolade rapide. « Des amis de Londres, j'suppose ? Je connais déjà Althea, c'est plutôt facile, Ajoute t-il en adressant un sourire complice à cette dernière.

Une autre fois, sans doute se serait-il senti agacé, ou jaloux face à la familiarité de Lucian envers elle ; mais pour être honnête, il n'avait même pas la tête à songer à de telles problématiques. De toute façon, elle s'était juste contentée de lui répondre d'un sourire rapide, alors que James désignait Hafsa et Guilhem d'un geste de main.

— Voilà Hafsa et Guilhem, Fait-il rapidement, en s'appuyant brièvement sur le comptoir devant lui. « Ecoute, je t'expliquerai plus tard, mais on a un petit problème a régler, et on aurait besoin de se planquer une heure ou deux. Ça risque toujours rien, ici ?

Lucian a arqué un sourcil, curieux.

— Petit frère, je vais finir par croire que les anglais ont une sale influence sur toi, S'amuse t-il, visiblement peu enclin à s'inquiéter pour son cadet, malgré les propos énoncés. « Personne fout jamais un orteil ici, à part les habitués, rassure-toi. Prenez une bière et détendez-vous, ça marche ?
— Ça marche.

Le barman en question a alors aligné quatre bouteilles fraiches de bière devant eux, dont ils se sont chacun saisis avant de se faufiler dans la foule compacte pour tâcher de trouver une table libre. Dans le fond de la salle, ils ont finalement trouvé une place étroite, à quelques poignées de mètres des musiciens qui avaient troqué leur ballade précédente contre un jazz endiablé. Contre toute attente, Althea s'est alors assise à ses côtés, profitant alors de cette place pour lui jeter un coup d'œil.

— Ecoute, je ne veux pas qu'on se dispute, Finit-elle par lui glisser. Je suis désolée de ne t'avoir rien dit, d'accord ?

Surpris qu'elle fasse un pas si tôt en sa direction, le poursuiveur l'a dévisagé avec une pointe d'incrédulité, avant de finalement opiner de la tête.

— C'est juste que je ne comprends pas, Althea, Confie t-il à mi-voix, en portant la bouteille de bière à ses lèvres pour en boire une gorgée.
— Quoi ?
— Comment tu peux cautionner ça.

Elle a semblé observer son profil une seconde, pour finalement se saisir de sa propre bière et l'imiter.

— Peut-être que tu ne peux pas, non. Comprendre.

Il lui a jeté un coup d'œil rapide, vaguement vexé par sa réponse – et ne sachant surtout pas comment y répliquer. Alors, il n'a rien répondu et s'est contenté de reporter son attention sur leurs deux autres compagnons.

— Alors, quelle solution on a ? Demande t-il simplement.
— Vous allez peut-être me détester, Fait Hafsa d'une voix prudente, en grattant du bout de l'ongle une saleté accrochée au bois de la table. « Mais est-ce que tu ne ferais pas mieux de t'expliquer directement avec les aurors, Althea ?
— Pour qu'elle soit envoyée à croupir dans une prison en attendant d'être interrogée ? Riposte Guilhem vivement. « Merveilleuse idée, oui.
— Est-ce que tu es obligé de parler à sa place ? S'agace la marocaine en lui lançant un regard las.

Le poursuiveur s'est renfrogné, extirpant un paquet de cigarettes dans sa poche de veste pour en coincer une entre ses lèvres. Ce qu'il n'avouait pas, c'était que même s'il lui en voulait Althea, il était surtout terrifié par ce qu'il pourrait lui arriver – et par son impuissance, si ce devait être le cas.
Nerveuse, celle-ci a alors baissé le menton, faisant dodeliner la bouteille de verre entre ses doigts.

— Non, je dois trouver Bonnie, Soupire la vélane en secouant la tête. C'est la seule à pouvoir faire quelque chose.
— Comme quoi, se dénoncer à ta place ? Intervient James d'une voix douce. Althea, je ne suis pas sûr que...
— Moi non plus, Coupe t-elle en redressant soudainement les yeux. Mais je ne sais pas quoi espérer d'autre.

Un silence s'est alors dessiné entre eux quatre, à la lourdeur taciturne ; car tous devaient être conscients qu'elle avait raison, et que cette Bonnie était à la fois leur seul espoir, et une attente bien mince – et incertaine. Pour se défaire de la morosité qui l'accablait, le regard de l'héritier a déambulé dans la pièce étroite, vaquant sur la masse de silhouettes présentes ; et non loin du piano, où s’activait un petit homme au crâne dégarni, ses yeux se sont stoppés. Le visage se fige, l’expression aussi. Et il existe cette poignée de secondes solitaires où le cœur s’arrête, où la pupille s’agite pour détailler la silhouette trouvée – vérifier que les traits correspondent au vague souvenir qui s’impose soudain.
C’est tout un vide, qui se dessine dans sa cage thoracique ; car l’homme qu’il reconnaît à quelques mètres n’est pas un étranger. Ou peut-être que si, après tout ce temps. Mais lorsque les prunelles claires croisent finalement les siennes, il a la conviction que ce n’est pas le cas : car si Jeremiah est incrédule, il finit par lui sourire. Et Guilhem ne sait plus comment réagir.
L’ironie de la rencontre est violente ; ne s’étaient-ils pas rencontrés dans des circonstances similaires, au fond d’un troquet miteux envahi par les nappes musicales ? Ne s’étaient ils pas regardés la première fois de la même manière, distancés par une foule compacte et inconsciente de ce qui était en train de se passer ? En venant à New-York, il n’avait pas songé une seule fois à la possibilité de le revoir, de recroiser sa silhouette parmi la foule américaine. Peut-être aurait-il dû l’envisager, et qu’ainsi, la surprise aurait été moins violente ; car à l’instant, il a l’impression de dégringoler de plusieurs étages. Plus encore lorsqu’il voit le musicien se lever de la banquette sur laquelle il était installé, pour se faufiler dans sa direction. Il a envie de se barrer tout de suite, de prétexter quelque chose et de sortir, de ne pas subir cette confrontation ; surtout pas ici, pas maintenant, pas face à Althea. Mais trop tard : l’américain a déjà rejoint le petit groupe, surplombé sa silhouette de sa hauteur avec un mince sourire espiègle.
Il n’aurait même pas pu prétendre ne pas l’avoir vu ; son regard n’avait pas quitté le sien durant tout le moment de son trajet, occupé à détailler chaque centimètre du visage qui venait de réapparaitre. Et il voudrait que le moment se fige, que le temps se stoppe – seulement pour lui permettre de déterminer de quelle manière il était sensé réagir. Mais l’autre ne lui en laisse pas le temps.

— J’ai toujours su que tu finirais par te lasser de Paris. Ça fait longtemps, Guilhem.

La voix rauque, abîmée par les vapeurs de tabac et les nuits trop courtes lui fait un drôle d’effet. Sorte de mélopée venue d’un autre temps, où il aurait été prêt à se damner pour quelques notes de piano, jouées près d’un oreiller. Où ils se pavanaient dans les rues de la capitale, dandys noirs à l’élégance morne, poètes d’un autre temps et romantiques maudits, interdits. Où il aimait sans réfléchir, sans songer à autre chose que la façon la plus vile de consommer ses passions et ses excès.
Guilhem a la gorge sèche : sa verve a disparu, terrée sous un amas lourd de souvenirs ternis. Le silence s’est fait tout autour d’eux, parmi le petit groupe qui dévisage le nouvel arrivant d’un drôle d’air : ils avaient dû remarquer cette lueur, au fond de ses yeux. Mais miraculeusement, il a réussi à retrouver sa superbe au terme de quelques instants – ses airs Verrier, de petit prince désabusé. Même face à lui : le talent était inouï.

— Paris reste mon premier, et mon seul véritable amour : désolé de te décevoir, Trouve t-il a répondre avec un flegme feint. « Salut, Jeremiah.

L’autre a eu une vague mimique amusée, et a saisi la cibiche entre ses lèvres pour l’écraser sur le cendrier sur la table. Face aux regards incrédules, le voilà alors qui s’installe tout naturellement à la place libre aux côtés du poursuiveur. Car à son image, Jeremiah avait toujours eu la capacité sidérante de se sentir chez lui partout où il allait ; sorte de caméléon au talent social exaspérant, capable tout autant de se fondre dans une foule que de la mépriser, de s’en faire adorer et d’en dépeindre le portrait le plus cynique qu’il soit. À cet égard, Guilhem et lui avaient toujours été les mêmes, deux faces d’une pièce identique.
Était-ce la raison pour laquelle ils s'étaient un jour aimés, emportés par cette étrange gémellité ? L'amour partagé avait-il été si narcissique qu'ils n'avaient pu l'offrir qu'à leur alter ego parfait, qu'à l'ombre nette que leur propre silhouette dessinait derrière eux ? Il y avait toujours eu quelque chose dans ce goût-là dans leur idylle – de l'ordre du péché égocentrique. Un penchant qu'auraient réprouvé toutes les religions, et auquel ils s'adonnaient à la déraison.

Le New-Yorkais a alors seulement semblé prendre conscience à ce moment-là de la présence des autres individus à leurs côtés, détachant son regard de celui de son ancien amant pour le faire déambuler sur les visages qui lui étaient inconnus ; Guilhem en a alors profité pour arracher son attention de lui à son tour – une esquive forcée qui lui a permis de dissiper son léger trouble. La mine détachée, il a jeté un œil à ses comparses en haussant les épaules. 


— On s’est connus à Paris, il y a des années, Expose t-il comme toute explication. 

— Ça me parait être à la fois il y a un siècle, et hier, Remarque le musicien en buvant une gorgée de bière.

Et si la vague justification a semblé convenir à tout le monde, Guilhem a cependant senti le regard d’Althea se figer sur son profil, avec la rigidité primaire des jalousies fautives. Elle avait parfaitement compris ce qui se passait, et il le savait. Mais ce qui le rendait inconfortable, c’était l’idée qu’elle puisse saisir précisément quelle avait été la nature de leur relation ; qu’il l’avait un jour aimé, bêtement. Car il était presque certain qu’elle n’aurait pas supporté cette idée-là, si simple soit-elle.
Leurs relations passées n’avaient jamais fait partie des sujet à aborder ; sans doute parce qu’ils savaient que s’imaginer aimer quelqu’un d'autre aurait été bien trop périlleux. Trop douloureux, aussi. Et s’il se rappelait avoir un jour évoqué Jeremiah, il n’avait jamais prononcé son nom, il n’avait jamais confessé à haute voix le fait d’en avoir été amoureux – ce qui aurait constitué l’ultime trahison. Il était resté abstrait : suffisamment pour qu'Althea ne trouve jamais à s'en inquiéter. Sans doute aurait-il dû le rester.
Alors, il s’est employé à éviter le regard de la vélane, sans pour autant reporter celui-ci sur le visage de l’américain ; le paquet de cigarettes qui tournait entre ses doigts était une bien meilleure distraction.

— Hafsa, James et Althea vivent à Londres, Explique l’héritier sur le ton de la conversation, coinçant un bâton de nicotine entre ses dents pour l’allumer d’un geste. « On est venus pour le Mus Gala.



Jeremiah a exhalé un petit rire. 



— Cette parade absurde… 



Face à lui, Hafsa a levé un sourcil, circonspecte, ce que l’américain a semblé remarquer – esquissant au passage un vague sourire contrit à l’intention de la marocaine. 



— Désolé, je ne voulais pas être insultant, Rattrape t-il rapidement en soulevant la main d’un geste vague. Les galas de charité ne sont juste pas vraiment ma tasse de thé.

— La mienne non plus, Est intervenu James en haussant les épaules. « Mais ça vaut le détour, au moins pour le champagne à volonté. 

— Tout le monde ne peut pas se permettre le luxe de bouder la haute société, Lâche Althea d’une voix cassante.

Les yeux de Guilhem ont rejoint ses traits rigides, osant enfin en détailler l’expression. À la différence de son amant, elle n’avait pas lâché le musicien du regard, comme si celui-ci avait risqué d’effectuer un mouvement inacceptable à l’égard du premier, si elle l’avait fait.

— Je suppose que c’est juste, Reconnait l’intéressé d’un haussement d’épaules désinvolte, pivotant le menton vers Guilhem. « Alors... Qu’est-ce que tu deviens ? J’ai appris que tu avais dû arrêter le Quidditch, je suis désolé.

D’un coup d’œil, il a remarqué la façon dont pianotaient ses doigts sur son propre genou ; mimique hyperactive imperceptible, terrée jusqu’à présent sous un tas de souvenirs brouillés, auxquels il n’avait pas jugé utile de repenser ces dernières années. Il s’est vaguement demandé comment il avait réussi à oublier ce menu détail à son sujet, ce toc qu’ils avaient fini par partager et dont sa mémoire traitre lui avait fait éclipser l’origine. Instinctivement, voilà que l’or de sa main tressaille, comme pour le rappeler à un temps où ses deux mains de chair possédaient la capacité de se mouvoir comme il le souhaitait, malmenant les touches d’un piano en accord avec celles de l’américain. Une sorte de nostalgie étrange l’a alors enlacé – un type de sentiment qui ne l’avait plus étreint depuis des mois. Afin de garder une contenance, le voilà qui porte le goulot de sa bouteille de bière à ses lèvres, pinçant vaguement celles-ci en une expression désinvolte.

— J’ai repris il y a quelques mois, dans une équipe italienne.
— Alors te voilà infidèle à l’amour de ta vie, Taquine Jeremiah avec un mince sourire espiègle, sans sembler prendre conscience du double-sens de ses mots.

À ce moment-là, ils ont vu Althea se redresser avec raideur, suivie par le regard concerné de Hafsa. Et si l’expression de son visage restait stoïque, Guilhem la connaissait assez bien pour savoir que les propos du musicien avaient effleuré chez elle une limite tacite, qui l’empêchait d’en écouter davantage. Un sentiment complexe de culpabilité et d’impuissance l’a alors envahi, et il a ouvert la bouche une seconde, cherchant quelque chose à ajouter à son attention pour désamorcer la violence des sentiments qui semblaient se dessiner chez elle. Mais la vélane est la première à parler, d’une voix rapide dont le calme factice ne laissait présager que peu de bonnes choses.

— Je vais chercher à boire. Hafsa, tu m’accompagnes ?

Celle-ci a hoché la tête lentement, sans quitter son amie du regard. Et si les yeux du poursuiveur s’étaient employés à chercher ceux de son amante afin de, peut-être, s’employer à être rassurants, elle les lui a refusés obstinément. D’un mouvement souple de robe, les deux sorcières s’éclipsent alors, et durant un instant, il se demande s’il doit lui emboîter le pas. Mais l’intention est bien vite avortée par la voix de Jeremiah, qui ne semblait pas prendre conscience de ce qu’il venait de provoquer.

— Comment est-ce que vous vous êtes perdus ici ? Interroge le musicien en allumant une nouvelle cigarette. « C’est plutôt un repère d’habitués.
— Mon frère est celui qui sert au comptoir, Explique James en jetant un rapide coup d’œil à son ami, visiblement conscient qu’il était bon de changer de sujet, pour s'aventurer vers des thématiques moins périlleuses.

Jeremiah a haussé les sourcils, curieux.

— Tu es New-Yorkais ?
— J’ai vécu quelques années ici, Réplique James avec légèreté, un sourire coutumier attaché aux lèvres. « Il y a un siècle aussi. Mais ma famille est toujours installée ici.

Il n’a pas entendu – ou plutôt, pas vraiment prêté attention – à la suite de la discussion entre James et Jeremiah, incapable de détacher l'œil des deux silhouettes féminines appuyées contre le comptoir. Un noeud tenace s’est formé dans sa poitrine, sorte de culpabilité créée par la peine qu’il savait avoir provoqué chez la vélane ; car si aucun de ses mots n’avait été inapproprié, il se doutait que le seul trouble qu’avait provoqué chez lui l’apparition de son ancien amant avait suffi à blesser cette dernière. Mais ce qu’il détestait par dessus tout, c’était de ne pas tout à fait être en mesure d’adopter un comportement suffisamment rassurant à son égard, ou détaché envers ce dernier, pour réussir a l’apaiser.

— Alors vous êtes des fugitifs ? Entend t-il s’amuser Jeremiah, l’enjoignant alors à reprendre le fil de la conversation en pivotant le regard vers les deux sorciers. « Quelques heures à peine dans la ville, et tu réussis déjà à te mettre à dos les autorités ? Ajoute t-il en jetant un coup d’œil au poursuiveur, ponctuant la question d’un petit rire. « J’aimerais dire que ça m’étonne de toi, mais ce serait malhonnête.
— Ce n’est pas moi, cette fois, Riposte Guilhem en exhalant la fumée vers le bois de la table. « Althea a simplement été victime d’un petit malentendu qu’on doit dissiper.
— De quel type ?
— Assassinat.
— Oh, je vois.

L’air désinvolte de Jeremiah est presque insolent ; l'expression reste amusée, sa cigarette dodeline nonchalamment entre ses doigts. Il a cette mine de dandy maudit, trop détaché des convenances de ce monde pour vraiment s’en soucier. Et il existe ce moment de latence étrange où aucun des trois n’ajoute rien, instant d'une lourdeur qui n’en est pas une – et paradoxalement désavouée par la légèreté du musicien. Un instant où leurs regards se rencontrent encore, comme incapables de se détacher. Même s'il l'aurait souhaité.
À leurs côtés, James s’est alors vu interpellé d’un geste de main par les deux sorcières qui semblaient en pleine discussion avec Lucian, au comptoir. Il a froncé les sourcils, se redressant pour les rejoindre en quelques enjambées – laissant les deux autres seuls. Lentement, le regard de Guilhem s’est alors baissé sur la cigarette qui roulait entre ses doigts dorés, puis a rejoint le profil du pianiste pour détailler ses traits d’un coup d’œil succinct.

— Et toi ? Finit-il par demander d’une voix plus mesurée. Est-ce que la maladie de ta mère s’est arrangée ?

Le regard de l’américain a pivoté pour croiser le sien, s’y arrêtant pour une poignée de secondes ; sous ses yeux, il a alors vu quelque chose se fracturer légèrement dans l’expression d’espièglerie coutumière de celui-ci. Jeremiah a finalement secoué la tête et écrasé son mégot contre le cendrier débordant d’un geste lent.

— Elle est morte il y a quatre ans.
— Je suis désolé, Énonce le joueur, en détaillant ses traits immobiles.
— C’est comme ça, Conclut l’autre avec philosophie, les épaules haussées. « Tu joues toujours ? Change t-il alors de sujet en désignant le piano plus loin d’un geste de menton, délaissant subitement son air grave pour un sourire plus avenant.
— Non. Sans ma main c’est presqu’impossible, Fait-il platement en levant celle-ci pour remuer l’or de ses doigts. « Et toi ?

Le pianiste a semblé considérer la réponse avec sérieux, secouant la tête sobrement.

— J’en mourrais, si je devais arrêter, Avoue t-il alors.
— C’était aussi ce que je disais, Souffle Guilhem avec cynisme en portant la cigarette à ses lèvres.
— Mais tu es toujours vivant, Remarque l’autre en détaillant les traits de son visage, froissant le pli de ses lèvres d’un sourire discret. « C’est une bonne chose.
— Tout le monde n’est pas de ton avis, Raille l’héritier avec un rictus léger.
— Depuis quand est-ce que tu te soucies de l’avis des autres ?

Il a levé les yeux vers lui, et est resté silencieux. Cette conversation n’était pas une bonne idée, il le savait. Pas parce qu’il aurait risqué de ressentir de nouveau une quelconque inclinaison pour le musicien en question, mais parce que celle-ci le ramenait à un temps passé où il n’était pas exactement le même, une période d’insouciance aux couleurs fanées, qu’il ne pouvait s’empêcher de regarder avec nostalgie. Il ne regrettait pas son idylle avec Jeremiah : mais celle-ci s’inscrivait dans un moment de bonheur profond et complet, l’un des rares où il avait eu l’impression de tout avoir – parfois à l’excès, à la déraison. Plus tard, il avait appris à faire des compromis avec sa propre existence, ses propres attentes ; jamais vis-à-vis de sa vision de l’amour, ou de la passion, mais avec tout le reste – jusqu’à l’essence même de ce qu’il était, de ce qu’il aspirait à être. La plupart du temps, il était reconnaissant d’avoir été forcé de le faire. Mais parfois, il ressentait ce pincement mélancolique, en repensant à cette période de vie où il trouvait le droit d’exister sans compromis.

— Je suis content de te revoir, A finalement énoncé Jeremiah avec simplicité.

Et il était évident que l’affirmation était sincère : mais elle lui a serré le cœur, un peu bêtement. Parce qu’il était également heureux de le revoir, objectivement ; mais il n’aimait pas être obligé de ressentir cette nostalgie imbécile, surtout lorsque la rencontre le plaçait dans une position où elle risquait d’abîmer sa relation actuelle.
Alors, il s’est gardé de répondre ; il a espéré que Jeremiah comprendrait que la réciproque était vraie, sans qu’il n’ait besoin de le formuler. Les choses étaient déjà suffisamment compliquées comme ça.
Finalement, il a vu les trois silhouettes des autres revenir vers eux, et s’est redressé par réflexe. Althea ne le regarde pas, et qu’importe à quel point il cherche à capter l’ombre de ses prunelles, celles-ci restent évitantes.
Il se demande alors si elle lui en veut.
Il se demande si elle lui en veut, de ne pas réussir à ressentir trop peu.

Alors, lorsqu’elle se poste non loin de lui et se baisse pour poser son verre sur le bois de la table, il y a sa main qui se tend vers elle, ses doigts qui s’étirent pour toucher les siens. Elle a presque sursauté à son contact, comme si elle ne s’était pas attendue à ce qu’il la touche maintenant ; son regard s’est abaissé vers lui, et il a essayé, il a essayé de la rassurer d’une pression tendre de phalanges. Mais ses doigts s’échappent rapidement de l’étreinte alors qu’elle s’assoit, et ses yeux quittent son visage. Sa main retombe, capitule : le nœud dans sa poitrine se resserre.

— On a discuté avec Lucian, Énonce Hafsa en ignorant délibérément Jeremiah, comme si celui-ci n’avait même pas été présent. « Apparemment, son ancienne petite amie fait partie du même groupe que Bonnie, et elle la connaît sûrement.
— Est-ce que je dois rappeler que son ancienne petite-amie était avant tout la mienne ? Soupire James avec mauvaise humeur, s’attirant un haussement d’épaules de la marocaine.
— Il nous a donné une adresse à Greenwich Village, Ajoute celle-ci en coinçant une boucle brune derrière son oreille. « Et James est ravi d’y aller.

Le mécanicien a levé les yeux au ciel, pivotant discrètement le menton vers la vélane a ses côtés, qui n’avait toujours pas décroché un mot. La mine de celle ci était neutre, fermée à toute émotion ; un paysage de mauvaise augure, que Guilhem se serait damné pour dissiper. Il a eu envie de tendre la main vers elle de nouveau, de l’étreindre pour éteindre chacun de ses doutes ; mais le souvenir mordant de son rejet précédent l’a gardé à distance, et il s’est vite ravisé.

— Laisse moi au moins finir ma bière, Marmonne finalement l’irlandais en portant la bouteille de verre à ses lèvres.
— Tu es adorable, Kergoat, Taquine Hafsa avec un petit sourire railleur.
— J’ai l’impression que vous avez beaucoup à faire pour ce soir, Fait alors Jeremiah en prenant appui sur ses genoux malingres pour se redresser. « Je vais vous laisser.

Un silence de plomb lui a répondu, seulement animé par le sourire amical de James – lequel semblait être le seul décidé à faire comme s’il n’avait pas saisi ce qui venait de se passer. Quant à Guilhem, il s’est contenté de le suivre du regard, levant vaguement le menton pour accompagner son mouvement : mais son visage ne trahissait rien – si ce n’est un mélange étrange de soulagement et de déception. Était-il rassuré de le voir s’éclipser, ou se serait-il honteusement avoué peiné face à ce départ rapide ? Sans doute un peu des deux.

— C'était bien, de te revoir, A conclu Jeremiah à l'intention de Guilhem en appuyant une pression fugace sur son épaule, avant de laisser retomber sa main, et redresser le nez vers les autres. « Profitez bien de New-York, et essayez de ne pas finir sous les barreaux.

Il a fait de son mieux pour ne pas réagir au geste familier, exercé par le musicien sur le départ ; car le moindre tressaillement aurait été une catastrophe, et il en était parfaitement conscient. Il s'est contenté d'adresser un vague sourire à ce dernier, assez distant pour masquer la cascade de sentiments contradictoires qui se bousculaient dans son esprit.

— Salut, Jeremiah.

Le choix des mots avait son importance : ce n'était pas un « à bientôt », ni un « j'espère qu'on se recroisera ». C'était un au revoir simple, sans promesse de rien. Mais peut-être que prononcer son prénom était une offense suffisante, une trahison nécessaire aux yeux de tous pour que lorsque l'intéressé s'éloigne enfin, le silence entre chacun des individus ne soit plus pesant encore. Il y a Althea, terrée dans son mutisme obstiné, décidée à ne pas le regarder, il y a James qui ne sait visiblement pas bien comment se comporter, et appuie sur son visage un regard interrogateur – avec l'air de lui demander ce qui venait précisément de se passer. Et puis il y a Hafsa, dont le sifflement de dédain discret ne se prive pas de l'atteindre, comme une critique dénuée de mots.
Il ne sait pas pourquoi il se sent si mal à l'aise, presque honteux de l'interlude passé. Peut-être parce qu'il avait l'impression d'avoir fauté quelque part, échoué brutalement à demeurer ce qu'il aurait dû être – détaché, tout à fait distant vis-à-vis d'un individu pas si important. Si on y regardait de près, c'était tout ce qu'on leur avait toujours demandé, à Jeremiah et lui : de se cacher, de ne surtout pas montrer la moindre once de leur complicité partagée. Et si les motifs de dissimulation étaient désormais différents, il lui semblait ressentir la même peine qu'il y a des années, en prenant conscience qu'il n'était pas de ceux qui réussissaient à se masquer.
Alors, il n'a rien dit. Après tout, il ne leur devait rien, aucune explication ; ou peut-être juste à elle, dont il avait écorché le palpitant par mégarde.

— Greenwich Village n'est pas très loin, Finit par lâcher James. Mais il commence à se faire tard, et je doute que Susan sera enthousiaste à l'idée de nous aider, si on doit la réveiller.

À ses côtés, Althea a hoché la tête sobrement en se redressant de son siège.

— D'accord. Laisse-moi juste prendre l'air quelques minutes avant, Lâche t-elle platement.
— Je peux t'accompagner ? A simplement demandé Guilhem, le nez levé vers elle.

Elle a pivoté le menton vers lui, l'œil atone. Mais elle n'a pas répondu, se contentant de pincer légèrement les lèvres avant de tourner les talons pour rejoindre le fond du bar, et la porte de service qui y était enfoncée. Sans un regard pour les autres – sûrement parce qu'il n'avait pas besoin d'être témoin de leurs airs moralisateurs — Guilhem s'est alors levé pour lui emboîter le pas, alors que celui de la vélane se faisait plus pressant.
Sa silhouette fine s'est faufilée dans l'arrière cour étroite, sorte de petit square sombre aux murs de briques hauts, seulement éclairé par une loupiote solitaire ; là, elle a levé le menton vers le ciel assombri, sans doute pour inhaler l'air froid du début de la nuit. Incertain, le poursuiveur s'est stoppé à quelques pas d'elle, ne sachant que faire, que dire face à son silence. La gorge serrée, il l'a observée pendant un court instant, un peu impuissant face à la scène dont il se faisait témoin.

— Althea... A t-il soufflé du bout des lèvres.

Elle a baissé le menton pour le dévisager. Et sans doute ne pourrait-il jamais oublier le regard qu'elle lui a adressé à cet instant, parce qu'il lui a fissuré le cœur – si violemment qu'il a senti le coup se répercuter entre ses côtes, jusqu'à son dos. Elle avait les yeux humides et brillants, ceux qu'elle avait lorsqu'elle s'était retenue de pleurer trop longtemps. Et elle avait cette façon de le regarder sans rien dire, sans bouger d'un cil pour le rejoindre ou s'en éloigner, de le regarder sans rien faire d'autre que de le transpercer de la peine qu'elle ressentait. D'autres auraient pu se moquer de la voir si terrassée face à la scène vécue, d'apparence si futile, ou si banale ; pas lui, parce qu'il comprenait. Il comprenait que ce qu'elle vivait à l'instant, c'était leur tragédie personnelle : celle d'être témoin d'un amour peut-être révolu depuis longtemps, mais vrai. Un amour raturé, mais qui ne lui était pas destiné.
Ce qu'elle vivait, c'était l'horreur de comprendre que peu importe l'idéalisation de leur propre passion, celle-ci pouvait tout aussi bien terminer un jour au même endroit : dans le cimetière des amants vénérés, qui n'appartenaient plus au cœur, mais au passé.

Et lorsqu'il a vu la première larme s'écraser contre sa joue, il n'a pas réussi à rester immobile plus longtemps. Il la rejoint en quelques pas et il l'enserre, il l'étreint avec force dans l'étau de ses bras. Contre sa nuque, il a senti le soubresaut d'un sanglot, puis d'un autre ; et il l'a serrée, Althea, avec l'intensité des coupables, des terrorisés, des criminels du cœur. Il l'a serré pour s'excuser, pour vivre avec elle le drame qui l'écartelait, pour assassiner sa propre honte d'avoir tant aimé, et noué son cœur à un autre que le sien, d'avoir un jour tremblé au contact d'autres mains.

Peu importait si de cet amour, il ne restait plus rien.

Althea Lovegood
Althea Lovegood
Admin

Onglet 1
Âge : 25
Occupation : Joaillière
Head : be a fool ⎯ althem 21c29054d0a8d9b604e39302a7641e83
Messages : 10
Date d'inscription : 26/03/2024
Onglet 2

   

stars, hide your fires
ft. guilhem verrier
28 avril 1949 ⎯ New york ; Metropolitan museum of art

TW alcool, mention de meurtre

Les premières secondes ont été suffisantes pour la plonger dans les plus sombres des tourments. C’est le regard de Guilhem qui a révélé sa traîtrise, lui et sa façon d’arrêter de respirer, de laisser glisser sur ses traits expressifs des sentiments dont elle n’est plus la cible. Sans qu’il n’ait eu besoin de prononcer le moindre mot, Althea a saisi l’instant précis où elle a cessé d’exister. Reléguée au rang d’une ombre sans vie ; abandonnée sur une banquette usée par le passage d’autres corps plus vivants que le sien.

L’amante se fait la témoin impuissante d’une histoire d’amour qui renaît, et tous les mots qu’elle voudrait prononcer meurent dans sa gorge — en parfaite harmonie avec son cœur. Bien que ses doigts tremblent, bien que sa gorge soit nouée, Althea essaye. De toute son âme elle tente alors, à travers des tentatives désespérées, de capturer son regard, de capturer son attention ; de réussir à seulement exister. Mais Althea n’est plus qu’une écharde plantée dans les retrouvailles qui se jouent à côté d’elle. Pauvre poupée de porcelaine entravée par des émotions dévastatrices qui doit assister au chaos de son destin, pauvre vélane qui use de ses charmes et qui doit affronter le stoïcisme de son amant. Foutu spleen vélanien qui s’installe dans les méandres de sa conscience et dont la poésie moribonde dévore les instants passés.

Alors Althea boit, ne serait-ce que dans l’espoir futile d’enivrer son âme ; dans ce désir stupide que la douleur se fasse moindre. Mais entre ses lèvres, la bière a désormais un goût de cendre. Il suffit de la regarder pour le comprendre : la vélane perd de sa superbe. Elle se noie dans ses iris désormais ternes. Celle qui avait toute la place dans le cœur de son aimé a été renvoyée aux heures les plus sombres de son existence, à ces années oubliées où elle n’était qu’un visage dans l’ombre et qu’il se pavanait dans les bras d’autres êtres.
Mais dans cet état cathartique, à travers cette idée oppressante qui lui murmure qu’elle peut mourir de cette ignorance, elle ne prend pas encore conscience qu’elle respire encore.
Elle le comprend quand il l’achève. Parce que dans son indifférence, le pire survient lorsque Guilhem prend la parole, qu’il ose les présenter en attardant à peine ses prunelles sur ses traits fermés. Il effleure son nom comme on jette une offense, il le prononce sans laisser paraître une seule faille dans sa façon d’épeler les syllabes de son prénom — pourtant si souvent murmuré telle une promesse d’éternité. Et certainement que s’il s’était attardé sur la nature de leur relation, s’il avait eu la décence de rappeler à son esprit perturbé son existence, la douleur n’aurait pas été si profonde. Mais Althea n’est plus désormais. À ses yeux, les sentiments se fanent, les déclarations succombent, ne laissant d’elle qu’une londonienne perdue dans les rues d’une ville trop grande. Simple visage amical à ses yeux, qu’il efface dans un battement de cils en reportant son attention ailleurs.

Alors c’est vers l’intrus qu’elle reporte sa colère, sa jalousie maladive, son envie d’ôter à ses lèvres ce sourire qu’il ose dévoiler face à son néant. Lui et la façon dont il fait danser ses mots et ses yeux, comme s’il n’était pas en train de la poignarder.
En plein cœur, en plein ventre.
En plein dans l’amour qu’il réduit en cendres.

Althea a des envies de violence.
Elle est possédée par une haine dévastatrice qui capture ses traits et fait trembler le bout de ses doigts crispés ; de ce sourire qu’elle n’arrive même plus à prétendre et qui parsème sur ses traits les similitudes qu’elle partage avec ses ancêtres. Ses yeux sont plus sombres, le long de son épiderme se dessinent des filaments noirâtres indistincts — et le feu qui la ronge lui donne la nausée. Chaque geste, chaque détail infime est une nouvelle flèche enfoncée dans son ventre qui parvient à y insinuer un poison à la douleur atroce.
Le regard de Guilhem sur les doigts de son antagoniste, l’effleurement passager de ses iris sur ses traits, sur le mouvement indistinct de ses mains. Leurs voix qui échangent des mots qui ne font qu’effleurer le bourdonnement continuel qui résonne dans ses oreilles.
Althea a envie de hurler, non, de s’effondrer, ou peut-être seulement de disparaître. De ne plus avoir à affronter la violence de cet échange qui se déroule devant ses yeux.
Ses pensées se font meurtrière, elles infligent à son esprit des idées bien cruelles, des désirs imaginaires qui la font tanguer sur sa banquette et qui recouvrent ses yeux d’un voile bien trop sombre.

Que son dernier souffle s’ôte à ses lèvres plutôt que de la forcer à assister au ballet incessant de leurs regards.

Mais quand il semble prendre conscience de son existence, elle évite alors les siens, parce qu’elle est certaine d’y lire un sentiment bien trop complexe pour qu’elle puisse le supporter. Althea sait que si elle ose l’affronter, elle va simplement apercevoir la promesse d’un amour qui s’éteint, d’une excuse qui ne se dit pas mais qui la prépare à la fin.
Les mots qu’elle prononce alors sont assez légers pour qu’elle peine à les entendre, étouffée par le bruit dans sa poitrine, dans ses tympans, de la peur qui lui enserre le ventre — celle qui semble prête à l’achever.

Althea est terrifiée par les émotions qui la submergent.
Elle est envahie par cette tristesse excessive qui s’insinue dans sa gorge et qui s’y coince, qui l’étrangle et la fait suffoquer. Elle est possédée cette colère noire, indicible, qui lui donne envie de le briser, de le blesser comme il peut le faire à ce moment précis.
Ce sont des pulsions primaires qui s’emparent d’elle quand elle s’avance vers le bar et qu’elle sent l’empreinte de son regard dans son dos. Désir irrépressible de lui faire ressentir tout ce qu’elle éprouve qui se glisse dans la courbe de ses lèvres. Que dans la violence de l’instant, les deux protagonistes soient à égalité. Devant-elle le visage de Lucian est de ceux qui l’attirent ; peut-être simplement parce qu’elle a conscience qu’il serait simple de transformer sa colère en un chaos charnel. D’offrir alors à Lucian, en souvenir de leur passé, un de ces baisers fougueux qui étouffent les pensées et qui font oublier la douleur d’aimer en laissant parler des envies plus cruelles. Les mots de son ancien amant l'effleurent pourtant sans l’atteindre et sur sa langue les siens sont de plombs. Elle tente pourtant d’offrir quelques regards, quelques murmures, mais dans ses yeux ternes l’étincelle est éteinte. Sous les sourires qu’il lui offre, sous l’effleurement de son regard sur ses traits, sur sa robe, sur ce désir qu’il fait entendre à travers le souffle rauque qu’il égare dans ses phrases : elle sent pourtant qu’il serait simple de satisfaire sa cruelle vengeance.
D’obéir à ce désir obsessionnel qui s’efface quand James arrive.

Dans le jeu de leurs égos, la présence de l’anglais la pousse à baisser la tête, à renoncer au besoin qu’elle éprouve de forcer chaque personne à ressentir la même douleur que celle qui la ronge. Désir qui se meurt dans les tréfonds de son ventre quand elle doit affronter une nouvelle fois le regard de Guilhem et l’effronterie de cet ancien amant qui impose à son existence cette insupportable violence.

Les secondes sont des épines dans son cœur de pierre.

Elles s’ancrent entre ses lèvres qu’elle pince pour ne pas parler, pour ne rien dévoiler du chaos qui règne en maître dans ses pensées. Les mots qu’elle offre sont préparés. Quand ils s’échappent, ils le font sur un ton qui glisse pour se faire linéaire, douce vélane au visage de marbre, qui dissimule derrière la pierre de son apparence les larmes qui menacent de briser son stoïcisme forcé.

Le ciel d’aniline qui se dévoile au-dessus d’elle capture son regard et mêle à ses iris le néant de son existence. Les larmes qui naissent sont, pour elle, la preuve d’une faiblesse risible qu’elle voudrait chasser mais qu’elle ne peut contenir. Comme si le trop plein de son être n’avait trouvé que cet échappatoire pour exprimer le foutoir dans ses pensées. Même la voix de Guilhem ne parvient pas à y mettre de l’ordre. Il arrive seulement à la faire céder. Que ses barrières s’effondrent et libèrent le torrent de son âme. Et dans l’étreinte de ses bras, dans la caresse de son souffle, le battement sourd de son cœur se fait encore plus fort car Guilhem ne parle plus. Il ne tente pas d’expliquer ce qu’il a ressenti, d’encore essayer d’user de sa verve onirique pour se perdre en pardons.

Althea ressent la culpabilité qui l’étreint, cette douleur partagée qui se dévoile dans le silence qu’il laisse s’installer. Il est simple alors de penser qu’elle ne vient pas de ses gestes, mais des sentiments qui le rongent ; que s’il la serre aussi fort, c’est simplement parce qu’il ne parvient pas à formuler les adieux qui menacent le pas de ses lèvres.

La terreur infâme qui capture soudainement son ventre fait flancher ses jambes. Elle renforce ses sanglots, laisse son âme en morceaux. L’évidence se dessine à la lueur de la lune et des étoiles éteintes par l’orage qui menace leur existence. Guilhem va la quitter. La scène d’une rupture entre les murs de briques, sous cette nuit aussi sombre que le linceul de leur amour est risible — détestable. Tout le reste n’est plus qu’un grain de poussière dans l’étendu du monde, de ses doigts qui s’agrippent à lui pour le supplier de ne pas la lâcher. Peu importe ce qu’il éprouve, peu importe s’il décide qu’à ses yeux leur amour n’est pas assez pour lutter contre son passé. Tous les mots qu’elle voudrait prononcer meurent sur sa langue, dévorées par les secondes qu’elle passe sans bouger, sans réussir à contrôler la tristesse qui la ronge et qui la noie dans l’océan de ses larmes.

Contre sa joue, la main de Guilhem se redresse.
Elle capture son visage, effleure du bout de ses doigts sa peau, ses lèvres humides. Althea le connaît par cœur et pourtant les expressions de son visage ne sont plus que des contradictions. Lorsque ses lèvres se déposent contre les siennes, elle ose fermer les yeux et s’accrocher à l’espoir que ça ne soit rien, si ce n’est un passage éphémère dans la continuité de leur existence, qu’il ne représente pas les adieux qu’il ne peut pas exprimer. Le sanglot qui s’échappe n’est plus qu’une supplication silencieuse, perdu entre les bruits de la ville et du brouhaha de leurs êtres abîmés.
C’est le baiser d’amants perdus.
Ce sont leurs doigts entremêlés.
C’est son corps à elle qui recule. Qui s’éloigne de l’attrait de ses lèvres.


— Tu vas me quitter, n’est-ce pas ?

La question brûle quelque chose dans sa gorge.
C’est une interrogation qu’elle pose, une affirmation qu’elle lui jette au visage sans pourtant réussir à le regarder. Althea évite ses yeux pour ne pas avoir à affronter la réalité de ce monde qui s’effondre sous ses pieds.

— Comment est-ce que tu peux croire que c’est envisageable ? Demande-t-il en un souffle.

Les yeux d’Althea se ferment alors, juste un peu, juste un instant. Le temps qu’elle parvienne à retrouver son souffle, ne serait-ce que pour être capable de reprendre le fil de la conversation ; pour qu’elle puisse être capable de rester debout.

— Tu l’as aimé, Reprend-elle dans une affirmation qui s’étrangle dans sa gorge. « Et tu l’aimes encore, tu peux me l’avouer. Je sais que ça va me briser, mais je préfère ça à tes mensonges…


Cette fois ses mots se brisent, ils s’effondrent et l’entrainent dans des failles trop sombres. Alors, quand elle plonge l’azur de ses prunelles dans les profondeurs des siennes, elle jurerait qu’elle va s‘y noyer. Mais elle a besoin de le voir, elle a besoin d’affronter la sentence de cet amour éteint. Peu importe si les mots qui lui viennent l’achèvent, elle a besoin de les entendre de sa bouche, ne serait-ce que pour savoir ce qu’ils doivent faire et ce qui va advenir de leur existence.

— Non Althea, Souffle-t-il en s’avançant à nouveau vers elle. Non, je ne l’aime plus.

La sincérité de sa voix fait flancher ses jambes, fait vaciller son corps.
Les larmes qui dessinent dans ses traits des sillons de douleur, la libèrent de la peur qui l’oppresse pour ne laisser qu’un souffle inaudible.

— Alors dis moi, Implore-t-elle d’une voix plus forte. « Dis moi ce que tu as ressenti en le voyant. Dis moi ce que tu as éprouvé devant lui !
— Althea… Supplie-t-il dans un murmure.
— J’ai besoin de le savoir, j’ai besoin de… Débute-t-elle avant de se reculer, sa voix tremblante et sa main déposée contre sa poitrine. « J’ai besoin de savoir pourquoi il a réussi à te faire oublier mon existence.
— Pourquoi est-ce que tu fais ça, qu’est-ce que ça changerait ?
— Parce que j’ai peur Guilhem, Libère Althea dans une confession éraillée. « Parce que tu l’as aimé et que je suis terrifiée à l’idée que cet amour revienne te frapper comme il l’a fait avec le nôtre ! J’ai peur que notre histoire ne soit pas aussi forte que celle que tu partageais avec lui, j’ai peur que tu m’abandonnes et que tu me brises une nouvelle fois le cœur.
— Mais ce n’est pas le cas, Althea tu…
— Ne me mens pas, pitié, Le coupe t-elle abruptement. « J’ai vu comment tu le regardais, Guilhem ! Quand il est arrivé il n’y avait plus que lui qui comptait, j’étais assise à côté de toi mais j’aurais tout aussi bien disparaître que tu n’aurais pas été capable de le remarquer.
— Je…, Essaie-t-il de l’interrompre, mais ses mots étouffent dans le monologue de la sorcière.
— En un claquement de doigts, tu m’as rayée de ta vie. Je n’étais plus ta petite amie mais juste une connaissance, au même niveau que James et Hafsa. Je n’étais plus rien, comme avant quand tu jouais au Quidditch et que tu parvenais à me donner l’illusion que tu pouvais m’effacer de ton existence d’un simple geste de ta main. Sauf que cette fois je pensais qu’on était plus forts que ça…



Les mots sont maladroits, ils s’échappent de ses lèvres sans qu’elle ne trouve la force de les formuler correctement. Althea libère ses pensées dans un flot continu qui tente d’exprimer le chaos de son cœur sans parvenir à évoquer plus que les prémices de toutes les émotions qui la ronge. De ses blessures qui peinent à se refermer et qui ne laissent dans sa poitrine qu’une plaie béante. Quand il s’avance, elle baisse les yeux sur la cigarette que James lui a donné. Elle préfère se concentrer sur son mouvement quand elle la glisse entre ses lèvres et qu’elle l’allume d’un mouvement de ses doigts fébriles — magie apprise par Hafsa.
Elle prend alors une longue inspiration en essuyant ses larmes de son autre main.
Geste rageur qui se meurt dans le silence qui s’installe autour d’eux.

— Je suis désolé, Reprend maladroitement Guilhem. « Je ne pensais pas le revoir un jour, encore moins ici, encore moins avec toi…
— Tu sais pourquoi je me suis levée de la table ? Parce que je voulais te briser Guilhem, Confesse-t-elle d’une voix plus basse en exhalant la fumée. « J’étais prête à me servir de Lucian pour te faire éprouver la même jalousie, quitte à ce qu’on s'abîme, quitte à détruire mon ami. J’étais prête à ça. Parce que te voir avec lui… » Elle s’interrompt un instant, le temps de glisser une mèche derrière son oreille ou simplement de trouver les mots justes à poser sur la fracture dans son ventre. « Ça m’a donné l’impression que tu m’arrachais le cœur à mains nues et que tu exigeais que je te regarde le broyer.
— Ce n’est pas ce que je voulais, Finit-il par avouer à mi-voix. « L’amour que je ressentais pour Jeremiah était différent du nôtre, Althea…


La situation est plus violente encore, elle fracasse son esprit contre le mur de pierre et la pousse à fermer les yeux. À clore ses lèvres de toutes ses forces pour essayer d’affronter ce qu’elle ne parvient pas à taire.
Parce qu’elle le sait.

Althea sait qu’il ne voulait pas qu’elle éprouve ce qu’elle peut ressentir à ce moment précis, elle sait qu’il aurait préféré subir mille tortures plutôt que d’affronter la scène qui se déroule devant leurs yeux humides, mais dans le fond, peut-être aurait-elle préféré qu’il fasse résonner des mensonges plutôt que ses aveux. Qu’il prétende ne pas l’avoir aimé et que cette idée n’était qu’une illusion donnée par une scène étrange, embuée par des vapeurs enivrées.

Mais ce qui l'abîme le plus, c’est cette prise de conscience cruelle, celle qui affirme qu’elle ne peut pas le haïr pour des sentiments passés, peu importe à quel point elle peut les mépriser. Elle ne peut ignorer qu’elle aussi a aimé des êtres qui n’étaient pas lui, peut-être moins fort, peut-être d’une façon différente, toujours envahie par cette idée persistante que l’amour menait à la fin — mais Althea a aimé.

Que deviendrait-elle devant le visage d’Oscar, devant cette nostalgie cruelle qui viendrait alors s’infiltrer dans ses veines pour lui rappeler une époque oubliée et un futur qui aurait pu exister. Peut-être est-ce seulement à cet instant précis qu’elle prend conscience qu’elle ne peut pas lui reprocher le trouble de ses yeux égarés, de ses doigts agités, de la douleur insidieuse qui ose détourner les amants.
Lorsque ses yeux se ferment, elle peut entendre ses pas qui s’approchent, elle peut sentir le glissement léger de ses doigts contre les siens. La caresse qui remonte le long de ses bras est légère, éphémère, mais elle est là. Les lèvres qu’il dépose dans son cou la poussent à se laisser aller durant un instant.
Elles apaisent la fougue de son cœur, pansent certaines blessures de son esprit épuisé.

— Est-ce que tu me crois quand je te dis que je ne te quitterais pas ? Demande-t-il finalement contre sa peau. Est-ce que tu es capable d’accepter cette promesse-là ?


Les lèvres de la sorcière s’ouvrent, les mots effleurent ces dernières, dansent sur le pas de sa langue mais rien ne s’échappe, si ce n’est un souffle incertain. Si la question avait été posée lors de leurs retrouvailles, au début de cette soirée ou peut-être même la nuit passée, elle n’aurait pas hésité. Mais désormais, le doute infiltre ses racines âpres dans les fêlures de sa raison.
Car si un amour passé peut se faner, comment peut-elle croire que leur histoire ne connaîtra pas une fin aussi tragique ?

— Althea, s'il te plaît
— Je te connais Guilhem, Admet-elle à contre-cœur. « Tu ne sais pas aimer à moitié, tu offres ton amour sans discernement et incommensurablement. Les hommes et les femmes que tu as aimé sont toujours ancrés en toi, et moi je ne sais pas où j’ai ma place dans tout ça.

Avec tendresse, avec douceur, il glisse l’or de ses doigts entre les siens pour déposer leurs deux mains enlacées contre son cœur. Il attend alors qu'elle accepte d’affronter son regard, qu’elle laisse sa souffrance céder un peu de place aux autres sentiments.
Avec patience, avec délicatesse, il l’attire contre lui. Il laisse son souffle s’ap
aiser, laisse les battements dans sa poitrine se faire plus réguliers.


— Toi et moi, c'est différent, Finit-il par dire, usant alors des mots que la vélane avait trouvé, plus tôt dans la soirée. « Parce que c'est nous. Parce qu'il y aura toujours un nous, et que ce nous est le seul qui m'intéresse. Parce que je t'aime toi.

Dans leur dos, le bruit de la porte les arrache tous les deux à l’instant dans un sursaut, laissant alors apparaître un James au visage défait, gêné d’interrompre la scène qui lui fait face. Mais dans ses traits se dessinent pourtant un air soulagé, légère faille qu’il fait disparaître quand il jette un regard derrière lui ; probablement vers Hafsa.


— Hafsa ne voulait pas venir vous chercher, elle avait peur que vous soyez entrain de…, Débute-t-il avant de s’interrompre brusquement quand cette dernière arrive à ses côtés.
— Peut-être que maintenant on pourrait essayer de t’empêcher de finir tes jours en prison, avant que vous décidiez d’encore disparaître pour vous comporter comme des sauvages, Lâche Hafsa avec lassitude en observant les deux amants et leur proximité. « On vous attend devant, James a appelé un taxi, alors dépêchez-vous !


La sorcière disparaît alors dans un mouvement de tissus et de boucles brunes. Elle emporte avec elle son air hautain et sa fatigue à l’idée de devoir se les coltiner durant le reste de la soirée. Elle laisse en plan les témoins de sa phrase, les trois muets qui échangent un regard avant que James ne reprenne la parole d’une voix un peu plus hésitante.

— Je l’aurais sûrement formulé autrement mais…
— On arrive, L’interrompt Guilhem avant de tourner sa tête vers Althea.


Il a alors ce regard-là, celui qui demande sans avoir à prononcer le moindre mot, celui qui veut savoir tout en craignant que la réponse ne soit pas celle qu’il attend. Althea voudrait tellement être capable de le rassurer, de lui dire que tout va bien se passer, mais ses mots ne parviennent pas jusqu’à ses lèvres, alors elle se contente de hocher sa tête. De laisser défiler les secondes, ses yeux noyés dans les siens. Parce que si la peur est toujours présente, elle peut sentir son étreinte qui la libère lentement, elle sent de nouveau les battements qui se font plus réguliers dans sa poitrine. Alors, avec cette même lenteur assassine, elle remonte ses doigts contre sa nuque, elle effleure la base de ses cheveux pour y glisser ses mains. La paresse amoureuse de ses lèvres ne tarde pas à rejoindre les siennes.

Parce que si Althea a été délaissée par sa verve, elle tente d’insinuer dans le baiser qu’elle lui offre, les choses qu’elle ne parvient pas encore à lui dire. Les pardons qu’ils accordent et les promesses incertaines d’un futur qui glisse entre leurs doigts. Et qui prend fin quand elle recule.

Le sourire qu’elle lui offre alors est plus sincère que ceux qu’elle a tenté de dessiner plus tôt et d’imposer à ses lèvres crispées. Il reste pourtant léger, malgré le baiser qu’il dépose sur son front.

— Hafsa doit certainement nous détester, Parvient-elle à dire en essayant d’inculquer de la légèreté dans ses mots. « Elle nous trouve insupportables, tous les deux, elle prétend que l’on ne sait pas se tenir…
— Et puis quoi encore, c’est bien la première fois qu’on nous reproche une telle chose, Rétorque Guilhem avec un amusement encore peiné, arrachant à la vélane un sourire qui efface légèrement la tristesse de son regard. « Attends que je l’invite à une de mes soirées…
— Par Merlin, est-ce que tu cherches à la tuer ?

La jalousie est toujours présente, la tristesse également.
Ces sentiments restent encore bien installés dans les tréfonds de leur ventre. Mais la douceur de leurs mots glissent sur leurs instants passés un onguent réparateur. Douceur sucrée qui apaise leurs cœurs le temps de leur apprendre à se retrouver, à effacer de leurs mémoires les mots qui blessent et la douleur de leurs incompréhensions.

Le retour dans le bar fait pourtant louper un battement à Althea, simple erreur indistincte qui reprend sa place quand Guilhem resserre ses doigts autour des siens.

Peut-être que la légèreté de leurs pas parvient presque à lui faire oublier la violence à laquelle ils doivent encore faire face, ainsi que les histoires qu’ils n’ont pas encore réussi à régler. Peut-être qu’une fois au dehors ils pourront enfin affronter les affres de ce monde ensemble. Car c’est ainsi qu’ils sont les plus forts.

Perdue dans ses pensées, elle n’entend pas la voix de Lucian qui l’interpelle. Elle ne parvient pas à saisir les intonations dans son dos jusqu’à ce que Guilhem s’arrête et qu’autour d’elle le brouhaha du bar se fasse oublier.

— Thea, Répète Lucian en plaçant son torchon sur son épaule, ses avants bras appuyés sur le bar derrière eux. « Si ton séjour à New York vient à durer ou si tu n’as pas d’endroits où dormir, tu sais que tu es la bienvenue chez moi. En souvenir de nos insomnies passées.
— Par pitié Lucian, James est juste derrière la porte, Soupire Althea en guise de réponse avant de tirer Guilhem vers la sortie, prenant tout de même soin d’éviter le regard que son amant attarde sur ses pommettes rougissantes.


Ce n’est pas la honte d’avoir été découverte sur la nature de sa relation avec Lucian, ni le regard indécent que son ancien amant peut glisser sur sa silhouette quand elle se retourne qui arrive à teindre ainsi ses joues, non, c’est la culpabilité qu’elle éprouve devant le visage de James qui se dévoile quand ils passent la porte.

Lui et l’innocence qu’il représente face à l’instant passé.

Pendant un instant, Althea oublie pourtant la scène dans le bar, car son regard s’est arrêté sur la veste que Hafsa tient autour de sa robe. La vélane ne peut s’empêcher de l’observer avec un certain amusement, comme si elle tenait là la preuve d’un quelconque rapprochement entre ses deux amis. Comme prise en faute, ou agacée par la simple idée d’une relation avec James, Hafsa lève les yeux au ciel, avant de disparaître dans le taxi.
Elle est suivie de près par son ami, mais avant qu’Althea ne rentre, Guilhem la retient un instant.

— Il est au courant ? Demande-t-il sans s'appesantir sur la question, conscient qu’il n’a pas besoin de donner plus d’informations pour qu’elle en saisisse le sens.
— Non, je ne lui ai jamais dit, Répond Althea en baissant la tête. Tu trouves que je suis une mauvaise amie ?
— Non, mais par pitié Althea, demande à Hafsa de ne jamais te présenter son frère.


Pendant un instant la jeune femme ne bouge pas. Il lui faut une seconde fugace avant qu’elle ne saisisse l’humour glissé derrière ses paroles. Celles qui sont pourtant étouffées par une once de jalousie qu’il insinue dans certaine intonation. Et ça lui arrache un sourire lorsqu’elle lui offre un baiser, en glissant sa main dans sa nuque.

— Je ne peux rien te promettre, Marmotte-t-elle alors.
— Je vais te dénoncer moi même aux Aurors Althea Lovegood, si tu ne rentres pas dans cette fichue voiture ! S’exclame Hafsa, à bout de patience.

Les deux amants se glissent alors à l’arrière de la voiture, l’un à côté de l’autre et entre ses doigts les siens se mêlent. Ils s’agrippent à cette chair qu’il lui offre alors que son visage se glisse dans le creux de son cou dans une étreinte silencieuse. Ils ont tous les deux conscience que sur leurs frêles épaules les histoires à régler s’entassent, que de simples mots dans une cour ne pourront réparer les failles qui règnent en maître à travers leurs yeux éteints. Mais à cet instant précis, leurs pensées ne sont plus alourdies par la noirceur du monde autour d’eux. Seuls leurs regards égarés sur la ville qui défile sous leurs yeux arrivent à les capturer, seuls les effluves de leurs parfums qui se mêlent perdurent derrière leurs traits fatigués.

Althea se détache pourtant, pour se pencher en avant et glisser ses bras sur le dossier des sièges avant.

— Comment tu te sens ? Demande-t-elle d’une voix placide à James.
— Très bien, Répond ce dernier, dans un enthousiasme feint. « Mais la prochaine fois qu’un de vous deux souhaite m’inviter à une réception, un gala, ou même une simple soirée, peut-être qu’il aura la gentillesse de ne pas le faire.
— Tu es de mauvaise foi, Rétorque Althea en entourant son cou de ses bras dans un semblant d’étreinte. « Les soirées à Londres se passent très bien.


Si James lève ses yeux au ciel, sa bouche semble pourtant se dérider légèrement. Il ose même attarder, durant un instant, sa tête contre le bras de la vélane.

— Sauf quand Simon invite son imbécile de copain et qu’il passe son temps à parler de lui-même, Rajoute Hafsa dans un râle.
— Elle parle de Fergus Brown, Précise Althea à l’intention de Guilhem. « Tu le connais sûrement, il joue pour les Pies de Montrose. Je crois même que vous avez fait une campagne ensemble.
— J’ai déjà croisé son chemin, Élude son amant en détournant son regard vers les lumières de la ville. « Il y a quelques années.

Après avoir ébouriffé les cheveux de James, Althea recule contre son dossier. Son visage se dépose alors sur l’épaule de Guilhem, ses doigts effleurent une nouvelle fois le tissu et les fleurs qui dansent sous ses mains offrent à ses lèvres un sourire fatigué.

— Tu vas bien ? Demande-t-elle finalement d’une voix plus douce, inaudible pour d’autres oreilles que celles des deux amants. « Je veux dire… Après tout ça.
— J’ai hâte que la soirée se termine.


La fin de sa phrase se meurt dans le baiser qu’il dépose sur le haut de son crâne. Et elle pourrait jurer que lorsqu’elle clôt ses yeux, elle pourrait succomber. Aux affres du sommeil, à l’appel silencieux de Morphée, simplement bercée par le mouvement du véhicule et son parfum.
Par l’épuisement que son esprit peut ressentir.

— Ça fera 8 gallions.


Le schéma se répète, Guilhem glisse sa main dans sa bourse pour récupérer quelques pièces qu’il laisse tomber, sans se préoccuper du fait que le chemin ait été plus court que la première fois et de l’arnaque évidente dont ils sont les victimes.

Les quatre, pardon, la fugitive et ses alliés se retrouvent alors dehors, dans un quartier résidentiel dont la majorité des lumières sont éteintes. Devant eux une maison à la façade de briques se dévoile. Elle ne semble pas différente des autres, ses grandes fenêtres ne montrent pas la moindre lueur. Même les rideaux sont tirés, promettant alors aux visiteurs un accueil glacial. Pendant un instant les quatre protagonistes se regardent, ils hésitent sur la marche à suivre. Rester ou affronter le courroux d’une âme qu’ils viendraient réveiller pour l'entraîner avec eux dans l’illégalité.

Finalement, c’est sur James que les yeux s’arrêtent le plus longtemps.

— Quoi…
— Tu la connais mieux que nous, Indique Althea avec un haussement d’épaules.
— Par Merlin, Abdique James dans un soupir avant de s’avancer vers la porte. Il s’arrête pourtant juste avant de l’atteindre, se tournant alors rapidement vers ses trois compères. « Notre histoire ne s’est pas vraiment bien terminée, elle ne sera pas heureuse de me voir, peut-être que…
— Frappe à la porte ! S’agace alors la marocaine.


Contraint et forcé, James lève sa main, mais avant de l’abattre contre le bois, il s’arrête, il se fige. Et certainement que Guilhem et Althea peuvent comprendre mieux que quiconque ce que ça fait de se retrouver face à un amour perdu, un amour brisé qui a réussi à abîmer les parties les plus infimes de leur être. C’est sûrement pour cette raison qu’ils ne font rien, qu’ils attendent sans un mot, sans un geste. Ils attendent juste qu’il soit prêt à le faire. Et quand enfin il se décide à donner quelques coups, ils peuvent voir cette même main qui se glisse aussitôt contre sa nuque, dans un geste nerveux qu’il ne parvient pas à dissimuler.

Les secondes passent alors, les minutes s’étirent pour ne laisser place qu’aux silences et aux regards qu’ils échangent. Derrière les fenêtres, les lumières restent éteintes et pendant un temps, ils se demandent ce qu’ils vont faire, ainsi abandonnés au milieu d’une rue inconnue. Mais alors que James s’apprête à revenir à leur hauteur et à descendre l’escalier, les lumières s’allument enfin.

Althea pourrait jurer entendre le cœur de James qui s'effondre sur les marches et qui s’y brise. D’autant plus lorsque la porte s’ouvre et que le visage de Susan se dévoile à leurs yeux. Si elle ne semble pas avoir été réveillée par les coups contre sa porte, la vision inattendue de James ravive une certaine lueur dans son regard.

Il y a alors une latence, un temps infime durant lequel tous les souffles s’arrêtent, toutes les respirations cessent, même les bruits de la ville disparaissent pour ne laisser place qu’à l’expectative des retrouvailles. Comme s’il était soudainement indécent pour les personnes extérieures à leur histoire de venir briser le regard que Susan et James échangent.
Juste avant que la porte ne se ferme devant lui.

Les laissant là, confus.

Aucun d’eux ne sait alors ce qu’il doit dire ou bien faire pour venir en aide à James. Ce dernier se retourne finalement vers eux ; son visage révélant alors la confusion de ses sentiments.
Juste avant que la porte ne s’ouvre à nouveau.

Devant eux, Susan semble beaucoup plus éveillée que la première fois. Est-ce parce qu’elle a enfin pris conscience qu’il n’était pas seul ou alors peut-être parce qu’elle s’est arrêtée pour faire face aux sentiments éveillés par la vision de ce visage venu du passé ?
Mais c’est principalement le regard qu’elle attarde sur eux qui les trouble, car ils peinent à comprendre pourquoi l’inconnue semble si alerte devant leurs traits. Comme si elle n'apercevait pas pour la première fois leurs expressions, sans que cette connaissance ne soit pourtant mutuelle.


— Est-ce qu’on peut rentrer ? Demande James en reportant son attention sur le visage de Susan. S'il te plaît.
— Non.


La réponse semble sans appel. Elle résonne dans la rue comme un couperet final à leur cavale. C’est seulement à ce moment précis que la vélane aperçoit la baguette dans la main de la sorcière, ainsi que les jointures de ses doigts qui ressortent tandis qu’elle serre plus fortement le bois. Althea comprend alors que quelque chose leur échappe, sans parvenir à l’identifier. Et le regard de Susan, qui papillonne entre leurs visages et les recoins de la rue sombre, ne fait que renforcer le malaise qu’elle éprouve.

— On connaît Bonnie, Fait-elle pourtant, en s’avançant d’un pas vers l'escalier. « On veut juste savoir où on peut la trouver.


Sous leurs yeux, le visage de Susan se fait plus malléable. Les expressions dansent sur ses traits, elles naviguent entre son inquiétude et son hésitation, elles se mêlent aux doutes qui déforment ses lèvres en une grimace. Pour toute réponse, elle jette un coup d'œil aux deux côtés de la rue avant de s’écarter. D’un geste de la main, elle les invite alors à rentrer, ce qu’ils font rapidement, comme s’ils craignaient qu’elle change soudainement d’avis.

Les quatre compères s’élancent et s’arrêtent dans l’entrée étroite. Autour d’eux, le hall dévoile un petit escalier qui monte vers l’étage, ils peuvent également apercevoir une ouverture à travers laquelle ils devinent les contours d’une cuisine, mais c’est vers le salon que Susan les dirige après avoir fermé la porte en faisant résonner le cliquetis des verrous dans leur dos. Sans un mot, elle les invite à s’installer sur son canapé et si tous les quatre sont serrés sur le petit espace qu’elle leur accorde, cette position inconfortable ne semble pas déranger la sorcière erratique qui fait les cent pas devant eux.
Le silence règne alors en maître.

Il glisse sur les protagonistes son lourd manteau et étouffe jusqu’à leur respiration.

— Parlez, Les invite finalement Susan, après un temps de réflexion, sa main s’agitant devant son propre visage.


Le quatuor échange alors un regard rapide. Ils mettent pourtant un certain temps avant de se décider, comme s’ils craignaient que la sorcière face à eux ne soit pas assez digne de confiance pour qu’ils puissent lui dévoiler tous les détails de leur incartade.

— Ou alors mieux, Finit-elle par reprendre en faisant apparaître un papier dans sa main. « Expliquez moi pourquoi j’ai été réveillée par un hibou du bureau des aurors qui m’apportait un avis de recherche vous concernant.

Sur le papier, leurs quatre visages se dévoilent.
Les quatre recherchés, les quatre fuyards qui apparaissent alors dans une image agitée et pendant un instant, le temps se suspend. De toutes leurs aventures, de tous leurs voyages perdus dans les tréfonds les plus dangereux, c’est bien la vision de cette affiche qui frappe Althea le plus fort. Douce culpabilité qui forme un nœud dans son ventre, quand elle comprend qu’elle est l’unique responsable de la scène qui se déroule sous ses yeux impuissants.

— Tous les aurors de la ville l’ont reçu, Révèle Susan. Bridgerton était un homme important.
— Ce n’est pas ce que tu crois, Tente d’expliquer James en échangeant un regard rapide avec les trois autres. « Althea a été piégée.
— Ce que je crois, c’est que vous êtes en fuite et que vous n’avez rien trouvé d’autre que de venir vous cacher dans la maison d’une auror. Ce que je crois, c’est que vous n’êtes pas les fugitifs les plus intelligents.


Seule Hafsa semble se détacher de la conversation pour se pencher vers le parchemin et ainsi le regarder de plus près. Avant qu’une grimace ne se dessine sur ses lèvres face à la représentation de son visage.

— Mon nez ne ressemble pas du tout à ça…, Affirme la marocaine avant d’effleurer l’arrête de ce dernier. « Il est beaucoup plus fin.
— Je ne comprends pas pourquoi ils vous cherchent aussi, S’interroge Althea en ignorant Hafsa.
— Peut-être parce que je suis ton cavalier et que tu as passé une partie de ta soirée avec James et Hafsa, Rétorque Guilhem, et dans sa voix pointe une froideur si grande qu’elle ne peut s’empêcher de baisser la tête.
— Ou alors quelqu’un au bar nous a dénoncé, Le reprend James d’une voix plus douce.
— Maintenant, expliquez vous, Impose Susan.


Althea prend un certain temps pour trouver ses mots, bien trop concentrée sur la façon dont elle joue avec ses doigts, son visage éteint. Même lorsqu’elle parvient enfin à parler, sa voix peine à se faire entendre, maudit aveu de culpabilité qu’elle laisse résonner à contre-cœur.

— Bonnie m’a demandé de l’aider à attirer Thomas à l’écart. C’est elle qui l’a tué, mais je suis la dernière personne à avoir été vue avec lui, alors…



Susan reste un instant silencieuse, elle se contente de faire naviguer son regard entre les visages d’Althea, de Guilhem, de Hafsa et de James. Inconsciemment ou non, elle laisse la pièce se parer d’une noirceur plus grande encore, une qui étouffe les battements erratiques de leurs cœurs pour les plonger dans cette attente insupportable.
Celle qui se meurt quand Althea reprend la parole.

— On veut juste trouver Bonnie, elle est la seule qui peut nous…
— Bonnie ne vous aidera pas, L’interrompt Susan dans un soupir qui s’étire alors qu’elle se laisse tomber sur son fauteuil. « Elle ne fera jamais rien qui pourrait mettre en péril son combat.

Cette révélation, pourtant évidente, vient frapper la vélane en plein cœur. C’est la violence d’un coup de poing dans son ventre dont la douleur s’étend quand son regard s’attarde sur le profil de Guilhem, de Hafsa, de James, de ce foutu avis de recherche qui les dévoile tels de vulgaires criminels. La culpabilité est cruelle lorsque ses yeux se mettent à fixer le sol, elle peut la sentir qui s’insinue dans les moindres parcelles de son corps pour corrompre ses pensées les plus profondes.

— Tu dois aller te dénoncer, Reprend l’américaine d’une voix plus douce. « Ils pourront certainement comprendre, je peux venir avec vous et…
— Non, Intervient Guilhem d’une voix plus sèche, attirant à lui le regard des quatre autres. « Ce n’est pas une solution envisageable.
— On veut juste savoir où trouver Bonnie, Reprend James à son tour.

Ils peuvent voir l’hésitation qui se dessine sur le visage de Susan, celle qui est effacée par sa façon de lever les yeux au ciel.

— Elles se retrouvent souvent au Martin Beck Theatre, quand il n’y a pas de représentation, Avoue Susan. Si Bonnie n’y est pas, elle doit être au Quai, mais je vous déconseille d’y aller, je vous assure que vous préfériez la prison à cet endroit. » Sa phrase se termine alors dans une grimace emplie de dégoût. « Mais je pense que vous devez surtout vous changer…


Sa dernière phrase les pousse alors à se regarder, eux et leurs tenues bien trop évidentes pour des êtres en fuite. Les pétales, les roses et les éclats d’or ne sont rien si ce n’est des symboles de leur apparente richesse. De la culpabilité qui se dévoile dans les particules infimes et vermeilles qu’elle peut désormais apercevoir dans les détails du tissu.

— J’ai encore les vêtements d’un ancien petit ami à l’étage et vous pouvez vous servir dans mon armoire, Fait-elle avec un soupir, avant d’ajouter sous le regard insistant de James, « Non, les habits n'appartiennent pas à Lucian.


Difficilement, les quatre amis se lèvent, le poids du monde reposant désormais sur leurs frêles épaules. Malgré les réponses qu’ils ont réussi à obtenir, leur visage reste éteint. Comme si la continuité de la nuit les poussait à regretter les faux semblants du bal qu’ils ont quitté. Hafsa est la première à se diriger vers les escaliers, sans un mot, enfermée dans un mutisme qui exprime toute la colère qu’elle éprouve envers le monde entier. Althea et Guilhem sont les suivants, sans qu’un seul regard ne soit échangé entre les deux amants.
Seul James reste à la traîne, il attend que les trois autres disparaissent dans la cage de l’escalier avant de reprendre la parole :

— Je peux te parler ? Dit-il d’une voix étouffée qu’Althea entend à peine.


Hafsa sort de la chambre au moment où les deux amants arrivent sur le palier. Si Althea tente de lui dire un mot, de saisir sa main dans l’espoir de lui offrir un simulacre d’excuse, la sorcière ne lui en laisse pas l’occasion. Elle referme la porte de la salle de bain devant son visage, sans le moindre regard à son encontre.

Le silence qui règne quand elle pénètre alors dans la chambre est étouffant. Entre ses doigts le tissu des robes présentent dans l'armoire glissent lentement. Elle voudrait tellement être capable de retrouver sa capacité à user de ses mots pour lui dire ce qu’elle ressent mais les phrases s’échappent à chaque fois qu’elle tente de s’en servir.

Foutue syllabes qui s’égarent quand elle scrute la froideur de son profil.

— J’ai peur Guilhem… Confesse-t-elle d’une voix faible, le poussant à tourner légèrement son profil vers elle, sans qu’il ne lui réponde pour autant. « Je sais que tu n'approuves pas ce que j’ai fait et que tu es en colère contre moi, mais…
— Je ne suis pas en colère, Répond-il en récupérant des vêtements qu’il pose sur le lit. Si, pendant un temps, elle pense qu’il va s’arrêter là, il reprend malgré tout la parole après avoir libéré un long soupir. « C’est juste que… Je ne sais pas comment tu peux accepter ça, je pensais qu’on était d’accord et qu’aucun de nous deux ne cautionnait ce genre d’action.

Elle hoche légèrement sa tête sans réussir à lui répondre — sa gorge nouée par la culpabilité.

— Je ne comprends pas non plus pourquoi tu ne m’en as pas parlé, Finit-il par ajouter avant de relever ses yeux vers les siens. « Je ne sais pas comment tu as pu m’entraîner dans cette histoire et me mentir sur la réalité de l’aide que je t'apportais.
— Guilhem…
— Est-ce que tu penses vraiment qu’un homme mérite de mourir ?



Pendant un instant, le silence reprend sa place, peut-être parce qu'elle ne se sent pas capable d’exprimer le fond de sa pensée, de dévoiler ce qu’elle ressent à ce moment précis sans que les mots ne soient maladroits. Peut-être simplement parce qu’elle a conscience que l’aveu qui menace le calme de la pièce pourrait briser tout ce qu’ils ont réussi à construire ensemble.

— Oui je le pense, Confesse finalement Althea d’une voix beaucoup plus faible, alors qu’elle est incapable d’affronter le regard que Guilhem dépose sur son visage. « Parce que parfois, c’est la seule façon qu’ont les femmes de se défendre…
— Comment est-ce que tu peux dire ça, il y a tellement d’autres façons !
— Non Guilhem, parfois tu…
— Ne me fais pas croire que le meurtre est la seule solution pour…
— François va organiser un autre événement, je l’ai vu dans le journal la dernière fois, L’interrompt soudain la vélane. « C’est l’événement le plus attendu de l’été d’après l’article.

Les bruits du monde se meurent et le peu de courage qu’Althea peut encore avoir la pousse à avancer vers lui pour capturer ses mains, dans l’espoir de lire autre chose dans ses yeux que le mépris qu’il éprouve pour ses mots.

— Guilhem, les hommes ne payent pas pour ce qu’ils font aux femmes, parce qu’ils en ont le droit. Si je n’avais pas réussi à partir, si j’avais vraiment dû me marier avec lui, ils auraient réussi à en faire le mariage de l’année, peu importe ce qu’il me faisait subir derrière… Tu ne comprends pas parce que tu ne peux pas comprendre. Je ne cautionne pas le meurtre, mais quand elle l’a tué, tout ce que j’avais en tête c’était le fait que j’aurais aimé que ça soit François à sa place.
— Alors pourquoi tu ne m’en as pas parlé ?
— Parce que je sais ce que tu penses de tout ça et que j’ai honte Guilhem. J’ai honte de me sentir soulagée par la mort d’un homme. » La fin de sa phrase se brise, et quand elle reprend la parole, sa voix se fait alors plus rauque. « J’avais tellement peur que tu me haïsses pour ça…

Althea n’ose plus le regarder. Elle n’ose plus l’affronter.
Dans cette chambre inconnue, dans ce pays étranger, Althea est seulement capable de fermer les yeux et d'attendre qu'il lui dise qu’il ne veut plus d’elle. Que cette vérité là est trop atroce pour qu’il puisse encore rester dans la même pièce qu’elle.

Mais Althea est trop épuisée pour lutter, parce qu’il y a eu Jeremiah, parce qu’il y a eu Thomas, parce qu’il y a son monde qui s’effondre sous ses pieds et qu’elle se maudit d’avoir entraîné ses plus proches alliés dans sa chute.

Ce sont ses bras qu’elle sent en premier autour de son corps, ceux qui la serrent aussi fort qu’il peut le faire. À la déraison, comme une preuve silencieuse qu’il ne s’en ira pas. Qu’il ne peut pas partir, parce que dans ce monde là et jusqu’au bout de celui-ci, c’est toujours à deux qu’ils affronteront les plus grands supplices.

Peu importe leurs désaccords et les mots qu’ils ne parviennent pas encore à s’avouer.
Alors, pendant un instant, le temps s’est arrêté. Son cœur impétueux a cessé de s’agiter dans sa poitrine. Le nœud dans son ventre s’est défait, ne laissant place qu’aux effluves de son odeur, à la caresse de son souffle contre ses cheveux.

Assez pour qu’elle puisse remettre de l’ordre dans le chaos de ses pensées.

— Si Bonnie ne nous aide pas… Dit-elle avec plus de volonté que durant ses dernières déclarations. « Je prendrai toute la responsabilité, vous n’aurez pas à payer pour moi.
— Non.


Althea ne le contredit pas, à la place elle se redresse sur la pointe de ses pieds pour lui arracher un baiser. Peu importe ce qu’il peut affirmer, lorsque le souffle de la vélane l’incite à entrouvrir ses lèvres, lorsque ses doigts remontent le long de sa nuque, Althea le sait.
Sa décision est irrévocable.



Guilhem Verrier
Guilhem Verrier
Admin

Onglet 1
Âge : vingt-sept ans.
Occupation : poursuiveur tête-brûlée de l'équipe des Vivets de Naples ; la célébrité à laquelle il regoûte avec une forme d'ivresse, après avoir pensé celle-ci définitivement éloignée.
Head : be a fool ⎯ althem Qmtp
Habitation : rues ensoleillées d'un Naples où il apprend à se reconstruire depuis plusieurs mois, loin du Paris mortifère dont il avait fait son propre enfer.
Messages : 14
Date d'inscription : 26/03/2024
Onglet 2

   

stars, hide your fires
ft. Althea Lovegood
28 AVRIL 1949 ⎯ NEW YORK ; METROPOLITAN MUSEUM OF ART

TW mention d'assassinat, blessure physique, milieu carcéral, relations familiales dysfonctionnelles, mention de masculinisme, mention d'amputation.

Il méprisait la doctrine selon laquelle la violence était la seule à pouvoir fabriquer les hommes. Elle lui avait toujours semblé absurde et superficielle, sorte d'obligation arbitraire qui le rebutait depuis enfant. En dépit de son caractère turbulent, Guilhem ne l'avait jamais été avec les autres mômes, délaissant les bagarres avec un ennui et un dédain appuyé. Peut-être avait-il été forcé à y participer quelques fois – car d'une part, celles-ci étaient rarement le fruit d'un choix de sa part, et de l'autre parce qu'il maitrisait redoutablement bien le genre de provocations qui valaient de se prendre une ou deux mandales. Mais tout ce qu'il en avait tiré, ce n'était pas le goût du sang ou des coups : c'était plutôt l'euphorie de voir l'autre perdre tout sang-froid, lorsque lui restait d'une placidité insolente, même avec le nez déboîté. Cette étrange inclinaison n'avait fait que s'accroître à l'adolescence, pour atteindre le rang de talent à l'âge adulte – une compétence particulière qui ne pouvait que le rendre plus détestable aux yeux d'une société qui attendait des hommes qu'ils rendent les coups, et non qu'ils s'en moquent ouvertement.

Il n'avait jamais questionné sa posture d'homme, à ce sujet ; même lorsque tout portait à croire que pour l'être, il lui aurait fallu développer cette appétence pour la physicalité brute des combattants. Il trouvait celle-ci stupide, tout simplement : et si la mépriser voulait dire sacrifier la sacro-sainte virilité de sa petite personne, il n'en était pas dérangé le moins du monde. Pas plus que lorsque Calixte Saint-Loup avait ri la première fois, lorsqu'il était apparu lors d'une réception le cou orné de bijoux. Peu lui importait en réalité, de ne pas être le masculin parfait, espéré par le monde cruel qui l'entourait ; au contraire, il lui était peu à peu devenu plaisant de déplacer son être dans les zones grises où sa propre masculinité était indésirable, invalidée. Se dire homme, même lorsqu'il se refusait à lever la main ou à traiter les femmes de putains ; lorsqu'il boudait la présence de ses congénères et leur préférait volontiers la compagnie amicale du genre opposé, ou lorsqu'il étreignait les corps du genre auquel il appartenait. Se dire homme, même lorsque trop de choses chez lui revendiquaient leur mépris de toutes les choses qui auraient dû le socialement le modeler comme tel.

Quant à la violence, à l'appel du sang, il n'avait jamais été en mesure de le cautionner. Le comprendre, peut-être : avec la même distance que l'on saisit la nature d'une tristesse que l'on ne peut pas ressentir. Il n'était pourtant pas étranger à la colère, ou à la violence en elle-même ; mais il exprimait celle-ci par le verbe, et si l'emploi ne le déresponsabilisait pas pour autant de la gravité de ses débordements, il avait toujours considéré celle-ci comme moindre – peut-être par naïveté. Mais l'image du cruor, de la blessure définitive le heurtait : ainsi, comment aurait-il pu accepter totalement l'explication de la vélane qui lui faisait face ? Il arrivait à frôler, comme du bout des doigts, le raisonnement qui l'animait ; que Thomas était l'ombre jumelle d'un François qui l'avait fait souffrir plus que de raison, et qui n'avait jamais été puni ou même mis en cause pour ses actes. Car le monde se refusait à croire les hommes bien coupables – peu importe le sang qu'ils pouvaient avoir sous les ongles. Punir Thomas, c'était punir François. C'était mendier le soulagement d'une vengeance arrivée tardivement, et prier pour la délivrance que celle-ci apporterait : c'était prendre la vendetta comme amante, et l'enlacer à la déraison en attendant la jouissance. C'était montrer au monde ce qu'il aurait fallu faire de tous les autres, ceux comme lui, les enfoirés de la première heure, les criminels du corps et du cœur.

Il arrivait à comprendre le concept, sans pour autant réussir à en ressentir la nécessité, à se mettre pleinement à sa place ; mais s'il avait été totalement honnête, sans doute aurait-il reconnu qu'une partie de la blessure égotique qui avait été la sienne face aux propos d'Althea, était créée par la surprise de découvrir cette violence-là chez elle. Il s'était toujours montré persuadé de la répulsion de sa jeune amante pour les arrachées physiques, les combats à mains nues et les attaques au couteau. La savoir alors soulagée d'une mort innocente le troublait : peu importe si elle n'avait pas porté le coup définitif. Et s'il essayait tant bien que mal de prêter attention à ses raisons, sans doute était-ce ce fossé idéologique creusé entre eux, qui lui était le plus douloureux ; lorsqu'elle disait qu'il ne pouvait pas la comprendre. Qu'il ne le pourrait jamais.
Il sent pourtant sa culpabilité, à l'idée des émotions qui la traversent et avec lesquelles elle-même semble lutter ; il se dit alors qu'il est inutile de remettre davantage en question cette discorde naissante, qu'il vaut mieux essayer d'accepter – même si pour ça, il devait renoncer au fait de saisir tout à fait ce qui était en jeu au sein de sa psyché. Et tendis qu'il l'enlace en silence, il sent les muscles de son corps menu se détendre légèrement, à l'exception des mains qui se crispent dans son dos. Althea enfouit son visage dans sa poitrine, et pendant un moment, elle ne dit rien ; du moins, jusqu'à ce qu'elle affirme sa responsabilité dans l'affaire qui les accable. Jolie martyr aux lèvres qui se tendent vers les siennes, murmurent au sacrifice – inacceptable. Mais voilà que les amants cèdent, se taisent face à un combat qu'ils refusent tous les deux de perdre : sans doute feront-ils croire le contraire à l'autre, juste pour retarder l'échéance du désaccord primaire. Stratégie subtile, élaborée pour taire la précarité de leur tendresse amoureuse ; et ils scellent ce mensonge commun d'un baiser. Une façon de dire que ni l'un ni l'autre n'est prêt à abandonner.

Son nez frôle sa joue doucement, suivi de près par le flanc de son index. À cette distance, le visage d'Althea n'est qu'ombres et tâches de rousseur – charmantes irrégularités qu'il souligne d'une phalange rêveuse, caressante. Il se rend compte qu'il n'est pas en colère contre elle, juste inquiet. Parce qu'il déteste toutes les choses qu'il ne saisit pas à propos d'elle, comme si celles-ci avaient été autant de détails qui auraient été capables de la lui arracher. Il ne doit pas penser de cette manière-là – ça aussi, il en est conscient ; mais lutter est parfois trop difficile, lorsque toutes les peurs se conjuguent au présent.

— On devrait se presser un peu, Murmure t-il à regrets, le souffle pulsant encore contre ses lèvres. « Ils ont déjà suffisamment de raisons de nous en vouloir.

La vélane hoche la tête sans s'éloigner : charmante contradiction. Le bout de son nez frôle encore le sien un instant, puis elle finit enfin par se reculer de quelques pas, pour se diriger vers l'armoire et en explorer le contenu. En silence, voilà qu'il se déleste de sa veste brodée, que ses doigts se saisissent un à un des petits boutons de sa chemise pour la défaire. Lorsqu'il s'en débarrasse, Althea lui jette un coup d'œil de coutume – puis fronce les sourcils quand il se tourne pour se pencher vers le lit.

— Qu’est-ce que c’est que ça ? Interroge t-elle

Il n'a pas saisi tout de suite la nature de sa question, jusqu'à ce qu'elle ne s'approche de son dos, frôlant du bout des doigts l'arrière de son épaule. Une légère douleur lui a rappelé l'existence d'une large ecchymose – laquelle avait dû passer du bleu à la violine, depuis le jour où elle lui avait été infligée. Ses lèvres frémissent pour retenir une grimace, et il secoue la tête en attrapant le tissu d'une chemise plus sobre, étendue sur les draps.

— Rien. Un cognard, lors du dernier match, Qu'il réplique sur le ton du bavardage.

— Ça te fait mal ? L'entend-il demander, alors que ses doigts dégringolent le long de son bras en une légère caresse concernée. 

— Moins qu’une main amputée.

Peut-être est-ce le sourire à ses lèvres à lui, qui l'a encouragée à l'imiter – à saisir la pointe d'humour cynique dans le creux de sa voix et s'en faire réceptacle, public mimétique.

— Ça ne peut pas devenir ton point de comparaison, tu le sais ? Qu'elle fait mine de le réprimander en déposant un baiser sur son omoplate. 
— Mon ange, je tâche juste de relativiser.

Alors qu'il déboutonnait le tissu du vêtement, il a senti les doigts de la vélane frôler tendrement chacun de ses muscles pour rejoindre le flanc opposé de son dos – s'arrêter à une marque légère sur son autre épaule.


— Et ça ? 

— Juste ma dernière amante en date. » Prétend-il d'un ton léger, juste avant d'enfiler la chemise en se retournant vers elle. Il a alors vu son visage défait – mi-figue mi-raisin, ne sachant trop comment réagir face à l'apparent affront du poursuiveur. « Je parle de toi, idiote, Ajoute t-il avec un mince sourire. Tu as oublié ? 

— Oh, Qu'elle souffle alors, comme partagée entre l'embarras d'avoir cru à sa petite provocation, et celui d'avoir effectivement occulté les marques de sa propre passion.

Ça a semblé amuser l'héritier, qui a déposé un léger baiser sur son front, les doigts occupés par les petits boutons de sa fripe.

— Mon amour, je sais que tu adores m'observer pendant que je suis en train de m'habiller, mais si tu le souhaites, tu auras toute une vie pour le faire : tu veux bien te presser ?
— Une vie entière ? Relève t-elle cependant en se dirigeant vers l'armoire pour en tirer quelques habits choisis au hasard.
— Quoi, tu trouves ça insuffisant ?
— Au contraire, l'idée m'épuise d'avance, Qu'elle prétend alors, défaisant les boutons discrets sur le flanc de sa robe, masqués par quelques pétales éparses.

La mousseline glisse au sol, suivie des yeux par le regard un brin déçu d'un Guilhem occupé à rouler les manches de sa chemise.

— C'est dommage. J’aimais bien cette robe, Fait-il remarquer.
— Moi aussi, je l’aime beaucoup, Réplique la vélane en enfilant le tissu vert sombre d'une jupe, dont elle ferme l'attache à sa taille. « D’ailleurs, je te suis reconnaissante d’avoir pris soin de ne pas l’abîmer tout à l’heure. 
— Pourquoi déchirer une si belle soie, lorsqu’il suffit de la relever ?

L'adage a semblé la faire sourire, alors qu'elle enfilait un chemisier clair, qu'elle a coincé dans les plis de sa jupe.

— Comme quoi, le pragmatisme peut-être séduisant, Qu'elle énonce d'un ton léger, en réordonnant légèrement ses cheveux défaits.
— Je ne jure pas que j’en ferais autant avec une étoffe bon marché.
— C’est un peu méprisant. 

— Mon ange, tu sais que j’aime être créatif au moment de te déshabiller, Conclut-il alors avec un mince sourire espiègle.

Elle a accueilli la remarque de bon cœur, et a semblé se diriger vers la porte de la chambre ; sauf que c'est à son niveau qu'elle s'arrête au passage, se hissant sur la pointe de ses souliers pour venir murmurer quelques mots à son oreille.

— Je préfère quand tu l'es une fois que je suis déshabillée, Qu'elle suggère du bout de la voix, avant de le contourner et de quitter la pièce comme si de rien n'était, pour rejoindre la salle de bain de l'autre côté du pallier. « Laisse-moi cinq minutes pour ressembler de nouveau à quelque chose, d'accord ? Lance t-elle alors en se plaçant face au miroir pour arranger ses cheveux.

Les lèvres se plissent d'une malice douce, sorte de baume apposé sur la tension des dernières heures ; tendre manière de retrouver leurs taquineries coutumières, pour en oublier les émotions rancunières. D'étreindre la familiarité de leurs échanges, afin de combler le fossé qu'ils n'avaient pas pu s'empêcher de créer entre eux. Le poursuiveur a opiné de la tête, descendant les marches des escaliers en bois afin de rejoindre le rez-de-chaussée. Le séjour avait été déserté par leur hôte, et il ne restait plus que Hafsa, laquelle lambinait sur le sofa d'un air las ; elle a à peine daigné lui jeter un coup d'œil lorsqu'il l'a rejointe dans la pièce – avec le même intérêt que s'il avait été une mouche voletant au plafond.

— Où est James ? Fait-il alors à son attention.
— Il parle avec Susan depuis un quart d’heure, Réplique t-elle platement en lissant les plis du tissu sobre de sa nouvelle robe. « Visiblement, lui aussi a commencé à croire que le moment était propice à régler ses vieilles histoires de cœur.

Le ton est vaguement mordant – sorte de claquement ennuyé dont elle avait fait sa spécialité au fil du temps. Il n'en a pas pris ombrage : ça faisait longtemps qu'il avait accepté les piques de Hafsa à son égard.

— Comme s’il existait vraiment des moments propices, Qu'il remarque en appuyant négligemment son bassin sur l'accoudoir du canapé.
— En tout cas, il y en a qui ne le sont pas du tout.
— Est-ce que je dois deviner un reproche sous-jacent ?

Le regard pivote sur le visage de la marocaine, qui finit par tourner le menton pour croiser le sien. Elle l'a observé une seconde sans répondre ; mais l'expression de son visage, si placide soit-elle, jurait à l'affirmative.
Il aurait pu se contenter d'accepter la rancœur de Hafsa sans s'en préoccuper – jusqu'à présent, c'était plus ou moins ce qu'il avait toujours fait. Mais si Althea ne cessait de lui répéter que le dédain de la sorcière était constitutif de sa personnalité, il sentait cependant que les choses étaient cette fois différentes : ce n'était pas une façon de le bousculer légèrement, ni d'affirmer son caractère au sein d'une dynamique dont ni l'un ni l'autre ne savait que faire. Amir était agacée, et il pressentait que s'il ne crevait pas l'abcès maintenant, leurs rapports seraient incapables d'évoluer.

— Tu ne m’aimes pas beaucoup, pas vrai ? Finit-il par énoncer simplement.

Elle a semblé vaguement surprise de la question, partagée entre le mépris de sa simplicité et la complexité paradoxale de la réponse attendue. Ses yeux bruns ont détaillé les traits de son visage, perçants comme ceux d'un oiseau de proie ; une analyse face à laquelle il s'est laissé faire sans broncher, bon joueur.

— J’ai peur de ce que tu lui fais, de ce que vous vous faites, Déclare t-elle finalement.
— Et qu’est-ce qu’on se fait ? 
— Vous êtes incontrôlables, Reprend-elle sans le lâcher des yeux. « Dès que vous vous retrouvez quelque part ensemble, vous vous débrouillez toujours pour frôler la catastrophe, la mort, et le pire… C’est que vous n’avez jamais l’air de prendre la mesure du problème. Parce qu’il y aura toujours quelque chose entre vous pour prendre plus d’importance à vos yeux, pour minimiser le danger dans lequel vous vous fourrez. Le monde pourrait bien exploser, que ça relèverait toujours du détail, à côté de n’importe quel petit mot de travers que vous pouvez trouver à vous adresser. C’est ça, qui me fait peur.

Il a pris un moment pour considérer ses paroles. En réalité, Guilhem n'était pas surpris par la teneur de celles-ci, ni par la clairvoyance de la jeune femme. Il se doutait qu'elle avait dû se faire réceptacle des confessions d'Althea plus d'une fois – d'autant plus à son sujet ; et il savait que nier celles-ci aurait été d'une mauvaise foi terrible et inutile. Sans doute était-il d'accord avec chacun des mots prononcés par Hafsa : Althea et lui étaient dangereux, c'était un fait. Tendres aveugles aux yeux crevés par leur propre passion, laquelle troublait chacun de leurs sens pour faire d'eux des êtres diminués, infirmes, incapables d'appréhender et de ressentir le monde autrement que par le prisme de l'autre. Il en était conscient, et il en avait eu peur plus d'une fois ; il avait même essayé de fuir cette condition-là, en s'éloignant d'elle. Un échec cuisant face auquel il avait préféré l'acceptation, et l'adaptation. Ils étaient dangereux ensemble, c'était un fait : mais pas à chaque instant, pas lorsqu'il parvenaient à maitriser l'immensité catastrophique de leurs sentiments pour n'en garder que ce qui les rendait plus grands. Et si cette vision avait quelque chose d'utopiste, il ne pouvait s'empêcher d'y adhérer – par un optimisme étrange qu'il ne se connaissait que très peu. Car celle-ci n'était rien d'autre qu'un petit miracle, face à son cynisme coutumier ; le dernier lieu dans lequel il parvenait à croire encore à l'espoir en lui-même, et à s'y agripper.
Alors, Guilhem a opiné légèrement, pour montrer qu'il ne contredisait aucune des paroles énoncées par la marocaine ; il a pris quelques secondes afin de modeler les mots dans son esprit, d'y trouver une réponse correcte – et sincère.


— Quand j’ai revu Althea, en juin dernier, j’étais en colère contre le monde entier, Finit-il par énoncer. « Contre le batteur qui m’avait envoyé ce cognard, l’équipe qui m’avait si vite remplacé, contre mes parents qui avaient été trop occupés pour venir me voir à l’hôpital, contre ceux qui me regardaient avec pitié, ceux qui faisaient au contraire comme si de rien n’était, ceux qui agissaient normalement, comme si mon monde à moi ne venait pas de s’écrouler. Et puis surtout, j’étais en colère contre moi-même : d’être devenu cette version fade et taciturne de ce que j’étais, de n’avoir pas résisté à la tentation de plonger dans le cynisme. » Il a marqué un temps de pause, et machinalement, son regard a plongé vers le métal de la main qui reposait plus bas, sur l'os de son genou. Les doigts de celle-ci ont effectué un mouvement infime et machinal, sorte de mimique pensive et relative à ses propos. « J’ai toujours été égocentrique. Mais je crois que je ne l’ai jamais autant été qu’à cette période-là, Reprend-il simplement. Et je ne sais pas comment elle a fait, mais elle m’a forcée à voir ce que j’étais, ce que j’étais en train de devenir. Elle a réussi, pas seulement à me faire redevenir celui que j’étais avant, mais quelqu’un que je n’aurais jamais espéré être, que je ne savais même pas vouloir être.

La bonhommie inhabituelle de ses propos lui a arraché une once de sourire railleur, comme s'il lui avait fallu à tout prix s'en moquer en les entendant sortir de sa propre bouche. L'œil se tourne alors vers le visage de la sorcière, dont l'expression reste insondable, attentive.

— Je sais ce que tu penses : qu’on est un couple d’égoïstes, et tu as très certainement raison. Que tout ce qui nous concerne prend une valeur absurde, dangereuse… Parce que c’est le cas. » Un léger silence ponctue alors le terme de sa phrase pour la suspendre : sans doute hésite t-il un peu à poursuivre, qu'il craint d'en faire trop et de passer pour beau-parleur. Puis, il décide qu'il s'en fiche complètement. « Parce qu’elle me sauve et me fait grandir tous les jours un peu plus, et que pour cette raison-là, elle sera toujours infiniment plus précieuse à mes yeux qu’un avis de recherche, ou qu’un stupide gala, Achève t-il alors, fronçant finalement les sourcils face au sourire étrange qui se dessine sur les lèvres de Hafsa – une mimique discrète et fugace, qui s'évanouit dès qu'il semble la remarquer. « Quoi ? 

— Rien. Tu me fais penser à quelqu’un, Avoue t-elle avec un soupir, en laissant son regard s'appuyer sur l'une des fenêtres assombries de la pièce. 

— Dans la liste des personnes que tu souhaiterais voir disparaître ? J’espère qu’il est moins bien classé, Ironise t-il légèrement, comme pour contrer le sérieux de ses précédentes paroles.

Elle a pivoté le menton vers lui pour le dévisager, visiblement songeuse vis-à-vis de la question posée.


— Je ne souhaite pas te voir disparaitre, Déclare t-elle alors. « Je ne te déteste pas, Verrier ; pas tous les jours, en tout cas.
— Je suis presque déçu de t’inspirer des sentiments aussi peu tranchés.
— Et je ne pense pas que tu sois mauvais pour elle non plus, Qu'elle reprend, ignorant la raillerie légère du poursuiveur. « Seulement que ce que vous êtes, c’est aussi dangereux qu’une flaque d’essence à côté d’une allumette. » Elle a plissé les yeux. « J’aimerais juste que vous compreniez qu’on ne peut pas toujours être là pour éteindre le brasier, pour subir et rattraper les dégâts que vous causez en étant…

Nous, Achève t-il à sa place.
— Quand vous êtes vous, sans vous soucier de nous.

Il a hoché la tête légèrement, sorte de capitulation silencieuse face à la sincérité dont elle faisait preuve. En réalité, il comprenait la position de Hafsa, surtout ce soir : et si dans ce cas précis, il n'était pas vraiment le plus coupable quant aux ennuis qui les poursuivaient, il comprenait ce qu'elle voulait dire.


— Merci, Fait-il alors. D’avoir été honnête. 


Elle a répondu d'un simple geste de main, avant de se saisir d'un journal qui trainait sur la table basse face à elle pour le déplier. Pourtant, il semblait remarquer que son expression était légèrement moins contrariée qu'avant leur conversation. À ce moment, la porte de la cuisine s'est alors ouverte pour faire apparaitre Susan, suivie de la silhouette de James ; curieux, le poursuiveur a alors cherché à croiser le regard de son ami pour l'interroger, mais celui-ci ne lui a adressé qu'un haussement d'épaules vague – certainement une manière de signifier qu'il n'y avait pas grand chose à exprimer. Quant à la jeune Auror, elle semblait légèrement soucieuse, à en juger par sa manière se triturer d'une des mèches brunes qui s'échappait de son chignon lâche.

— Je ne peux pas vous garantir que vous trouverez Bonnie avant que les Aurors ne mettent la main sur vous, Confesse t-elle en posant les yeux sur Hafsa. « Pour ce que ça vaut, je ne savais pas ce qu'elle comptait faire ce soir, elle ne nous en avait pas parlé. Je n'aime pas l'idée de mentir à mes collègues, mais je n'aime pas non plus celle que des innocents puissent payer pour nos actions et nos revendications. Surtout lorsqu'elles sont partagées.

À ses propos, Guilhem a sommairement opiné de la tête, et levé le menton vers la silhouette blonde d'Althea, qui descendant les escaliers vers le salon avec le regard de celle qui se demande ce qu'elle a manqué.

— Une chose encore : comment êtes-vous venus jusqu'ici ?
— En taxi, Répond simplement Hafsa en haussant les épaules. « Hors de question que je mette les pieds dans le métro.

Susan a haussé un sourcil, sans s'autoriser le moindre commentaire – puis, elle a pivoté le menton vers James.

— Faites attention, de nombreux chauffeurs rancardent les Aurors, Fait-elle à son attention. Vous n'avez pas idée du nombre de choses qu'on apprend dans un taxi.
— Peut-être qu'on devrait marcher, Suggère l'irlandais d'un ton hésitant.
— Hors de question, Soupire Hafsa en se redressant du sofa. « Et puis ce n'est pas exactement comme si on serait discrets, en groupe et à visage découverts dans la rue. Quelqu'un est déjà allé là-bas ? On pourrait transplaner.

Chacun des représentants du petit groupe a secoué la tête, et la marocaine a fait claquer sa langue sur son palais en croisant les bras, un brin agacé.

— Je vois. Dans ce cas, ce sera un taxi, Tranche t-elle.
— Susan ? Intervient alors Althea d'une voix mesurée en se tournant vers l'intéressée. « Je sais que j'en demande beaucoup, mais... Par hasard, est-ce que tu aurais une baguette de rechange ? Je n'avais pas exactement prévu de devoir utiliser la mienne au gala, et...

L'Auror n'a pas répondu tout de suite, se dirigeant pour toute réponse dans le petit sas d'entrée pour fouiller dans un large trench aux tons bruns. Elle en extirpe alors un long morceau de bois effilé, qu'elle tend à la vélane avec un léger hochement de tête.

— Pense à me la rendre, si tu veux bien.
— C'est promis. Merci, Fait-elle en se saisissant de l'outil pour le ranger dans les plis de sa jupe.

Les quatre européens ont échangé un regard de connivence, et se sont dirigés dans la direction de l'entrée, dont Althea a ouvert la porte pour sortir de la bâtisse. Sur le pas de celle-ci, ils se sont alors  retournés, pour faire face à la jeune femme qui se tenait encore dans l'encadrement. C'est alors James qui prend la parole, après un léger raclement de gorge.

— Merci, Susan. Pour l'aide, les vêtements, et... Le reste. Je sais que tu n'étais pas obligée.

Le regard perçant de la sorcière s'est alors appuyé sur le visage de l'irlandais pendant une seconde, fragmentant la neutralité de son expression pour une seconde ; celle-ci s'est légèrement adoucie, et elle s'est même autorisé un mince sourire.

— Je suis devenue Auror pour me sentir utile, Fait-elle alors simplement. « Bonne chance à vous.

Ils ont alors hoché la tête de concert, tandis que la sorcière refermait la porte devant elle, les laissant à la merci de la rue déserte. Tandis que les deux jeunes femmes descendaient les marches du perron, Guilhem a alors glissé un regard discret à son ami, qui a enfoncé les mains dans les poches de sa veste en daim.

— Est-ce que ça va ? Tente t-il à mi-voix.
— Ça va, Réplique James en opinant légèrement du chef, la voix un peu hésitante cependant. « C'est juste... Je n'avais pas spécialement prévu de la revoir. Tu sais ce que c'est, les premières histoires : ça reste toujours dans un coin, et...

Il a esquissé un geste vague pour toute fin de réponse, alors que le poursuiveur levait une main pour la presser contre son épaule. L'irlandais a alors sorti une paquet de cigarettes de sa poche, et en a tendu une au passage à son ami ; plus loin, sur le bord de la route, Hafsa levait déjà sa baguette pour appeler un taxi.

— Ça a duré longtemps, vous deux ?
— Même pas. Quelques mois, Réplique t-il en allumant la cibiche d'un mouvement de briquet.
— Parfois, c'est suffisant.

James n'a rien répondu, se contentant d'exhaler légèrement la fumée vers le ciel opaque. Finalement, il a jeté un coup d'œil à son comparse, pour détailler son visage.

— Et toi et Jeremiah ?

Le poursuiveur n'a pas semblé réagir plus que ça à l'entente du prénom en question, ni même s'étonner que James ait pu comprendre la nature de leur relation. Car s'il n'avait jamais évoqué avec lui être également attiré par les hommes – sans doute par habitude, ou par pudeur – il était évident que l'irlandais était trop attentif pour ne pas le saisir.
Alors, il s'est contenté de pincer légèrement les lèvres, inhalant longuement la fumée âcre de sa cigarette.

— Quelques mois aussi. Il y a longtemps.
— Comment a réagi Althea ? Demande t-il à mi-voix, pour ne pas attirer l'oreille des deux sorcières plus loin.
— Je ne sais pas, elle... Hésite le français en posant les yeux sur la silhouette de son amante, aux côtés de Hafsa. « Elle était persuadée que j'allais la quitter. J'ai essayé de la rassurer, mais je ne suis pas sûr de l'avoir totalement convaincue.
— Tu aurais dû voir la façon dont tu le regardais, Guilhem, Souligne James d'une voix sans reproches. « Je sais que c'est simplement ta façon d'être, mais... N'importe qui se serait inquiété. Laisse lui le temps.

Il a opiné du chef en exhalant la fumée une nouvelle fois, sans rien trouver à rétorquer aux paroles du mécanicien. Plus loin, ils ont alors vu un taxi débouler dans la rue à toute vitesse, pour piler devant eux. Rejoignant alors les deux autres sorcières, tous ont grimpé dans le véhicule l'un après l'autre, sous le regard vague du chauffeur dans le petit rétroviseur.

— J'vous emmène où ?
— Au Martin Beck Theatre, Enonce Althea en s'installant aux côtés de Guilhem.
— Ok ma p'tite dame, c'est parti, Fait l'employé en tirant d'un coup sec sur le frein à main.

Après une secousse, et un bruit de toussotement, la voiture a démarré en trombe pour longer la rue à contre-sens. À sa droite, il a senti la silhouette de la vélane s'appuyer contre la sienne, poser son menton contre son épaule et glisser sa main contre sa cuisse. Ses doigts viennent alors machinalement s'emmêler aux siens, alors qu'il pivote le nez vers son visage.

— Quoi ? Qu'il souffle en observant l'expression de celui-ci – un peu réflexive.
— Quand tout ça sera fini, on ira visiter New-York, juste tous les deux ? Demande t-elle alors du bout des lèvres.

Vélane câline qui caresse son genou du bout des doigts, et avachit sa tête sur son bras ; ça l'a fait sourire.

— Tu sais qu'on serait encore capables de se perdre, et de s'attirer des ennuis ? Qu'il taquine à mi-voix.
— C'est ce que j'appelle faire du tourisme, avec toi.
— Alors d'accord.

Et peut-être que sa réponse lui rappelait la conversation avec Hafsa un peu plus tôt ; mais la vérité, c'était que lorsqu'elle lui demandait de cette manière-là, il aurait été absolument incapable de lui refuser quoi que ce soit. Ce qui, évidemment, était également un problème en soi.
La voiture a continué à rouler pendant quelques minutes encore, sans se préoccuper d'un quelconque code de la route – seulement utile aux moldus qui ne semblaient pas remarquer le véhicule casse-cou qui zigzagait entre leurs propres carlingues. Puis finalement, elle a fini par piler sec devant les arches en brique brune du Martin Beck Theatre – éteint à cette heure-ci. À en juger par l'aspect de ce dernier, aucune représentation ne semblait avoir eu lieu ce soir, ce qui était plutôt de bonne augure selon les dires de Susan. Après avoir réglé le chauffeur, le groupe est alors descendu du véhicule, s'approchant du bâtiment – et de sa porte close. D'un geste agacé, Althea a testé la rigidité de la chaine de métal épais qui entourait les poignées du battant, en tirant sur celle-ci à l'aide de plusieurs petits coups secs ; et lorsqu'elle a tapoté celle-ci du bout de sa baguette, elle s'est secouée comme un serpent mécontent, avant de redevenir inerte.

— La chaine a été enchantée pour résister aux sorts, Exprime la vélane avec humeur.
— Il doit forcément y avoir une entrée de service, pour les techniciens, les artistes... Remarque James en balayant le bâtiment d'un rapide coup d'œil.
— Bien vu, Kergoat.

À pas de loups, les voilà alors qui contournent la façade, pour longer la perpendiculaire ; dans la ruelle adjacente, ils trouvent sans mal la porte métallique évoquée par James, que Hafsa déverrouille d'un mouvement de main agile. Elle est alors la première à entrer, illuminant les environs assombris d'une lueur apparaissant au bout de ses doigts : le petit groupe passe alors entre différents chariots et machineries, matériel de régie encombrant entre lequel ils se faufilent à l'aveuglette. Les baguettes se tendent, à l'image de ces corps sur le qui-vive qui guettent le moindre mouvement, le moindre geste ; mais le théâtre est pleinement silencieux lorsqu'ils y progressent, et les décors peints qui trainent dans les couloirs ont des airs presqu'effrayants, ainsi endormis. C'est alors la salle des costumes, qu'ils traversent – vaste pièce emplie d'accoutrements rocambolesques, et de masques difformes devant lesquels il manque d'ailleurs de sursauter.
Puis finalement, l'un des couloirs les mène jusqu'à la salle de spectacle en elle même, dans laquelle ils entrent sans hésitation. Elle aussi est déserte, à peine illuminée par les quelques loupiotes automatiques qui se déclenchent à leur arrivée. Guilhem lève le nez vers le plafond, observateur : ce n'est peut-être pas l'Opéra Garnier, mais la décoration est soignée – même ainsi lorsque l'éclairage lui fait défaut. Mais ce qui est surtout certain, c'est que ni Bonnie, ni aucune autre des femmes de son groupe ne sont présentes. Le constat est lourd entre eux, même si personne ne semble prêt à l'énoncer ; il se tourne alors vers Althea, laquelle a entamé une descente morose vers le bas de la salle, la main trainant sur le velours des sièges successifs. Lorsqu'il la rejoint près de la scène, ses doigts cherchent les siens, s'y emmêlent pour l'interpeller.

— On finira par la trouver, Althea, Glisse t-il d'un ton qui se veut rassurant. « Susan parlait du Quai, on va aller là-bas, et...
— Et si elle a raison ? L'interrompt la vélane en se tournant vers lui pour lui faire face. « Et si Bonnie s'était débrouillée pour disparaitre, si elle avait l'intention de me faire porter le chapeau et qu'elle refuse de nous aider, si...
— Arrête.

Le souffle est autoritaire, un brin inquiet. Elle a levé les yeux vers lui, taciturne et incertaine ; Althea soupire, se mord la lèvre.

— Je n'aurais jamais dû accepter de l'aider.
— Tu as fait ce qui te semblait juste, c'est tout, Fait-il, seulement à demi convaincu de ce qu'il avance. Ça ne sert à rien d'y penser maintenant, et...
— Guilhem, baisse-toi ! S'époumone soudainement la voix de James, au dessus d'eux.

Par réflexe, il s'abaisse alors, entrainant Althea dans sa descente. Un sort les frôle d'un cheveu à peine, s'écrase contre la scène pour faire voler des débris de bois tout autour d'eux. Une grimace déforme son visage, alors que son regard passe succinctement de la silhouette de la vélane à celles qui s'agitaient en haut du théâtre. Deux ou trois sorciers étaient apparus de part et d'autre des entrées, échangeant désormais des sorts avec James et Hafsa, qui contraient tant bien que mal les jets de lumière vive. Des Aurors, à n'en point douter ; la question était de savoir comment ils les avaient trouvés ici. Susan s'était-elle empressée de les vendre à ses collègues, prise de remords ou en proie à sa propre ambition ? Non. Ou alors...

— Viens ! Chuchote alors Althea en attrapant sa main pour le tirer à sa suite.

Les deux amants décampent alors comme des lapins en fuite, alors qu'une nouvelle silhouette apparaissait derrière eux, sur l'autre flanc de la scène. D'un geste vif, voilà que la vélane balance un maléfice vers l'arrière, qui manque de frôler l'épaule de la femme qui l'évite d'un mouvement agile. Ils se précipitent alors vers l'issue latérale, plongeant dans les tréfonds des loges pour rejoindre les coulisses plongés dans la pénombre. Le souffle court, les mains ne se délient pas une seconde, rendues moites par l'effort de leur course ; autour d'eux, des éléments de décors s'animent pour leur bloquer le passage, qu'il fait valser à la va-vite de mouvements de baguette successifs. Ils ne savent pas où ils vont, s'ils ont même un espoir de trouver une issue : seule l'adrénaline de la fuite les anime, les électrise.

— Par là ! Lance alors la vélane en un halètement, en le trainant vers un petit escalier étroit, qui semble grimper sur les hauteurs au dessus de la scène.

Il l'a suivie sans réfléchir. Lorsqu'elle file sur les rambardes métalliques réservées aux techniciens, étouffées par les câbles et les lourds rideaux de velours carmin. Sauf qu'au milieu de la plateforme principale, Althea pile net : une nouvelle silhouette est apparue – celle d'un homme jeune, d'une trentaine d'années bien tassées. Alertes, les voilà qui se retournent, baguettes levées, pour se rendre compte qu'ils sont pris au piège, acculés de toutes parts par les deux Aurors qui les encerclent désormais. Le cœur en cavale, Guilhem a senti une panique sourde l'envahir, alors que les sorciers s'approchaient d'eux, les menaçant de leur baguette.

— Althea Lovegood ? Claironne la femme d'une voix autoritaire. « Vous êtes en état d'arrestation pour le meurtre de Thomas Bri...
— C'était moi, Coupe alors Guilhem sans réfléchir, de son anglais le plus assuré.

Etonnée, la femme s'est alors tue, détaillant le visage fermé du français qui venait de s'exprimer. Il sent également le regard de son amante se braquer sur lui, prise au dépourvu par sa dernière parole, et prête à répliquer.

— Non, il...
— C'était moi, Répète t-il plus distinctement. « Je l'ai manipulée pour qu'elle me donne l'occasion d'être seul avec lui, et puis je l'ai abattu.

Furieuse, voilà que la vélane fait volte face pour confronter l'Auror, dont la baguette a légèrement dévié pour pointer le corps de Guilhem. À ce moment, il a alors lâché sa main pour la lever en même temps que l'autre, présentant celles-ci de part et d'autre de sa tête.

— Il ment, Contredit-elle à toute vitesse, Il n'a rien à voir avec ça, c'était moi qui...
— Regardez-la, L'interrompt-il avec une condescendance feinte, vous pensez réellement qu'elle serait capable de tuer un homme ?

Il est convaincant, Guilhem. Il a cette verve et ce regard, ces mots qui charment et jurent, promettent à une vérité qu'il est doué pour prostituer. On rêverait de le croire, de se dire que ce truc au fond de ses yeux est vrai ; Althea le sait. Elle sait qu'il va réussir à les convaincre de son méfait alors elle devient furie, harpie, elle se tourne vers lui pour attraper son bras, le forcer à la regarder. Mais il ne veut pas, il refuse.

— Guilhem, regarde-moi ! Gronde t-elle.
— Guilhem Verrier, Reprend alors l'Auror avec lenteur en s'approchant de lui. « Je vous arrête pour l'homicide de Thomas Bridgerton.
— Verrier, je te jure que... Continue Althea en le fusillant du regard. « Lâchez-le, il n'y est pour rien, ce n'est pas lui, c'est...
— Lâchez-le, mademoiselle.
— Non, il...

Alors c'est Guilhem qui se saisit de son poignet, celui qu'elle avait agrippé à sa manche. Et cette fois, il la regarde ; elle le déteste, pour ce qu'il est en train de faire, et il le sait parfaitement. Althea n'avait jamais aimé qu'on décide pour elle, qu'on décide de ce qu'elle devait faire, de ce à quoi elle devait ressembler, d'où elle devait vivre, de qui elle devait aimer. Elle aurait pu mourir, simplement pour conquérir la liberté de crever au moment où elle le souhaitait. Et sans doute détestait-il plus que tout l'idée de la priver de ce libre-arbitre là ; mais il savait aussi qu'il se serait haï, s'il les avait laissés l'emmener. Mieux valait lui que elle, pas par romantisme, pas par sacrifice : mais parce que la société avait un mal fou à condamner les hommes bien. Lui, il pourrait invoquer la rivalité, la toxicité de rapports compliqués – juste le temps de s'innocenter. Althea serait clouée au pilori, immédiatement : parce qu'une femme qui tue, ce n'est plus une femme. C'est une erreur, c'est une terreur. Une femme qui tue, ça ne peut pas exister – là où les hommes seraient toujours pardonnés.
Du moins, c'était le pari qu'il faisait.

Doucement, il a détaché ses doigts de sa manche, et ceux-ci sont retombés. Et Althea, elle le regardait avec un tel mélange de rancœur et de terreur, que ça l'a retourné ; qu'il a dû s'arracher à son regard pour continuer à tenir debout. Alors, c'est l'Auror qui attrape finalement son bras d'une poigne ferme afin qu'il lui présente ses poignets ; un fil lumineux se dessine autour de ceux-ci, enserrant la peau et le métal joints. Et puis en un mouvement, sans un regard, ils ont transplané.

Congrès magique des États-Unis d'Amérique, Woolworth Building, 00:32

Les couloirs sont sombres, marbre sombre et lisse qu'ils foulent avec rapidité. Lorsqu'ils descendent au sous-sol de l'immense gratte-ciel, les lumières se font plus rares ; son bras lui fait mal, à force d'être serré par la poigne de l'Auror avec laquelle il a transplané. Elle a les cheveux bruns coupés courts, et un air inflexible, déterminé. L'un des gardiens de l'aile pénitentiaire l'a appelé Maddy ; il se dit qu'elle doit s'appeler Madeleine, ou quelque chose comme ça – le genre de réflexion idiote à laquelle il se force à penser pour ne pas songer à tout le reste, au fait qu'il est désormais un coupable, un prisonnier.
Petit à petit, la terreur grandit dans son ventre. Il sait qu'il a toujours été impulsif, mais il ne l'a jamais été à ce point – celui de se faire accuser pour un meurtre qu'il n'a pas commis, juste par peur de voir condamnée sa petite-amie. Ironiquement, les propos de Hafsa résonnent alors au creux de son esprit ; il y aura toujours quelque chose entre vous pour prendre plus d’importance à vos yeux, pour minimiser le danger dans lequel vous vous fourrez.
Si seulement Amir avait su à quel point elle avait été prophétique, sans doute aurait-elle songé à s'orienter vers une carrière dans la divination.

Nerveusement, voilà que le brun de ses yeux se balade autour de lui, captant chacun des détails des corridors interminables dans lesquels on le traine. Ils croisent quelques sorciers habillés de cuir et de noir, au visage plus fermé les uns que les autres ; puis, après une éternité ou deux, c'est dans une petite pièce close que l'Auror l'entraine. Là, il n'y a qu'une table sommaire, encerclée de deux chaises métalliques. Son visage est fermé, et il se demande ce qu'elle va lui dire. Non, pire ; il se demande ce qu'il va lui dire : car à l'instant, il ne sait plus bien s'il doit tout mettre en œuvre pour faire croire à son mensonge, ou bien l'invalider. Car l'invalider, ce serait remettre tous les Aurors de la ville sur les traces d'Althea, de James et de Hafsa – et ce n'est pas quelque chose auquel il est prêt à se risquer. Non, mentir est préférable. Ça tombe bien, il a toujours été doué à ce jeu ; inventer des histoires sur son compte, juste pour remuer la société. Sauf que jusqu'à présent, Guilhem ne risquait rien, ou pas grand chose – rien qu'un peu de mépris, ou de dédain gentiment dosé. Au pire, quelques insultes fleuries qu'il se faisait un plaisir à collectionner.
Cette fois, le jeu est sensiblement différent.

Lentement, la femme s'est alors assise à la table, lui indiquant de se placer face à elle. Il s'est exécuter en silence et sans broncher, pas mécontent qu'elle ait enfin lâché prise sur son bras endolori. La mine fermée, taciturne, voilà alors qu'il se laisse tomber sur la chaise inconfortable – le cœur battant à l'avance. L'Auror s'est alors saisi d'un fin dossier gris, déjà disposé sur la table, et l'a ouvert devant elle pour le parcourir des yeux.

— Vous êtes Guilhem Jules Verrier, né à Paris le 1er janvier 1923, Récite t-elle platement, c'est correct ?
— Correct.
— Et que faisiez-vous à New-York ce soir ?
— J'ai été invité à la réception du Mus Gala, Fait-il sommairement, d'une voix monocorde.
— Où vous avez retrouvé Thomas Bridgerton.
— Oui.

Le regard de la femme s'appuie sur son visage avec application, la mine inexpressive. D'un claquement de doigts, voilà alors qu'une plume verte se redresse, s'ébouriffe pour venir gratter les précédentes paroles sur un petit calepin à l'en-tête marquée du sigle du MACUSA.

— Racontez-moi les faits.

D'abord, il n'a pas relevé les yeux. Sans doute avait-il peur qu'elle ne saisisse la peur qui le tenaillait, cette lueur d'incertitude avec laquelle il se sentait lutter à chaque seconde – autant d'expressions problématiques, chez un bon coupable. Mais il s'est forcé à le faire, redressant le regard pour l'appuyer contre le sien.

— Thomas Bridgerton est venu accompagné de la sœur de ma petite-amie, Althea Lovegood, Lâche t-il alors d'une voix atone. « Dès le début de la soirée, j'ai pu remarquer les propos inappropriés qu'il pouvait avoir à son égard. Mais plus tard, Althea m'a raconté qu'il avait essayé de la forcer à avoir des relations avec elle. Je lui ai demandé de faire en sorte que je me retrouve seul avec lui, pour pouvoir... » Il a pincé les lèvres. « Je ne sais pas, lui faire passer l'envie de recommencer. Sauf que lorsqu'on s'est retrouvés tous les deux, il m'a provoqué en me disant qu'Althea ne méritait que ça, il m'a menacé physiquement et... On a commencé à se battre. Le maléfice est parti seul, et il est mort.

Sans doute le mensonge n'était-il pas le plus convaincant qu'il ait pu imaginer jusqu'à présent. Mais que répliquer face à l'histoire classique d'une bête rivalité amoureuse, face au masque classique de l'amant jaloux ? Plaider la légitime défense était sans doute un peu faible dans ce cas-là ; mais en toute honnêteté, c'était tout ce qu'il avait trouvé pour tenter d'amenuiser les charges auxquelles il s'était lui-même condamné.
Face à lui, la sorcière a gardé un visage atone, et l'a observé pendant de longues secondes ; il n'a pas réussi à savoir si elle le croyait ou non, dans un premier temps. Du moins, jusqu'à ce qu'elle recommence à parler.

— C'était donc de la légitime défense.
— Appelez ça comme vous souhaitez.
— Et crucifier plus tard son corps sur un tableau, c'était aussi de la légitime défense ?

Putain, il avait oublié ce détail, évoqué plus tôt par James au début de leur fuite. Il s'est senti imbécile, menteur mis en face de son leurre imparfait ; mais surtout, il a compris qu'il était foutu. Car s'il ne pouvait plus revenir en arrière sur l'aveu de sa propre culpabilité, il lui était impossible de prêcher s'être défendu lorsque le cadavre de Bridgerton avait été aussi soigneusement exhibé aux yeux de tous. Erreur de débutant, face à laquelle il devait désormais réagir. Et vite.
Y'a alors quelque chose qui s'enclenche dans son esprit : il comprend qu'il est obligé de changer de posture, qu'il ne parviendra pas à se faire victime – même partielle. C'est autre chose, qu'il doit revendiquer, même s'il en est certain, rien ne pourra plus le sauver.
Sa posture corporelle change alors légèrement, et peu à peu, la peur s'efface lentement – remplacée par l'adrénaline du mensonge tissé. Guilhem se redresse, reprend une assurance étrange face à la femme qui l'interroge ; il a même l'audace de la regarder dans les yeux. Parce qu'à ce moment-là, il se sent un peu comme hors de son corps, spectateur d'un vaste spectacle morbide dont il est l'instigateur.

— Ça, c'était pour qu'ils le voient tous, Enonce t-il finalement d'une voix placide. Qu'ils voient ce qui arrive aux éternels impunis, aux criminels de l'ombre, à tous ceux qui commettent le pire sans jamais être inquiétés, mis face à leur lâcheté. Pour que, pour une fois, ils aient peur. Qu'ils cessent de rire en trainant dans des coins d'ombre, les proies qu'ils terroriseront suffisamment pour qu'elles n'aient jamais l'idée de parler.

Et peut-être avait-il rêvé, mais il lui a semblé voir quelque chose s'allumer dans le regard de l'Auror. Un mélange de surprise et de doute – sûrement. Et si lui même ne s'était pas attendu à prononcer ces mots-là – si proches de ceux qu'Althea avait pu avoir un peu plus tôt dans la soirée – il n'a pas flanché une seconde. Jusqu'à ce qu'au terme de longues secondes de silence, la sorcière ne referme sobrement le dossier devant elle, et ne se lève.

— Très bien. Cet entretien est terminé, Fait-elle platement. Je vais vous emmener en détention, où vous resterez jusqu'à ce qu'on décide d'un moment pour prononcer votre jugement. Souhaitez-vous contacter un proche ?
— Non.

Car qui aurait-il appelé ? Althea, pour qu'elle ait l'idée de contredire sa version des faits, ou de s'accuser à sa place ? Adélaïde, peut-être, pour qu'elle ne se désole encore une fois de la dangerosité des situations dans lesquelles ils se fourraient ? C'était exclu. Il préférait encore rester seul, en attendant un miracle. Ou rien du tout.
La femme lui a alors fait signe de se lever, et il s'est exécuté en silence. De nouveau, elle l'entraine dans les couloirs rigides, descendant d'un niveau encore pour en rejoindre d'autres – plus étroits. C'est alors vers un alignement de pièces exiguës qu'elle le mène, dont elle déverrouille une porte d'un mouvement de baguette. Ses poignets sont alors libérés, tandis qu'il entre dans la pièce spartiate – seulement meublée d'une couchette raide, et d'une ampoule vacillante.
Puis, sans un mot, elle a refermé la porte. Elle l'a laissé.

Il ne saurait pas vraiment dire combien de temps il a passé là. Il parait qu'à l'isolement, le temps prenait toujours des allures d'éternité. Mais il ne l'avait jamais appréhendé aussi férocement que dans cette cellule privée de lumière et d'espace, livré à lui même – à l'imbécilité de ses propres actes. Peu à peu, l'adrénaline s'est dissipée pour laisser place à la terreur ; il s'est demandé ce qui lui arriverait désormais, si là-bas, dehors, Althea, James et Hafsa avaient réussi à trouvé Bonnie.
Et puis finalement, il s'est dit qu'il était peut-être stupide de l'espérer.

Au terme d'un temps infini pendant lequel il s'était senti plonger dans un état somnolent, il a entendu la porte de la cellule se déverrouiller ; un gardien au visage inconnu est alors entré, lui jetant un regard dénué de sentiments.

— Vous avez une visite.

Trop vaseux pour être véritablement surpris, Guilhem s'est redressé dans sa couchette, passant une main rapide sur les traits de son visage. Derrière l'employé, une silhouette haute s'est alors découpée, vêtue d'un long manteau noir. Et son cœur s'est figé.

Le visage fermé, la posture raide, Edgar Verrier entre dans la pièce étroite sans adresser un regard à son fils. Il s'assoit sur la seule chaise disponible, ne prend même pas la peine de se débarrasser de son veston : il ne restera pas, après tout. Et seulement à ce moment, il a daigné relever les yeux vers le visage de sa progéniture pour le regarder.
Son père l'avait déjà dévisagé avec mépris plus d'une fois, à tel point que Guilhem était habitué à voir cette expression rigide hanter ses traits, lorsqu'ils se retrouvaient face à face. Il s'était habitué aux sermons, aux remontrances agacées, aux menaces quant à son héritage. Son père ne l'aimait pas, et c'était quelque chose dont il s'était accoutumé très tôt – à l'âge où les enfants cherchent la reconnaissance paternelle plus que toute autre chose.
Mais il était presque certain de n'avoir jamais vu une telle répulsion chez lui, jusqu'à aujourd'hui.

L'expression qu'il lit sur son visage est comme une claque, envoyée en pleine face. Violence silencieuse qui lui serre la gorge – encore maintenant. Il se sent alors petit garçon, placé en victime face aux reproches paternels qu'il ne peut esquiver ; et il existe ce long moment où ni l'un ni l'autre ne s'exprime, pendant lequel Edgar ne fait que l'observer – comme s'il avait cherché quelle était la meilleure manière de s'adresser face au dégénéré qui lui servait de fils. Puis finalement, sa posture longue s'est légèrement déplacée sur sa chaise, pour s'appuyer contre le dossier.

— Je pensais que tu m'avais fait subir toutes les hontes imaginables, Lâche t-il alors d'un ton glacé, sans le lâcher du regard. « En choisissant de vivre comme tu le fais, en embarrassant la famille entière à chacune de tes apparitions, en étant moqué par tous. Je pensais que tu ne pourrais pas aller plus loin.
— Tu nous as toujours appris à nous surpasser.

Le cynisme dont il fait preuve donnerait envie de le gifler. Pourtant, il y a une fissure dans son regard – de celles qui n'existaient que face à ce père autoritaire, dont il avait longtemps quémandé l'amour sans parvenir à l'obtenir. Blessure originelle dont il ne s'était jamais vraiment remis, même s'il ne l'aurait jamais avoué ; pourtant, il contre les reproches énoncés avec cet aplomb qui lui est propre – le même que l'être qui se tenait face à lui. Arrogance Verrier qu'il devait se mordre les doigts de lui avoir transmis, contre son gré.
Un léger tic agacé a secoué le visage de son père, qui n'a cependant pas semblé réagir outre-mesure face à la provocation de son ainé ; Edgar croise les mains sur ses genoux, se penche légèrement – lentement.

— Je vois que même pour une leçon aussi élémentaire, tu n'en as tiré que ce qui t'arrangeait, Constate l'homme avec un dédain marqué. « Est-ce qu'assassiner un homme était l'exploit qui te manquait pour essayer de m'impressionner, Guilhem ? Ou est-ce que tu comptes encore réaliser quelque chose de plus bas, de plus pitoyable ?
— Tu sais bien que je ne suis jamais à court d'idées pour t'éblouir, Papa.

La voix se brise, cette fois. Alors pour garder sa superbe, l'insolent sourit. Il réunit chaque miette de son orgueil pour tenir tête à ce paternel qui le terrifie, dont le seul regard parvient encore à le convaincre qu'il n'est moins que rien. Face à lui, il n'a pas envie de plaider l'innocence, il n'a pas envie de se défendre de ses actes – même lorsque ceux-ci sont fabriqués de toutes pièces. Il préfère encore le voir se tromper sur son compte, et l'affubler des pires péchés.
Après tout, il ne le connaît pas. Il ne l'a jamais connu.

— Tu ne devrais pas te fatiguer à ce point. Tu n'as jamais été autre chose qu'une déception, et tu ne seras jamais rien d'autre. Jusqu'à présent, ta mère trouvait encore à te défendre : ne compte plus là-dessus.

Et si les précédents mots d'Egdar avaient réussi à glisser sur lui sans l'atteindre trop péniblement, ceux-ci l'ont heurté de plein fouet. Il a pensé à sa mère, à la position de neutralité difficile qu'elle s'était toujours efforcée de tenir entre eux, lorsque les choses s'envenimaient ; sans prendre son parti pour autant, elle ne l'avait jamais dénigré non plus. Elle avait été ce soutien discret et empli de discernement – sans doute trop peu présent, mais dont il se contentait. Il avait déjà ressenti l'amour de sa mère, à la différence de celui de son époux ; et l'idée selon laquelle il venait de le perdre était douloureuse, trop complexe à entendre pour qu'il puisse encore totalement prétendre n'en avoir rien à cirer. Quelque chose s'est alors fissuré dans son regard, alors qu'il se perdait dans celui de l'homme face à lui – si semblable au sien.

— Tu es venu pour m'annoncer que je pouvais renoncer à mon héritage ? Enonce t-il alors finalement. « Ce n'était pas la peine de faire le déplacement, je m'en serais douté.
— J'ai contacté un avocat de chez Keller et Fils, pour qu'il puisse au moins limiter les dégâts, et faire en sorte que ta stupidité soit une catastrophe moindre pour la famille, Réplique Edgar d'un ton d'acier.
— Je suis touché de te voir aussi préoccupé par le fait de me voir croupir en prison.

Un drôle de sourire a alors fait frémir les lèvres de son père, pli de mauvaise augure, juste à la commissure. Guilhem a frémi : parce qu'il savait qu'il aurait eu tort, de ne pas craindre celui-ci.

— En ce qui me concerne, Guilhem, tu n'existes plus, Lâche t-il avec tout le naturel du monde. Au moins, tu ne risqueras plus d'être un objet de honte, entre les murs d'une geôle.

Sans doute aurait-il aimé se prétendre tout à fait détaché, face à la violence symbolique des propos énoncés. Ce n'était pas le cas : il savait de longue date, que son paternel aurait préféré qu'il n'existe pas, ou plus. C'était encore autre chose de l'entendre de vive voix.
Un creux s'est formé dans sa poitrine, et il a dû résister de toutes ses forces à l'envie de tourner le regard, de s'arracher à ces prunelles méprisantes qui ne crachaient que leur révulsion à son égard. Sans un mot de plus pour son fils, Edgar s'est alors levé sobrement, toquant à la porte de la cellule pour appeler le gardien.

— Merci d'être venu, Papa. C'est toujours un plaisir, de bavarder avec toi.

Evidemment qu'il avait dû avoir le dernier mot. Question de fierté. Même si aux ultimes syllabes, sa voix avait dû se briser.
Edgar s'est bien gardé de répondre, s'éclipsant en silence de la geôle que l'employé a immédiatement refermée. Un poids terrassant s'est alors appuyé sur sa poitrine – sorte de point douloureux logé entre les côtes ; mais ce n'est que lorsqu'il sent les larmes monter dans sa gorge, que Guilhem comprend à quel point l'échange avait pu l'affecter. Peu importait s'il était innocent, si les accusations de son père ne portaient que sur des mensonges : être témoin de ce mépris écrasant était déjà trop, trop pour son esprit bourdonnant qu'il sent céder et se fissurer. Les mains tremblantes se glissent dans ses cheveux, fébriles. Il ne veut pas pleurer. Pas par fierté, mais parce que ça faisait des années déjà, qu'il s'était juré de ne plus le faire pour lui. Alors Guilhem retient les sanglots comme il le peut, ferme les yeux et bascule la nuque vers l'avant en espérant que ça suffira. Il n'est plus là.
D'ailleurs, il ne le reverra sûrement pas.

Zone pénitentiaire du MACUSA, 7:45

Des coups réguliers l'ont tiré brusquement du sommeil. Il s'est redressé vivement, avec la surprise de ceux qui ne se rappelaient même pas s'être endormis ; passant les doigts sur ses traits chiffonnés, il a massé son dos endolori par la rigidité de la couche, pour observer le gardien qui venait d'ouvrir la porte de sa cellule. Sans doute devait-il lui apporter le petit-déjeuner.

— Debout, Verrier. Tu es libre, Lâche sommairement l'employé au crâne chauve, en désignant le couloir d'un mouvement de menton.

Un peu incrédule, le poursuiveur est resté immobile une seconde de plus, incapable de déterminer s'il était en train de rêver, ou si on était en train de lui faire une mauvaise blague. Mais le gardien a semblé s'impatienter face à son manque de réaction, lâchant un soupir bruyant en tapotant la porte d'un coup de baguette.

— T'as pas entendu ? Sors d'ici, t'as été libéré.

L'esprit encore embrumé, Guilhem s'est alors relevé de sa couche avec hésitation, sortant de la cellule sur les pas de l'autre sorcier. Il n'avait aucune idée de l'heure qu'il était – car il aurait tout aussi bien pu dormir plusieurs jours d'affilée, après les évènements de la veille. En silence, il s'est laissé mener dans les mêmes couloirs de marbre froid parcourus plus tôt, et desquels il avait douté ressortir un jour ; sauf que devant l'ascenseur, il a reconnu le visage de l'Auror qui l'avait interrogé dans la soirée, laquelle paraissait l'observer avec un agacement non masqué.

— Je suis libre ? A t-il demandé d'un ton hébété.
— Un témoignage vous a innocenté, Lâche t-elle d'un ton irrité. « Ne vous avisez surtout pas de jubiler de m'avoir fait perdre mon temps avec vos mensonges stupides.

Éberlué, l'héritier l'a alors suivie dans l'ascenseur doré sans poser d'avantage de questions – sans doute trop secoué pour le faire. Et alors qu'ils grimpaient les étages vers la surface, il a senti la brume de son esprit se dissiper, laissant la place à toutes les interrogations qui le tenaillaient. Althea avait-elle finalement réussi à retrouver Bonnie pendant la nuit ? Celle-ci s'était-elle dénoncée à sa place, par souci d'honnêteté ? La curiosité était sans doute forte, mais le soulagement l'était plus encore ; il n'aurait jamais soupçonné éprouver un tel apaisement à l'annonce de sa libération.
Et ce n'est que lorsqu'ils ont atteint le rez-de-chaussée qu'il a enfin pivoté le menton vers l'Auror à ses côtés.

— Qui ?

Elle n'a même pas eu le temps de répondre. Les portes s'étaient ouvertes, révélant le hall immense du Congrès, ainsi qu'une rangée de sièges où était assise une silhouette blonde, jambes agilement croisées. Lorsqu'ils sont sortis de l'ascenseur, elle a pivoté le menton vers eux, et l'a dévisagé platement.

— Félicie ? Lâche t-il.

La vélane en question s'est levée, progressant vers lui pour le détailler d'un coup d'œil ennuyé.

— Tu as une mine atroce, Verrier, Trouve t-elle à commenter, ponctuant la remarque d'une petite grimace de convenances. « Quoi ? Ajoute t-elle en croisant son regard éberlué. Je n'allais pas laisser ma sœur précipiter l'honneur de la famille aux égouts. Et on sait tous les deux que ce n'était qu'une question de temps avant qu'elle ne se dénonce à ta place.
— Qu'est ce que tu leur as dit ?
— Tu veux vraiment le savoir ? Réplique t-elle avec humeur, en rangeant une mèche diaphane derrière son oreille.
— Pas vraiment. » Il a marqué un temps de pause, encore occupé à dévisager les traits de la cadette qui se tenait devant lui. « Je ne pensais pas dire ça un jour, mais je n'ai jamais été aussi heureux de te voir.
— C'est ça, oui, Balaye l'intéressée d'un mouvement de main dédaigneux. Garde ça pour ma sœur, tu veux ? D'ailleurs, où est-ce qu'elle est passée ?

Un soupir s'est échappé des lèvres de l'héritier, qui a passé sa main sur son visage.

— J'en ai aucune idée. Je ne sais pas si tu es au courant, mais j'ai passé la nuit dans une cellule.
— J'avais senti, oui.
— Est-ce que tu t'inquiètes pour elle, Félicie ?

La vélane a pivoté le menton vers lui vivement, le fusillant du regard comme s'il venait tout juste de l'insulter.

— Je ne m'inquiète pas pour elle, Rétorque t-elle sèchement. Je veux juste éviter qu'elle fasse encore quelque chose de stupide qui pourrait me retomber dessus. » Elle a alors soupiré, l'air agacée par le mince sourire railleur qui naissait sur les lèvres de son beau-frère. « Bon, et tu n'as aucun moyen de la localiser ? Je ne sais pas, des bagues assorties que vous vous seriez offertes pour célébrer votre petit couple écœurant ?
— Je ne sais pas exactement pour qui tu nous prends, mais non. Rien de tout ça.
— Et à quoi tu me sers, alors ? S'impatiente la vélane en lui jetant un regard noir.

Il a marqué un temps de pause pour réfléchir brièvement, puis fini par jeter un coup d'œil à la sorcière.

— Hafsa, James et elle devaient aller au Quai, pour chercher Bonnie Whitehead. Peut-être que quelqu'un les aura vus.
— Je préfère mourir que poser un pied là-bas, je te préviens.
— Alors je te porterai. On y va ?

Althea Lovegood
Althea Lovegood
Admin

Onglet 1
Âge : 25
Occupation : Joaillière
Head : be a fool ⎯ althem 21c29054d0a8d9b604e39302a7641e83
Messages : 10
Date d'inscription : 26/03/2024
Onglet 2

   

stars, hide your fires
ft. guilhem verrier
29 avril 1949 ⎯ New york ; Le quai

TW alcool, sang, violence, sexe

La pièce de théâtre qui se joue ce soir-là est un drame.

Entre les lignes de son scénario, il n’existe aucune surprise, aucune péripétie ni quiproquo. Aucun retournement de situation qui viendrait sortir les personnages du désastre de leur situation et empêcher l’issue la plus tragique. Dans ce dernier acte, plus rien n’a de sens si ce n’est ces deux êtres acculés qui doivent affronter le dénouement pathétique de leur aventure. Deux idiots qui s’estiment alors prêts à lutter, car ils se sont toujours estimés plus forts encore que leurs tragédies ; voir même que le destin lui-même. Althea se moque de l’issue fatale, qu’elle subisse alors la violence d’un nouvel affrontement qui détruirait leur existence, elle préfère la mort à l’enfermement et la souffrance aux barreaux d’une prison éternelle. Elle l’oiseau sauvage, si souvent brimée par les idées des hommes et des femmes, celle que l’on a tenté d’enfermer dans le carcan des convenances, sent sa poitrine se serrer quand s’approche l’heure de sa condamnation. Celle qui résonne pourtant plus fort quand ce n’est pas la douleur qui la frappe mais les mots de Guilhem. L’imbécile suicidaire qui ôte à ses lèvres tous les sortilèges qu’elle formule.

C'était moi.


Il aurait pu tout aussi bien lui jeter au visage les insultes les plus infâmes, la poignarder dans le dos — là, juste entre ses omoplates. Il aurait pu déchirer leur relation pour en faire des bouts de papiers futiles sur lesquels il aurait marché pour réduire à néant les mois passés.
Mais Guilhem a fait pire que d'abîmer leur histoire, il l’a condamnée. Lui l’assassin, foutu jeteur de mots, dont la langue aiguisée peut briser les cœurs sans qu’il ne prenne pleinement conscience de sa violence. Lui qui laisse son amante sur place, clouée sur le pilori de ce lieu, entre les rideaux et les câbles. Il l’abandonne juste là, en seule compagnie de l’écho de verre brisé qui résonne dans sa poitrine.


C'était moi.


Oui, c’est bien lui. C’est lui qui brise le cœur d’Althea de la plus cruelle des manières.
Aucun mot manqué ici, seulement une affirmation faîte à la volée. N’est-on pas censé discuter de ce genre de choses ? Que le monde se mette sur pause, qu’il accepte de s’arrêter juste le temps qu’ils décident ensemble de ruiner leur existence.

Mais Guilhem n’échange pas, il ne propose pas, non, il arrache à la vélane ce qui est le plus précieux à ses yeux : son libre arbitre. Cette liberté dont elle est si fière, celle qui lui permet de prendre ses propres décisions. Il l’empêche ainsi d’assouvir sa volonté de détruire ceux qui voudraient les séparer. Il coupe ses ailes à la base de son corps et toute la colère qu’elle ressent est si brutale qu’elle l’empêche de formuler des phrases cohérentes. Toutes ses tentatives de prouver qu’elle est l’unique coupable se meurt parce qu’elle n’est qu’une femme. Une faible humaine, moins cruelle, moins barbare tout simplement parce qu’elle ne possède pas certains attributs entre ses jambes. De tous les hommes, c’est Guilhem qui lui impose cette violence détestable, lui et la lâcheté dont il fait preuve lorsqu’il évite son regard.

Il la condamne alors à une souffrance pire encore que les murs d’une prison, que les barreaux d’une cage. Il la condamne à une culpabilité inhumaine ; de celles qui rongent les cœurs pour n’en laisser que des cendres. Lui, le foutu chevalier servant qui estime que sa princesse a besoin d’être sauvée et qu’elle n’est pas capable de le faire seule.


La pomme empoisonnée qu’il lui offre alors a un goût de poussière contre sa langue. Entre ses doigts, son amant s’échappe et ni les yeux suppliants d’Althea, ni sa colère, ni sa frustration ne semblent être des raisons suffisantes pour qu’on la laisse le sauver. Elle doit simplement assister à son enfer personnel, à la douleur froide de la solitude, du néant ; de la pierre glaciale qui s’effondre dans les tréfonds de son ventre. Tout ce qu’elle est capable de voir autour d’elle, tout ce qui existe, qui était malléable devient un flou indistinct. Althea ne voit plus rien, elle n’entend plus rien, excepté le bourdonnement continu de sa rage. De cette violence inouïe qui commence à l’envahir, à maudir ses sourires et ses croyances passées. Plus rien n’existe ici, si ce n’est sa volonté de l’achever. Oui, Althea veut le tuer pour ce qu’il a fait, pour ce qu’il lui fait — non, pardon, pour ce qu’il leur fait.
Du plus profond de son cœur elle souhaite lui faire payer son abandon, qu’il ressente ce chaos indescriptible qui l’anéantit. Son sacrifice transforme l’homme qu’elle aime en martyr et pire encore, il fait d’elle son assassin. Dans le mélodrame qui se joue, elle est celle qui tient l’arme du crime — encore rouge de son sang. La vélane sait alors qu’elle n’a que deux choix, se laisser dévorer par la culpabilité et s’effondrer, là, dans ce décor qu’elle maudit déjà, ou bien alors se battre. Laisser la colère la ronger parce qu’il est plus facile de tenir debout et de vouloir lutter encore.


Regardez la folle qu’elle devient, à se tourner vers les aurors. Observez leur regard de pitié quand elle leur jette des mots, des insultes, des menaces dont ils se moquent. Celle qui supplie qu’on lui rende son amant, parce que c’est elle la coupable. Lui n’est pas violent, il ne sait même pas frapper, et puis attendez, qu’elle leur dit, qu’elle leur montre elle, comment elle se bat. Althea entend les rires qu’ils étranglent devant sa façon de s’agiter, de lancer ses mots comme elle voudrait lancer des flèches empoisonnées — droit dans leur cœur de pierre. Parce qu’elle est une femme, ils ne se méfient pas, au contraire, ils tournent en ridicule celle qu’ils appellent déjà l’hystérique, la manipulée ; l’imbécile amourachée.

Celle que l’on devrait enfermer, non pas dans une prison mais là où est sa véritable place : dans un asile.
La folle qui s'effondre, à genou sur le sol et qui laisse alors le silence reprendre ses droits. La pièce est terminée. Le sang coule encore, mais les spectateurs s’en sont allés. Ils ont quitté la fin dramatique pour laisser l’actrice agonisante sur les planches — pardon, leur histoire n’est pas assez importante pour la scène, car c’est en coulisse qu’elle se laisse dépérir. La tête baissée, le menton posé contre le haut de sa poitrine et ses yeux clos pour ne plus rien affronter.


Toutes les larmes du monde se pressent derrière ses paupières fermées, dans un flot assassin qui tente de la noyer à travers une foutue douleur âpre. Althea ne parvient pas à parler. Pour tout avouer, elle ne parvient pas non plus à penser. Tout ce qu’elle souhaite, c’est se réveiller de ce cauchemar dans lequel il l’a plongée. Elle veut le libérer et ne plus le revoir. L’enlacer et l’achever. Parce que Guilhem a détruit plus que son cœur, il a ruiné une promesse tacite dès l’instant où a décidé qu’il était libre de choisir pour elle ; de les abîmer sans lui demander son avis.
Comme avant, quand il était celui qui décidait de leurs ruptures et de leurs retrouvailles. Dans les instants oubliés où il ignorait alors ses supplications et ses colères froides.
Vieilles pensées, anciennes rancunes qu’elle ne peut s’empêcher de ressasser ; parce que c'est plus simple.


— Althea ? La voix qui s’élève est juste derrière elle, elle peut presque sentir les effluves de James remonter autour de son corps pour l’enlacer dans une promesse silencieuse. « On va le sortir de là, je te le jure.


L’optimisme jusque dans les mots qu’il ne peut croire lui-même. Peut-être qu’il s’attend à ce qu’elle s’effondre, Althea est certaine qu’il se prépare à prendre la place du nouveau chevalier servant, prêt à l’accueillir dans ses bras. Mais quand elle ouvre les yeux, quand elle lui fait face, ses larmes s’en sont allées. Dans ses prunelles, c’est le vide qui étend désormais ses branches et entre ses lèvres pincées, tous les mots se font poussières. Alors elle se redresse, mécaniquement sûrement, sans réfléchir, sans penser au bien fondé de la décision qui se forme dans son esprit éteint.


— On va trouver Bonnie, Tente Hafsa à son tour. « Et puis quiconque connaît Guilhem sait qu’il est incapable de faire ça. Au pire des cas, son père le sortira de…


Le premier son qui franchit la barrière des lèvres d’Althea est un rire, un ricanement mauvais qui disparaît aussi soudainement qu’il est arrivé. La vélane est éteinte, elle a déjà sombré dans les profondeurs d’aniline de sa résignation. Ses dernières émotions s’effacent quand elle passe sa main sur son visage froissé.


— Vous pouvez rentrer, vous n’êtes plus recherchés, Finit-elle par dire en remettant de l’ordre dans ses vêtements, dans ses cheveux, pour occuper ses doigts agités. « Je n’ai plus besoin de vous.
— Ne dis pas n’importe quoi, tu ne vas pas aller toute seule là bas, Bonnie a dit…


Est-ce que c’est le regard de la vélane qui a poussé James à se taire ?
Celui qu’elle dépose sur son visage désormais inexpressif et qui dévoile tout le vide de ses pensées. Lui qui parvient à apaiser les conflits les plus violents, lui qui apaise les cœurs les plus abîmés, renonce alors à user de ses mots. Il s’avance vers elle, il s’élance même, parce que James a compris, sûrement avant Hafsa, la suite évidente que la vélane va donner à leur cavale. Plutôt que d’épuiser sa langue, il se jette dans sa direction, avec l’espoir un peu fou d’être capable de la sauver. Mais avant que ses doigts ne puissent la saisir, la vélane n’est déjà plus. Envolée, telle l’oiseau de ses rêves qui s’élance malgré ses ailes coupées.
Dans le drame de la pièce, Hafsa et James sont les derniers survivants, deux êtres perdus, lâchés en plein cœur d’une tragédie dont ils ne peuvent changer l’issue.
_____


La rue qui l’entoure est plus sombre désormais, certaines de ses lumières se sont éteintes, offrant alors ses recoins aux ombres les plus moroses. L’endroit est plus silencieux également, les âmes perdues sont rentrées ou se sont égarées à travers une errance solitaire. Althea est semblable à ces dernières, elle qui ne pense plus, qui ne voit plus ; aveuglée par la vague d’émotions qui l'oppressent. Seule la devanture devant elle est capable de capter son attention, ainsi que les odeurs de cigarettes et de whisky bon marché qui l'assaillent quand elle en franchit la porte. À l’intérieur du bar, la foule est toujours présente, les femmes et les hommes échangent des propos plus bruyants dans un chaos cacophonique qui vient irriter ses tympans. Lucian est la première personne qu’elle aperçoit, lui et les cernes qui commencent à naître sous ses yeux, lui et le sourire qu’il garde en permanence, même lorsqu’il écoute les propos enivrés d’un homme dont la tête est couchée sur le comptoir.
Lucian et le bonheur qui éclaire ses prunelles quand il aperçoit Althea.


— Je savais que tu reviendrais ! S’exclame-t-il en s’éloignant du bavard pour la rejoindre et se pencher vers elle, par-dessus le bar. « Tu étais nostalgique, honey ?
— Est-ce que tu sais comment aller au Quai ?


Le sourire de Lucian vacille, elle peut le voir dans la faille qui se dévoile au coin de ses lèvres, mais Althea s’en moque. Elle s’avance et dépose ses avants bras sur le bar pour ainsi se rapprocher de lui, brisant l’espace entre leurs deux visages.
Foutue vélane qui glisse sur ses traits une supplication silencieuse.


— J’ai besoin d’y aller tout de suite, Reprend-elle en le regardant droit dans les yeux, ses doigts se glissant contre le sien pour saisir sa main. « C’est très important.
— Et James t’attend dehors ?
— James est rentré à l’hôtel.
— Tu devrais peut-être prendre une bière à la place, Qu’il répond alors en serrant légèrement les doigts d’Althea. « Je te l’offre même, tu peux la boire tranquillement, je peux prévenir James que tu es là ou alors tu attends que je termine mon service, mais le Quai n’est pas vraiment un endroit pour une…
— Pour une femme ?
— Ne me fais pas dire ce que je n’ai pas dit, Rétorque Lucian, un voile de gène ayant la décence de traverser son regard. « C’est juste que tu es plus habituée aux galas qu’aux…
— Par Merlin, Lucian, S’agace alors Althea avant de lâcher sa main pour pouvoir se reculer. « Est-ce que tu sais comment y aller, oui ou non ?


Elle peut le voir, à sa façon de regarder autour d’eux, d’effleurer son visage sans y attarder ses yeux, qu’il ne compte pas l’aider. Elle n’a pas besoin de le connaître davantage pour deviner la trahison à venir. Althea ignore si c’est à cause de son sourire, de la fluctuation dans ses traits amusés ou si c’est causé par un battement de cils un peu prononcé, mais quand il lui dit qu’il va seulement prévenir qu’il s’en va, elle peut deviner sans difficulté que ce n’est qu’une question de secondes avant que James ne surgisse pour essayer de la raisonner ou de la convaincre qu’elle n’a pas besoin de tout affronter seule. Peu importe la véracité des propos qu’il pourra alors trouver, Althea refuse de se laisser avoir par les talents qu’il possède pour apaiser son cœur. Alors, quand Lucian s’échappe par la porte arrière, Althea se détache du bar, elle se fraye un chemin à travers la foule pour rejoindre la rue. Elle ignore si l’air au dehors est encore plus froid ou si c’est seulement son désespoir qui commence à geler le sang dans ses veines.

Mais rien n’est plus glacial que la voix dans son dos.

— J’t’ai entendu parler du Quai. Tu veux quoi aux gens d’là bas ?


La vélane se retourne alors pour faire face à un homme à l’apparence délabrée, le pantalon qu’il porte est rongé par des trous, tout comme les mitaines qui attirent le regard d’Althea sur ses ongles noircis. Pendant une seconde passagère, elle se dit que l’homme face à elle n’est pas digne de confiance, pointe de lucidité qu’elle s’évertue à mettre de côté en faisant un pas dans sa direction ; faisant fit de ses effluves écoeurantes.

— Je cherche une amie à moi, elle est là-bas actuellement et… Débute Althea avant de se faire interrompre par le mouvement de la main de son interlocuteur.
— La suite n’m’intéresse pas, Explique-t-il. T’as de l’argent ? Mes services sont pas gratuits juste parce qu’t’as un beau minois.


Pendant un instant, Althea s’arrête de respirer, de penser. Bien sûr que non, elle ne dissimule pas de gallions dans ses poches, elle qui n’a même pas pensé à sa baguette. Elle se maudit davantage de ne pas avoir réussi à prévoir la tournure de la soirée. Finalement, elle ôte le bracelet à son poignet, avant de le lever en l’air pour le lui montrer. À travers les lumières artificielles, les diamants dévoilent une étincelle éclatante, une qui se reflète dans les yeux envieux de l’homme qui avance sa main vers lui — juste avant qu’Althea ne se recule, emportant entre ses doigts l’objet de sa convoitise. Fausse assurance qu’elle installe sur ses traits fermés lorsqu’elle reprend la parole.


— Déposez moi là bas et vous l’aurez. Je vous le promets.


L’homme hésite, Althea est certaine qu’il évalue toutes les possibilités, qu’il se demande s’il peut être assez rapide pour récupérer le bracelet et briser la poupée face à lui d’un simple mouvement de ses mains. Elle se prépare même à se défendre, mais contre toute attente, il acquiesce et il lui tend sa main pour l’inviter à venir contre lui. Alors, sans hésiter davantage, Althea s’avance, elle glisse son bras dans son dos pour s’accrocher à son pull fané. Juste avant de disparaître dans les ombres et la nuit, c’est la silhouette de Lucian qu’elle voit surgir dans la rue.

Elle peut alors jurer l’entendre la maudir sur les générations à venir. Elle et sa foutue impulsivité.
Mais la voix de son ancien amant se meurt quand le sol redevient plat sous ses pieds. L’homme n’attend pas vraiment de s’assurer qu’elle se sente bien avant de lui tendre la main pour réclamer son dû. Peut-être qu’elle devrait alors s’inquiéter de sa façon de jeter des regards autour de lui, comme s’il craignait d’être vu à cet endroit précis, mais Althea s’en moque. Tout ce à quoi elle est capable de penser, c’est qu’elle s’approche de la fin de leur cavale, que d’ici quelques heures, Guilhem sera libre, et ils seront libres de se faire payer leur impulsivité et leur colère. De se pardonner ou de se haïr, de s’aimer ou de se déchirer.


— L’bracelet, vite ! Fait-il d’une voix pressée en agitant ses doigts devant-elle.
— Par où je dois rentrer ?
— Le troisième hangar. La porte a un symbole dessiné d’ssus.


Et Althea hésite, pendant un instant elle se dit qu’il serait plus simple de se garantir la compagnie de cet inconnu, juste le temps pour elle de trouver l’entrée, de trouver Bonnie. Mais l’homme n’est pas de ceux en qui elle peut avoir confiance, elle le sait très bien au fond d’elle, qu’il est déjà à deux doigts de lui ôter son dernier souffle. Lui qui s’agite, qui tape du pied contre le sol en attendant qu’elle cède à sa demande. Sans surprise, il disparaît à la seconde même où elle dépose le bracelet dans sa main, emportant avec lui la seule trace humaine. Laissant la vélane seule entre les rats et les oiseaux qui peuplent les lieux.
Autour d’elle se mêlent les odeurs d’écume et de la crasse. Plongée dans cette solitude nouvelle, Althea ressent une légère pression. Une peur qui s’ancre dans le creux de son ventre. L'angoisse qu’elle éprouve est trop lourde pour qu’elle puisse pleinement l’ignorer mais pas assez grande pour la faire reculer. Ni le bruit de ses pas solitaires, ni les ombres qui l’entourent ne sont assez terrifiantes pour lui faire oublier les raisons de sa venue. La colère qu’elle ressent pourrait la ronger, elle pourrait se faire volcan et tout ravager ; car pour Guilhem, elle serait prête à retourner le monde tout entier.


Althea ignorait pourtant à quoi elle s'attendait en entrant dans le hangar, mais l’odeur qui vient la frapper, la musique qui résonne, la crasse qui se dévoile devant ses yeux ont des relents familiers. Ils replongent la sorcière dans ses nuits passées entre les pirates et les voleurs. Eduardo pourrait même surgir devant elle qu’elle ne serait pas étonnée de le surprendre dansant entre les badauds alcoolisés qui tanguent sur les pavés qui jonchent les ruelles délabrées. Il pourrait même se dissimuler derrière le visage de l’homme qui s’élance vers elle, celui qui trébuche et dont les mots se mêlent sur sa langue pour ne former que des menaces indistinctes. Menaces qui s’étouffent lorsqu’il rejoint le sol. Elle n’a eu qu’à se déplacer d’un pas pour l’éviter ; lui et ce qu’il recrache.
Du bout de son pied, elle le repousse d’un air dégouté pour le mettre sur le dos.


— Tu connais une Bonnie ? Demande-t-elle sans grand espoir.
— Bonnie c’est qu’une salope, Marmonne l’homme aux yeux déjà clos. « Toi aussi t’en es une, une salope immonde que j’vais baiser…


L’insulte se meurt dans un éclat de rire qui devient ronflement. L’homme s’est endormi à même le sol, emportant avec lui ses relents d’alcool et la vulgarité de ses propos. Althea ne peut alors s’empêcher de lever ses yeux au ciel avant de s’en éloigner, maudissant entre ses dents serrées les hommes à la langue trop pendue ; celle que l’on ferait mieux de couper.

La musique qui s’échappe du bar face à elle étouffe malgré tout ses pensées, elle est plus bruyante encore que le fracas des mots qui se mêlent dans son esprit. Peut-être est-ce exactement ce tumulte qui étouffe l’inquiétude qui pourrait la saisir à l’idée d’entrer dans ce lieu qui ressemble à s’y méprendre à l’antre du diable. Peu importe les risques qu’elle prend, Althea se glisse entre les corps pressés, elle bouscule la moiteur de peaux tatouées pour se frayer un chemin jusqu’au bar. Sur son chemin, elle interpelle les hommes et les femmes alcoolisés pour leur demander des informations sur Bonnie. Mais les réponses se meurent dans des menaces, dans des insultes, dans des regards lubriques qui se baissent vers sa poitrine ou les bijoux qu’elle porte encore. La chaleur du lieu se colle à sa peau, il imprègne ses vêtements d’une odeur de bière bon marché et de sueurs étrangères. L’espace qui se dégage lorsqu’elle fait enfin face au comptoir arrache à ses lèvres un soupir de soulagement. Contrairement à celui où travaille Lucian, ce dernier ne semble pas avoir été nettoyé depuis des jours, des semaines — des mois peut-être. On peut encore apercevoir le bois qu’il était avant que la crasse ne s’y entasse, mais ce n’est pas ce qui empêche Althea de se pencher dessus en y appuyant ses avants bras dans l’espoir de saisir l’attention de la femme derrière.


— T’veux quoi ?
— Un renseignement, Répond Althea d’une voix forte, pour couvrir le boucan de la musique, avant d’ajouter en se penchant davantage sur le bar. « Je cherche Bonnie Whitehead, je dois absolument lui parler.
— Bonnie ? Rétorque la femme dans un éclat de rire. « Si tu la vois, dis-lui qu’elle me doit toujours d’l’argent.


Le courage que Althea possédait encore n’est plus qu’une flamme vacillante dans les tréfonds de son ventre. Elle maudit les âmes oisives qui la poussent pour accéder au comptoir, elle maudit l’odeur âcre qui s’ancre dans son épiderme, mais c’est sûrement Guilhem qu’elle maudit le plus fort. Les secondes passent, les secondes défilent et toute sa volonté s’effrite, son espoir se meurt, ne laissant que des morceaux inertes de leur amour entre les déchets et la poussière. Mais alors que son regard parcourt la foule et les corps qui s’enlacent, se frappent et s’embrassent, un visage sort du lot. Un souvenir du passé, des traits familiers qui parviennent à lui faire oublier la raison de sa présence dans ce lieu de débauche, un ancien allié qui capture l'entièreté de son attention — Eduardo. Prétendre qu’elle est surprise de le voir dans un lieu tel que ce dernier serait un mensonge, pourtant, cette vision fugace arrive à éveiller un sentiment étrange dans son cœur. Une lueur d’espoir passagère qui la pousse à s’élancer, à repousser les êtres autour d’elle sans se soucier de leur colère. Mais la lueur se meurt car il n’y a plus rien, tous les visages se ressemblent, tous les êtres ont la même odeur rance. Toutes les voix ont les mêmes intonations, un peu trop rauques, un peu trop usées.


L’ombre du passé s’est fanée, la replongeant dans une solitude qu’elle commence à regretter. Elle qui n’est pas habituée aux remords se demande comment les choses se seraient passées si Hafsa et James avaient été là, à ses côtés. Peut-être qu’elle aurait alors réussi à se débarrasser de sa rancœur. Peut-être qu’elle aurait remarqué la présence d’une femme derrière elle ; tout du moins avant de sentir la pointe de sa baguette plantée dans son dos et la chaleur de son souffle contre son oreille.


— Maria m’a dit que tu cherchais Bonnie, alors dis moi petite curieuse, c’est quoi ton nom ?

Sur les lèvres d’Althea, c’est un sourire qui a l’audace de faire son apparition. Non pas que la menace est un gage de réconfort, mais parce qu’elle se met à espérer. Elle ose effleurer la finalité de sa quête du bout de ses doigts. Malheureusement, l’espoir est un sentiment bien cruel, surtout lorsqu’il revient étendre ses racines et raviver la flamme dans sa poitrine.

— Donne-moi ton nom et je te dirais peut-être le mien, Rétorque l’insolente.
— On a affaire à une comique alors, Reprend la femme au creux de son oreille, avant de la faire avancer en direction du fond du bar. « Tu lui veux quoi, à Bonnie ?
— J’ai juste besoin de lui parler.


Dans son dos la pression de la baguette se fait plus forte, comme dans une tentative de l’intimider ou de lui rappeler les risques qu’elle encourt si elle ne coopère pas. La foule se fait plus éparse, les regards se font fuyant quand ils croisent celui de l’inconnue qui la suit et l’oblige à avancer, celle que Althea ne peut voir. Même la musique se fait moins bruyante lorsqu’elles atteignent un recoin sombre où sont installées quelques femmes. Ces dernières tiennent des cartes entre les mains et une cigarette coincée entre leurs lèvres, elles semblent perdues dans un échange bruyant pour décider qui a les points et qui est la perdante. Quand elles aperçoivent Althea, leurs voix se meurent pourtant, elles éteignent leurs propos enflammés pour détailler l’apparence de la nouvelle venue.

Althea se fait alors presque docile, elle se laisse faire quand l’inconnue la force à s’asseoir sur l’une des banquettes usées, avant d’en faire de même face à elle. L’éloquente vélane laisse ses mots mourir sur le pas de sa langue, elle préfère détailler celle qui le menaçait quelques secondes auparavant ; celle qui la menace toujours d’ailleurs, sa baguette glissée contre son abdomen. Sa chevelure rousse et bouclée est la première chose que Althea remarque chez elle, elle encadre une peau albâtre, constellée de tâches de rousseurs. Sur le visage de cette dernière est déposé un masque de froideur, s’il dissimule une partie de ses émotions, lorsque la vélane plonge l’azur de son regard dans celui de sa tortionnaire, elle peut y lire le léger trouble qu’elle éprouve face à l’essence qui se dégage de son propre corps ; mais la femme le fait disparaître dans un battement de cils fugace.


— C’est quoi ton nom ? Redemande la femme.
— Tu peux le choisir si ça t’intéresse tant, Rétorque Althea en se penchant en avant, ignorant alors la pression de la baguette, désormais placée contre son ventre. « Où est Bonnie Whitehead ?
— Je peux commencer par découper des morceaux de toi, peut-être que ça te fera parler plus rapidement.
— Susan sait que je suis là, Indique la française, d’une voix bien trop tranquille pour être sincère. « Peut-être que tu peux lui envoyer un de mes doigts, et après la sous-fifre que tu es lui expliquera pourquoi tu as commencé à découper son amie.



La femme se penche davantage en avant, Althea peut presque sentir la chaleur désagréable de son souffle qui se mêle au sien ; celui qu’elle retient par peur de trahir une quelconque émotion négative. Pendant un instant, elle perd pourtant le stoïcisme de ses traits de vélane, elle laisse même se dévoiler une faille, une fracture dans cette assurance surjouée.


— Althea Lovegood, S’exclame la voix de Bonnie, ce qui force l’inconnue à se détacher d’elle. « Je te pensais déjà en prison ou pendue sur la place publique !
— Et moi je te pensais digne de confiance, Rétorque la vélane en faisant une tentative pour se relever, vite avortée par la rousse. « Qu’est-ce que tu as fait avec Thomas ?
— Oh par Morgane, je suis digne de confiance avec mes amies et nous sommes à peine des connaissances.


Bonnie se laisse finalement tomber aux côtés de la rousse, avant de glisser ses pieds sur la table qui lui fait face. Elle n’a même pas la décence de dissimuler le sourire qui monte jusqu’à ses oreilles, bien au contraire, elle semble s’amuser de la situation et de l’incompréhension qui se dévoile sur le visage de la vélane. La sorcière récupère une cigarette qu’une autre femme lui tend avant de la glisser entre ses lèvres. Althea voudrait alors être capable de garder toute sa confiance, d’affronter sa nemesis avec hardiesse jusqu’à la faire succomber entre ses griffes aiguisées, mais tout ce qu’elle est capable de montrer, c’est la peur qui commence à prendre racine.


— C’était un piège alors… Réalise Althea d’une voix plus basse.
— Écoute, je ne doute pas du bien fondé de tes idées, mais sérieusement, une petite bourgeoise comme toi ne peut pas comprendre ce pourquoi on se bat, Lâche Bonnie, dans un nuage de fumée. « Peut-être qu’à Paris tu sortais du lot, mais ici tu n’es pas mieux que les autres, à te pavaner dans un gala qui récupère de l’argent pour détruire les femmes.
— C’est faux, je…
— Par pitié Althea, S’agace la sorcière en se redressant sur sa banquette. « Tu sors avec un Verrier, ta propre sœur était au bras de Thomas. Allez, dis moi maintenant ! Pourquoi tu es venue ici ? Pour me demander de me dénoncer à ta place, c’est ça ? Parce que Madame estime que sa vie est plus importante que celle de toutes les femmes ici présentes, n’est-ce pas ?
— Guilhem est en prison pour le meurtre de Thomas, il s’est dénoncé à ma place ! S’exclame soudainement Althea, d’une voix un peu éraillée, une qui s'abîme à travers l’absence de ses arguments. « Tu ne peux pas le laisser payer pour toi, c’est immoral Bonnie, tous les hommes ne sont pas responsables des crimes de…
— Tous les hommes sont coupables Althea, L’interrompt Bonnie avant d’écraser sa cigarette sur le bois de la table. « Il n’est pas différent des autres, il profite des mêmes privilèges quitte à écraser les nôtres. Mais si ça te tient tellement à coeur, on va boire une bière en l’honneur de son sacrifice.


Sa dernière phrase arrache un rire à l’une des femmes sur le côté. Elle lève alors sa bière vers les autres, avant de prendre un air faussement désolé en réponse au regard meurtrier que lui offre Althea.


— Je ne te laisserai pas faire ça, Crache la vélane en repoussant d’un geste la baguette encore coincée contre son ventre. « Tu as tué Thomas, c’est à toi de payer, pas à lui !


Althea ressent la colère qui monte jusqu’à ses joues, celle qui vient les rougir lorsqu’elle tente de se relever et qu’une fois encore, la rousse appuie sur ses épaules pour la forcer à se rasseoir. Elle sent cette haine destructrice qui envahit et trouble ses pensées, celle qui l’empêche pourtant de s’exprimer. La situation est injuste. Non, elle est cruelle. Elle fait trembler les doigts de la vélane et fait éclater son monde en un millier de morceaux. Le stoïcisme de ses interlocutrices brise une chose dans son esprit, un contrôle qu’elle pensait avoir, mais à cet instant tout ce qu’elle éprouve, c’est la caresse de la violence qui crispe ses doigts.


— Althea, Althea, Althea… Lâche Bonnie avec condescendance. « Je ne suis pas un monstre, je comprends, ça doit être terrible d’avoir le cœur brisé. » La sorcière a alors gardé le silence, pendant une seconde, juste le temps de laisser échapper un soupir et de laisser un rictus faussement désolé s’installer au coin de ses lèvres. « Mais la tristesse ne dure qu’un temps et puis tu te rendras compte que c’était la meilleure des choses. Crois moi, tu t’en remettras.


C’est un rire qui s’échappe des lèvres d’Althea, un qui se perd en écho dans le silence qui s’installe autour d’elles. Son rire est désespéré, il glisse sur ses lèvres toutes les illusions perdues, le fracas de sa naïveté qui se meurt contre les banquettes usagées. C’est un rire qui détruit les barrières de son esprit pour le laisser là, vide et terne. Althea ne pense plus, elle ne réfléchit plus quand elle se relève et qu’elle amorce un mouvement pour se jeter sur Bonnie. Même l’étreinte des bras autour de son ventre, qui la retiennent, ne suffisent pas à calmer cette rage soudaine.


— Tu n’es qu’une lâche Bonnie, une foutue lâche qui se cache derrière les autres et je te jure que je te ferai payer ça un jour.


Malgré la fureur qu’elle ressent, la voix d’Althea n’est qu’un murmure. Peut-être pense-t-elle que ses mots ont une portée, que ses menaces sont assez fortes pour réussir à compter. Pour preuve, les bras libèrent leur étreinte autour d’elle, elle arrive même à amorcer un mouvement pour s’éloigner. Aveuglée par sa colère, elle n’est pas capable de voir le hochement de tête de Bonnie. Elle ne parvient pas à prévoir le coup qui atteint sa joue, ni le goût du sang qui prend toute la place entre ses lèvres. Elle ne prévoit pas non plus la douleur soudaine qui heurte son ventre et la force à se plier en deux, son souffle coupé. Althea ne prend alors plus conscience de ses genoux sur le sol, sa vision assombrie par la souffrance qui prend sa place dans son corps tandis que son souffle en est coupé.


— On devrait la tuer, Lance la voix étouffée devant elle. Elle sait où nous trouver, rien ne l’empêche de nous dénoncer.
— Non, laisse-la, Nina, Répond Bonnie. Elle n’est pas dangereuse, juste désespérée.


Althea ne parvient pas à la voir, pour tout avouer, elle ne voit plus grand chose, excepté le néant qui s’étend tout autour d’elle alors qu’elle cherche à retrouver sa respiration et à oublier la douleur persistante qui traverse son corps. Elle sent pourtant sa présence à ses côtés, elle perçoit son souffle à son oreille, celui qui murmure tandis qu’elle glisse ses doigts dans les cheveux de la vélane.

— Ton petit ami est déjà condamné, c’est malheureux, mais tu ne peux rien faire pour le sauver. Maintenant, mes filles n’aiment pas les femmes comme toi. Alors relève toi, pars d’ici et ne remets pas les pieds dans ce bar, sinon… Je ne suis pas vraiment certaine de réussir à les empêcher de te faire du mal.

— Je ne renoncerai pas… Laisse échapper Althea d’une voix rauque, râpeuse et pourtant inaudible. « Je ne te laisserai pas…
— Mais tu ne peux rien faire, Althea, Reprend Bonnie avec douceur, sa main remontant une mèche d’or derrière l’oreille d’Althea. « Notre combat est plus important que ton amour pour lui. Et même si je voulais t’aider… Thomas était un homme important, ils vont condamner à mort ton Verrier et personne ne peut le sauver.


Les mots glissent sur Althea sans pour autant parvenir à l’atteindre, pendant une seconde ou deux ils se contentent de l’effleurer. Et puis ils l’abattent. Ils la percutent de plein fouet, l’un après l’autre. Elle n’avait pas imaginé qu’il puisse être condamné à mort pour un crime aussi horrible, elle n’avait pas non plus pensé au fait qu’elle pouvait échouer dans sa quête pour le sauver. Autour d’elle, les mots font voler en éclat sa carapace, son stoïcisme, sa fierté mal placée. Son cœur brisé la pousse à se redresser malgré la douleur dans son corps et le grondement sourd qui envahit ses oreilles.


— Renonce, Assène Bonnie. Ne m’oblige pas à les laisser te tuer.
— Je n’ai pas peur de toi, Lâche Althea et pourtant, elle est incapable de reconnaître sa voix, ce souffle écorché qui s’échappe sonne étrangement à son oreille. « Tu ne m’empêcheras pas de le sauver.
— La tueuse de pirates ! S’exclame une voix dans leur dos, qui force deux femmes à rompre leur échange pour porter leur attention sur l’intrus. « J’vois que t’es devenue une habituée des lieux d’débauche.


L’espace d’un instant, le vide se fait dans l’esprit de la vélane.
Devant elle, le visage d’Eduardo est un phare dans l’obscurité, même si elle ne parvient pas à réaliser la véracité de sa vision. Sa présence ici lui semble impromptue, étrange, presque irréelle, à tel point qu’elle ne réagit pas quand il s’avance, qu’il s’approche des femmes comme si la situation n’était pas à deux doigts de déraper.


— Tu présentes pas tes amies ?


Althea secoue légèrement sa tête. Les mots se font absents quand il lui tend sa main et qu’elle s’en empare. À ses côtés, Bonnie s’écarte et Althea ne comprend pas vraiment pourquoi elle les laisse partir, pourquoi elle laisse un homme prendre place dans leur conversation pour y mettre un terme. Elle même a l’impression de laisser son cœur encore palpitant sur le sol. Outre la douleur physique dans son ventre, c’est tous les espoirs imbéciles qu’elle avait placé en Bonnie qui s’effondrent et qui la laissent là. Telle une foutue poupée de chiffon entre les bras d’un nouveau sauveur.


— C’était un plaisir de te revoir, Reprend finalement Bonnie en retournant s’installer sur la banquette avec un naturel insolent, comme si la violence de leur conversation n’avait été qu’un mauvais rêve. « Mais n’oublie pas que tu n’es pas à ta place ici.


Les mots de Bonnie se meurent quand Eduardo l’entraîne avec lui, qu’il glisse son bras autour de sa taille, dans un semblant d’étreinte amoureuse aux yeux des plus curieux. La désinvolture d’Eduardo se dessine sur ses traits, mais la vélane a pourtant conscience qu’il la maintient pour l’empêcher de s’effondrer — de suffoquer sous la chaleur oppressante des corps qui les entourent.


L’air frais au dehors vient la frapper de plein fouet, les odeurs également, mais ça n’a plus d’importance. Plus rien n’a d’importance. Dans sa poitrine, les battements erratiques prennent toute la place, ils envahissent sa vision, son goût, son ouïe. Ils dévorent ses sentiments pour ne laisser place qu’à un vide, qu’au néant qui la possède entièrement. Même la voix d’Eduardo s’éteint, étouffée par le monde et le visage de Guilhem qui prend toute la place. Althea étouffe. Elle ne parvient plus à respirer, elle ne parvient plus à ressentir autre chose que cette cage thoracique qui se compresse et ses larmes qui s’échappent le long de ses joues. Jusqu’à sentir ses lèvres. Celles d’Eduardo qui capturent les siennes dans un baiser si surprenant qu’il arrive à la ramener sur terre ; juste avant qu’elle ne le repousse brutalement, l’incompréhension prenant alors la place de sa douleur.


— Quoi… S’exclame le pirate face au regard noir d’Althea. « Tu paniquais !
— Et tu embrasses souvent les femmes qui paniquent ? Rétorque la vélane d’une voix plus aiguë.
— Althea !


La voix qui surgit dans son dos dissipe alors toute envie de défouler sa rage contre le pirate. Althea le quitte des yeux et se retourne, juste à temps pour apercevoir la silhouette de Hafsa qui s’élance droit sur elle ; véritable tornade de boucles brunes. Il lui faut pourtant un moment avant de réaliser la présence de son amie, de ses bras autour de son corps encore endolori. De cette odeur rassurante qui ranime une étincelle dans ses prunelles.


— Ne refais jamais ça ou je te tue, Affirme Hafsa à son oreille.


Althea voudrait être capable de se justifier, de trouver les mots pour exprimer ce qu’elle éprouve et les raisons de sa fuite, mais elle ne ressent rien. Tout du moins rien d’autre que le vide qui s’étend quand elle ouvre ses yeux et que même le sol sous ses pieds ne lui semble plus aussi stable qu’avant. Parce que la présence de Hafsa et de James est un rappel, un retour à la réalité. C’est un nouveau coup dans son ventre, quand elle réalise alors qu’elle a échoué.


— Tu as trouvé Bonnie ? Demande James en déposant un baiser contre sa tempe. Face au hochement de tête d’Althea pour seule réponse, il ajoute alors : « Et elle ne va pas nous aider à le faire sortir de prison.
— Alors on va trouver une autre solution, Affirme Hafsa. On le sauvera d’une autre façon.


Althea lui offre un léger sourire, pourtant l’optimisme soudain de la sorcière ne parvient pas à atteindre la vélane, qui se contente de se reculer légèrement pour se défaire de son étreinte. Elle donnerait son âme pour voir surgir une bonne fée ou n’importe quel miracle qui les sauverait de leur désespoir. Les héros dans les livres que Guilhem lui lisait finissait toujours pas s’en sortir, par forcer le destin. Mais sous ses yeux impuissants, la réalité se trouve être bien plus sadique et cruelle que les contes et les romans d’aventure.



— Vous voulez faire sortir qui d’prison ? Demande Eduardo avant d’ajouter dans un éclat de rire. « M’dites pas que vous parlez de Guilhem !
— Et qui est-il, celui-là…? Fait alors Hafsa en jetant un coup d’oeil méprisant à Eduardo, comme si sa présence non désirée était un grain de sable dans son existence.
— Un ami, Élude Althea rapidement.
— Un ami ? S’offusque le concerné. Je suis Eduardo, pirate et voleur de coeurs. Peut-être du tien, si tu m’laisses faire.
— Par pitié, Rétorque la jeune femme avec un air dégoûté, avant de se reculer d’un pas quand le pirate tend sa main vers elle. « Plutôt mourir.
— Althea disait la même chose, pourtant elle a aimé quand je l’ai…
— Eduardo ! S’exclame soudainement la vélane.


Les mots du pirate mettent un certain temps à être saisis par Hafsa. Mais quand cette dernière comprend, elle ne peut s’empêcher d’écarquiller les yeux, son regard passant alors de l’allure débraillée du pirate et celle d’une Althea qui se détourne rapidement de l’expression de son amie.


— Guilhem est en prison pour meurtre, Confesse finalement la vélane, afin de recentrer la conversation.
— Pourquoi vous ne le faîtes pas évader ? Répond Eduardo, comme si c’était une évidence à ses yeux.
— On ne peut pas faire sortir des personnes de prison comme ça, Lâche l’irlandais de la bande, plus pragmatique. Il faudrait un plan et…


Hafsa ne peut alors s’empêcher de laisser un grognement espéré résonner dans la rue, attirant sur elle le regard des autres badauds.


— Vous êtes sérieux ? Et vous comptez faire quoi après ? Être en cavale pour le restant de vos jours ? Althea je t’en prie, réfléchis un peu, Guilhem va s’en sortir.
— Il va être condamné à mort, Hafsa.


Autour d’eux le silence se fait, comme si même la musique du bar n’avait pas l’impudence de résonner après l’aveux qu’elle lâche. Ni James, ni Hafsa n’osent parler. Ils échangent seulement un regard qui veut tout et rien dire à la fois. Althea sait qu’une part d’eux n'envisage pas l’idée de laisser mourir Guilhem, mais elle ne peut en vouloir à Hafsa de se demander si la souffrance n’est pas préférable à une vie de ruines.


— Je ne vous demande pas de vous mettre en première ligne, j’ai seulement besoin de votre aide pour le faire sortir.
— Et après, tu vas faire quoi Althea ? Demande James.
— Une vie de pirate n’est pas si mal, Argue-t-elle avec cynisme en tournant sa tête vers Eduardo.


Car il existe toujours une place chez les voleurs, chez les pirates, chez les sans-cœurs.
Chez ceux qui renoncent par amour ou par désir, ceux qui échappent à un monde dont ils ne veulent plus. Si l’idée de tout perdre terrifie Althea, si ça éveille en elle une colère encore plus grande envers Guilhem et la stupidité de son sacrifice, peut-être qu’au fond de son cœur, elle se sent soulagée. De ne plus jamais avoir à faire semblant, à prétendre être une femme qu’elle n’a jamais voulu être.
Au fil de la nuit, des plans insensés qu’ils tentent de mettre en place entre les murs de la chambre miniature d’Eduardo et des nuages artificiels qui surplombent le hangar, Althea se dit que la cavale n’est peut-être pas le futur le plus désagréable. Quand elle s’endort, bercée par le plan qui hante son esprit, par ce futur promis et par les odeurs nauséabondes de cet endroit miteux, elle se dit que, peut-être, cette promesse n’est pas si cruelle.


__________


— Althea…


Les rêves de la sorcière lui échappent. Elle ne se souvient pas de l’instant où elle s’est endormie, accompagnée par les bruits de fond et le ronflement d’Eduardo. Mais dans son sommeil, la voix qui murmure son prénom arrache à ses lèvres un sourire. Pendant une seconde passagère, elle croit reconnaître les intonations de la voix de son amant, celle qui lui prouverait alors que les derniers événements ne sont qu’un cauchemar cruel, un moment passé qu’elle a inventé.

Mais lorsque ses yeux s'ouvrent, c’est pour faire face à la proximité du visage d’Eduardo, elle peut sentir les relents de whisky qui s’échappent de ses lèvres, celles qui sont encore trop proches des siennes. Dans un râle rauque et encore endormi, Althea le repousse brutalement, sans se soucier du bruit sourd qui résonne quand il heurte le sol.


— T’étais de bien meilleure humeur la dernière fois.
— La ferme, Souffle la vélane en se redressant difficilement sur le canapé sur lequel elle a sombré, les heures passées lui revenant alors lentement en mémoire.
— Qu’est-ce que t’avais bu hier soir ?
— De quoi tu parles…
— Tu m’dis que Guilhem est condamné à mort et je le vois en train de se balader dans les rues en compagnie d’une belle blonde. T’étais pas obligée de mentir si tu voulais passer la nuit avec moi.
— Qu’est-ce que tu racontes…
— Il est en bas, j’lui ai pas dit que t’étais là, on sait jamais, tu voulais p’t-être pas le voir…


La fin de sa phrase se perd dès l’instant où Althea se relève et se précipite hors de la petite chambre, ignorant les regards interrogatifs et encore ensommeillés de ses deux amis.
En bas des escaliers, debout dans l’entrée du vieux motel, il se tient debout. Guilhem est là, vivant, ses traits encore chiffonnés par une nuit peu remplie.


— Enfin, tu es là ! S’exclame la voix de Félicie en fond sonore. « On peut partir de cet endroit immonde, que je puisse aller brûler les vêtements que je porte.


Althea n’est pas capable de répondre, elle n’est pas capable de lui accorder de l’attention, la seule chose qu’elle voit c’est son visage, lui et les traits tirés de l’homme libre qu’il est. Tout ce qu’elle ressent, c’est le soulagement immense qui prend toute la place et la pousse à faire un pas en avant pour le retrouver. Pour se jeter dans ses bras, pour oublier les dernières heures d’errance. Et puis c’est la colère qui revient, la rage, la rancune. La violence qui s’ancre dans le bout de ses doigts au moment où il s’avance vers elle et qu’elle se recule.
Que soudain, elle le méprise plus qu’elle ne l’aime.

Le corps de James l’effleure en passant à ses côtés pour prendre Guilhem dans ses bras. Il prononce des phrases qu’Althea n’entend pas. Des exclamations de joie, de soulagement, du bonheur qu’il ressent à l'idée de retrouver son ami. La jeune femme, elle, ne voit que le regard de Guilhem plongé dans le sien. Le corps d’Althea se met alors à bouger, non pas pour s’avancer mais pour se tourner. Pour entrer dans le couloir, pour retourner dans la chambre miteuse et s’éloigner de sa présence.
Dans son dos, la porte qui claque peu de temps après n’est qu’un écho du tintamarre dans sa poitrine et de sa respiration qui explose en une multitude de bruit rauque.


— Althea…


La voix de Guilhem résonne dans son dos. Elle ne l’a pas entendu entrer, mais elle refuse de se retourner alors elle reste là, figée, paralysée face à la fenêtre qui dévoile une image du monde troublée par la crasse, par sa colère et l’envie qu’elle éprouve de lui jeter au visage toute sa douleur.


— Est-ce qu’on peut parler ?
— Pourquoi ? Lâche-t-elle finalement entre ses dents serrées. « Tu veux parler maintenant et donc je dois me plier à tes désirs, c’est bien ça ?
— Écoute, je sais que tu m’en veux, mais…
— La ferme, Guilhem.


Le phrase est froide, non, elle est glaciale, elle glisse sur sa langue tel un mauvais poison qui contamine son regard. Qui contamine ses doigts lorsqu’ils s'emparent d’un coussin pour le jeter à son visage, faisant alors face à son air perdu.


— La ferme ! Éructe-t-elle avec colère. « Est-ce que ça t’amuse ? De jouer à l’idiot, d’imposer au monde tes conditions parce que tu estimes que tu es plus intelligent que les autres ? Toi le grand Guilhem qui décide qu’il peut jouer sa vie à un lancé de dés, qu’il peut décider de lui-même de ne pas se libérer d’une malédiction parce qu’il estime que son existence n’a pas d’importance ! Toi l’imbécile qui a eu la grandiose idée de se dénoncer et de se condamner lui-même à mort !
— Arrête ça, Althea, je n’avais pas le choix.
— Tu n’avais pas le choix ? Rétorque-t-elle avec un rire sans joie. « Espèce de gobelin, nous n’avons pas tué Thomas. Tu aurais pu leur demander de te faire boire un verisaterum, de vérifier les derniers sortilèges de ta baguette, ou peut-être juste me demander mon avis avant de ruiner notre vie.
— Te demander ton avis ? Répond alors Guilhem, tandis que l’effarement gagne son visage.
— Oui, me demander mon avis !
— Comme tu as demandé le mien quand tu as décidé de participer à un meurtre et de ne pas m’en parler ?


La bouche d’Althea s’ouvre et se referme.
Les mots ne font plus sens dans sa tête, seule sa colère persiste lorsque ses arguments s'échappent.. Elle serre alors ses poings, prête à les abattre sur lui, à le détruire avec toute la rage qui prend le pas sur ses pensées.


— Je ne savais pas qu’il allait mourir, Rétorque-t-elle finalement en détachant chaque syllabe.
— Mais tu en as été soulagée.


L’affirmation est vraie, pourtant la vélane ne dit rien. Pendant un temps, elle reste là, son regard baissé vers le tapis rongé par les mites. Elle tente de chasser cette culpabilité qui remonte le long de sa gorge. De son ventre qui se tord dans tous les sens quand les images de Thomas lui reviennent en mémoire.


— Oui, Reconnaît-elle alors, arrachant l’aveux du bout de ses lèvres. « Oui, j’en étais heureuse et tu veux savoir la vérité ? S’il le faut, je recommencerais sans hésiter, mais ce n’est pas à toi de te sacrifier à ma place.
— Mais qu’est-ce que tu pensais que j’allais faire ? S’étrangle-t-il dans sa colère. « Te laisser finir tes jours en prison parce que tu as décidée d’aider une foutue meurtrière ?
— Oui ! Parce que c’était ma décision, pas la tienne Guilhem !
— C’était aussi ta décision de mettre en péril notre histoire pour un combat qui n’est pas le tien ?


Peut-être est-ce l’affirmation de trop, la phrase de trop car Althea s’avance vers lui et de toutes ses forces, elle le pousse en posant ses deux mains sur son torse. Pourtant, Guilhem ne bouge pas et l’expression qu’il dévoile, le mépris qui se mêle à l’incompréhension ne font que raviver la flamme de sa rage.


— Il allait me violer Guilhem ! Lâche-t-elle dans un cri rauque. « Thomas allait me violer, parce que je ne suis qu’une foutue femme ! Est-ce que tu sais combien de femmes se font tuer, frapper, violer par des hommes qui ont le droit de le faire ? Est-ce que tu en as conscience ? Si demain je me fais violer par un homme, même par le pire des hommes, il ne lui arrive rien et tu sais pourquoi, Guilhem, est-ce que tu le sais, toi et ta foutue science infuse ? Parce qu’en plus d’être une femme, je suis une vélane et par conséquent, ils estimeront toujours que je suis responsable des désirs des hommes ! Alors oui je suis contente que Bonnie soit arrivée et qu’il soit mort et je ne m’excuserai jamais de ressentir ça, juste parce que tu n’es qu’un homme privilégié qui est incapable de comprendre que toute ma vie je resterai un être inférieur aux yeux du monde.


Pendant un instant, seul le bruit de sa respiration rauque brise le silence. Guilhem ne bouge pas, il se contente de la dévisager et Althea peut presque voir les mots qu’il n’arrive pas à formuler danser sur le bout de sa langue. Elle sait pourtant que, de tous les hommes, il est peut-être un de ceux qui comprennent le plus la violence de ce monde, mais toujours en se contentant d’effleurer du bout de ses doigts sa cruauté.


— Pourquoi est-ce que tu t’es dénoncé à ma place ? Demande-t-elle d’une voix plus faible.
— Parce que je ne supportais pas l’idée que tu sois derrière les barreaux, Répond Guilhem. Et que je savais que…
— Que ma vie serait davantage détruite que la tienne, pour le même crime.


Guilhem secoue sa tête de gauche à droite, mais malgré sa négation, elle peut lire dans ses prunelles qu’il est d’accord avec ses mots, qu’il avoue sans le dire que l’idée lui a traversé l’esprit. Alors, pendant un instant, il n’existe entre eux que leurs regards qui s’affrontent, que leurs respirations rauques qui se perdent dans la solitude de la pièce. Elle le sait Althea, elle le sait, tout au fond de son cœur, qu’elle est injuste de lui faire payer pour un monde dont il n’est pas responsable, mais elle ne parvient pas à éteindre la colère qu’elle éprouve. Parce que Guilhem a effleuré la mort et qu’il la fait pour elle, parce qu’il a brisé la confiance qu’elle avait mise en lui. Althea a failli le perdre et il en est l’unique responsable et malgré tous les mots qu’elle pourrait lui jeter au visage, elle ne parvient pas à lui pardonner de lui avoir imposé la vision d’un monde où il ne serait plus.

Au bord de ses yeux épuisés, les larmes qui naissent sont un aveu de sa faiblesse — ou simplement de son impuissance. De cette fureur qui l’oppresse sans qu’elle ne puisse pleinement s’en défaire. Peut-être a-t-il alors compris qu’elle était à court de mots, à court d’espoirs, à court de violence. Peut-être a-t-il vu ses doigts se détendre, parce qu’il s’est avancé et que pour une fois, elle n’a pas reculé. Elle s’est contentée de se laisser faire quand il l’a prise dans ses bras. De clore ses yeux pour essayer de rejeter les pensées néfastes qui rongent son cœur. Pour ignorer la rage qu’elle ne lui dit pas, la rancune qu’elle ne parvient pas encore à exprimer face à leur incompréhension.

Alors pour essayer d’effacer sa rancœur, ce sont ses lèvres qu’elle cherche. Qu’elle trouve, qu’elle heurte avec un peu plus de brutalité qu’à son habitude. Comme si, dans la crasse de cette chambre d’hôtel, de leurs peaux moites d’aventures qu’ils ne disent pas encore, le seul moyen pour eux de s’oublier, de se retrouver, de se pardonner — tout du moins d’essayer, c’était en se perdant dans ce baiser qu’elle lui impose.


— Althea… Souffle Guilhem.


Peut-être qu’il tente de la repousser, d’ignorer le désir ravageur qui prend possession de la vélane, celle dont les prunelles sombres sont dissimulées derrière ses paupières closes. Peut-être, mais leurs lèvres qui se heurtent le font dans un désordre insensé. Leurs doigts qui s’agrippent sont possédés par le besoin de se retrouver ; qu’importe le monde autour et les pensées parasites. Althea ne veut plus réfléchir à la violence de leur séparation, à la place elle laisse un désir noir prendre la place dans chaque particule de son corps. Celui qui heurte le mur, alors que ses doigts se perdent contre le dos de son amant ; marquant son épiderme de ses ongles, de ses dents qui s’enfoncent dans son épaule et arrachent à ses lèvres un râle rauque. Un qui se meurt dans un nouveau baiser, dans un nouveau fracas.

Ce sont leurs corps qui se séparent, juste le temps d’ôter les tissus qui dérangent avant de se retrouver, ce sont ses mains à lui, qu’il glisse sous ses cuisses pour la soulever et la déposer sur le bois d’une commode usée par les années. Ce sont ses cuisses qui l’enlacent pour accoler leurs bassins.
C’est le désir qui surplombe la peur tenace à l’idée de le perdre.

Dans la mélopée rauque de leurs souffles, de leurs êtres qui se retrouvent enfin pour ne former qu’un, Althea ne pense plus. Elle ne pense plus au monde extérieur, aux colères étouffées, à la douleur encore ancrée dans les tréfonds de sa poitrine. Elle ne pense qu’à leur peau moite qu’ils agrippent, qu’aux baisers qu’ils se donnent, qui se brûlent, qui s’embrasent. Ils ne pensent plus, parce que quand les mots manquent, c’est peut-être plus simple ainsi.

C’est plus simple quand ce sont leurs souffles qui éclatent, que ce sont leurs respirations brûlantes qui étouffent dans le creux de leur peau. Plus facile quand leurs prénoms sont murmurés, chuchotés, lâchés dans des supplications pour en avoir plus. Encore plus d’eux, à la déraison, encore plus de ce désir ardent qui envahit le bas de leur ventre, de leurs bassins qui se retrouvent toujours plus — jusqu’à l'indécence. Ou seulement jusqu’à ce que leurs corps se crispent, s’agrippent dans un dernier souffle et s'affaissent l’un contre l’autre.

C’est plus simple.

Sauf peut-être quand ça s’arrête et que leurs doigts ne bougent pas, qu’ils se gardent encore pour oublier les discussions à avoir, les pardons à se confesser ou les reproches à se faire.
Mais c’est pour plus tard, se disent-ils.
Pour plus tard ou à jamais, ou alors seulement jusqu’à ce que leur rancune abîme leurs cœurs épuisés.

Guilhem Verrier
Guilhem Verrier
Admin

Onglet 1
Âge : vingt-sept ans.
Occupation : poursuiveur tête-brûlée de l'équipe des Vivets de Naples ; la célébrité à laquelle il regoûte avec une forme d'ivresse, après avoir pensé celle-ci définitivement éloignée.
Head : be a fool ⎯ althem Qmtp
Habitation : rues ensoleillées d'un Naples où il apprend à se reconstruire depuis plusieurs mois, loin du Paris mortifère dont il avait fait son propre enfer.
Messages : 14
Date d'inscription : 26/03/2024
Onglet 2

   

stars, hide your fires
ft. Althea Lovegood
28 AVRIL 1949 ⎯ NEW YORK ; METROPOLITAN MUSEUM OF ART

TW mention d'assassinat, relation sexuelle, mention de discrimination.

Quelque chose s'est déchiré. Au moment où ils se sont retrouvés à deux dans cette pièce isolée, où ils ont essayé de parler pour démêler la situation qui les étouffait depuis des heures. Naïvement, il avait songé que les mots aideraient, qu'ils avaient fait suffisamment de chemin pour être en mesure de se comprendre, de faire de leurs syllabes des remèdes précieux à la perplexité et la colère. Il y avait cru, et c'était la raison seule pour laquelle il l'avait rejointe ; mais cette fois, les explications sont insuffisantes. Elles ne semblent au contraire qu'envenimer les choses, comme si le seul fait qu'il essaie de se justifier rendait ses actes plus inacceptables encore aux yeux de la vélane.
La vérité, c'est qu'il ne saisit pas exactement d'où vient sa colère. Il arrive à en saisir la forme imprécise, les contours flottants, mais pour la première fois, Guilhem sait qu'il manque toute une partie de ce qu'elle ressent – peu importe à quel point il tâche de l'interroger, et elle de s'en expliquer. Et c'est avec frustration qu'Althea s'arrête : sans doute est-elle épuisée de devoir décrire la nature de l'orage qui gronde en elle, de lui en exprimer les couleurs – stupide aveugle qu'il est.
Sans doute est-ce ce silence-là qui les déchire le plus ; celui qui signifie l'abandon face à la nécessité de se faire comprendre, le désarroi face à la différence. Dans leur mutisme partagé, c'est un fossé qui s'étend entre eux, une crevasse presque palpable qui lui serre le cœur. Car habituellement, Guilhem et Althea n'arrivaient jamais à bout de mots : peut-être les mots parvenaient-ils parfois à bout d'eux, mais jamais l'inverse. La blessure précédait toujours le silence ; mais pas aujourd'hui.

Il se sent imbécile, désemparé face à sa difficulté à saisir réellement ce qu'elle lui reproche avec tant de force. Il voudrait pourtant ; pour réparer, pour être meilleur, pour faire mieux. Mais les mots qu'elle articule résonnent en creux. Sans doute en a t-il saisi certains, acquiescé face à quelques raisonnements, mais il sait qu'il lui manque une pièce du puzzle. Frustration maniaque qui le laisse bête devant elle, incapable de savoir que faire, que dire. Comment agir.
À ce moment-là, il a l'impression de la perdre, Althea ; plus encore que lorsque les aurors les ont rattrapés, et qu'il l'a imaginée se faire emprisonner. Parce qu'il la perd sur un terrain intangible, un socle commun qu'il avait sans doute eu l'orgueil de penser acquis : celui d'une conception du monde similaire, à propos de laquelle ils n'auraient jamais besoin de s'expliquer. Il avait fait erreur, et il s'en rendait compte à l'instant, alors même qu'elle avait arrêté de le regarder.

Il l'a certainement enlacée par dépit. Parce qu'il ne pouvait rester sans rien faire face à l'image de ce fossé entre eux, qu'il se devait d'agir – tout en ayant l'instinct féroce que le moindre mot prononcé aurait été de trop. Et il a espéré qu'elle comprendrait son désarroi, de cette manière-là ; qu'elle comprendrait qu'il ne refusait pas de saisir ses justifications par choix, mais parce qu'il n'y arrivait pas. Pas encore. Que ça viendrait, peut-être, un jour – mais qu'il n'en était pas encore là.
Un genre de façon de dire, attends-moi.

Mais Althea l'embrasse, et le baiser sonne faux. Il n'a pas l'habitude des baisers dissonants, pas avec elle : car leurs corps ont toujours été remarquablement bien accordés, créés et sculptés pour jouer ensemble les plus virtuoses des mélodies. Celle-ci est disharmonique, cynique ; elle lui vrille la peau, et son esprit entier la rejette par réflexe. Parce que ce n'est pas comme ça, qu'ils s'aiment. Pas dans les cendres des vieilles colères, dans le charbon des rancœurs mal ravalées, non. Mais Althea insiste, Althea ignore son corps qui se recule. Elle lui impose la mélodie grinçante du souffle qui heurte le sien, et il cède : parce qu'il se dit sans doute qu'une dissonance, c'est toujours mieux qu'un silence. C'est toujours mieux qu'une fin, qu'une crevasse dans laquelle tomber, qu'un putain de fossé pour les séparer. Il cède. Et il a l'audace d'y prendre goût ; aux morsures, au dos heurtés contre le mur, aux peaux malmenées. Aux bassins qui se bousculent et se crispent, aux souffles qui se perdent. Chaque parcelle de son être peut ressentir la violence du cocktail de désir et de rancœur qu'elle lui impose, l'extase de ce mélange ravageur. Et il se sent presque coupable d'y répondre avec tant de facilité : de plonger à son tour dans cette étreinte cynique et d'y trouver un plaisir terrible, une jouissance brutale qu'il se surprend à haïr au moment-même où celle-ci s'évanouit.

Il a la gorge serrée lorsqu'elle s'immobilise, là dans ses bras. Le cœur au bord des lèvres lorsqu'elle halète une dernière fois, et qu'il sait qu'elle va se détacher. Non – il ne veut pas. Son visage s'enfouit un peu plus au creux de sa nuque, et ses bras l'étreignent encore. Juste un peu, juste une seconde ; parce qu'il sait ce qu'ils verront lorsqu'ils se détacheront. Que la déchirure est encore là, et qu'ils n'y peuvent rien.
Qu'on ne noie pas la dureté des rancœurs dans de stupides coups de reins.
Lentement, il a senti ses cuisses se desserrer de ses hanches, son corps se défaire du sien ; son ventre se serre, et soudain, il se sent vide. Parce que le silence entre eux est terrible, que leurs regards ne se croisent pas. Lorsque ses pieds à elle retrouvent le sol et qu'elle le contourne, lorsque l'un et l'autre se rhabillent : Guilhem a l'impression de camoufler un péché. Il sait que l'idée est stupide, mais ne peut s'empêcher d'y songer. Car ce n'était pas dans leurs habitudes, de s'envoyer en l'air juste comme ça, juste pour oublier leurs mésententes, leur discordances. Du moins, pas lorsqu'elles étaient aussi sévères, et qu'ils ne parvenaient en aucun cas à s'accorder.
Et il n'aimait pas l'aimer de cette manière-là, Althea : lorsque leur alchimie commune n'avait d'autre choix que de transformer la plus noire des rancœurs et la plus profonde des peines, en un érotisme cynique et ravageur.

Les mots restent absents de leurs lèvres jusqu'au dernier tissu enfilé, retroussé ; jusqu'à ce qu'ils n'aient plus d'autre choix que de se tenir l'un face à l'autre, sans doute un brin mal à l'aise – privés d'éloquence face à la morosité de leur situation.

— Comment est-ce que tu es sorti de prison ? Finit-elle par interroger du bout des lèvres, en faisant mine de tresser ses cheveux défaits. « Je suppose que Félicie n'est pas étrangère à tout ça, si elle t'accompagne.

Il a semblé presque rassuré de la voir aborder un sujet autre – même si celui-ci restait sensible – si bien qu'il a saisi l'opportunité pour reprendre une contenance, et hausser les épaules avec détachement.

— Je ne sais pas ce qu'elle a fait, et je ne veux pas le savoir, Réplique t-il en ponctuant la fin de sa phrase d'une légère grimace. « Mais c'est grâce à elle, oui.

Et pendant une seconde, certainement par réflexe, il a songé à lui parler de la visite d'Edgar. Mais immédiatement, le voilà qui se ravise, qui garde ses lèvres bien scellées ; c'était loin d'être le moment pour aborder un tel sujet. Il l'aurait fait, une autre fois – mais pas là. L'humeur entre eux était trop taciturne, et parler de lui aurait semblé déplacé ; alors, il s'est contenté de renifler rapidement en roulant les manches de sa chemise sur ses avant-bras, jetant au passage un coup d'œil au profil de la vélane.

— Qu'est-ce que Eduardo fait ici ? Tente t-il de lancer sur le ton de la conversation.
— Je n'en sais rien, Réplique t-elle laconiquement, d'un haussement d'épaules. « C'est Eduardo, tu sais comment il est. Il trainait au Quai, et il m'a sauvé la mise.

Une drôle de lueur pointe alors dans le regard du français, lorsqu'il croise celui de son amante – de celles qui se demandent s'il doit l'interroger davantage. Mais encore une fois, il parvient à se dire que le moment est mal choisi : et pour être honnête, il aurait été prêt à tout pour mettre fin à ce face à face étouffant entre eux.

— On devrait redescendre, Fait alors la vélane, comme si elle avait lu dans ses pensées.

Alors, Guilhem hoche la tête. Et puis c'est tout ; son amante a déjà tourné les talons pour quitter la pièce, et il lui a emboîté le pas.
Lorsqu'ils apparaissent dans le hall, les regards qui les accueillent sont interrogateurs – ou agacés, dans le cas de Hafsa, ou de Félicie. Seul Eduardo lance une œillade complice à Althea, qui fait mine de l'ignorer alors qu'elle se rapproche de son amie ; et pour une fois, le français se sent presque mal à l'aise de voir le petit groupe qui a patiemment attendu qu'ils daignent laver leur linge sale.

— Ça m'fait plaisir de t'revoir, Guilhem, Lance alors le pirate d'un ton enjoué. « Heureusement qu'ils t'ont pas fait la peau, ça aurait été un putain d'gachis, si tu veux mon avis.
— Comment va Maria ? Choisit-il d'éluder en lui lançant un regard.
— Mieux depuis qu'Jérômine garde un œil sur elle, Grommelle t-il en levant les yeux au ciel. « Mais cette gamine tient pas en place.
— Sans vouloir interrompre ce charmant moment de charité, j'aimerais pouvoir rentrer à l'hôtel, Lance alors Félicie en se levant brusquement de la chaise bancale où elle avait attendu les deux amants. « Cet endroit sent l'urine, et j'ai peur que l'odeur finisse par s'incruster dans ma peau.

Et sans doute qu'au moins l'un d'entre eux aurait aimé trouver une manière de répliquer pour la faire taire ; mais ironiquement, Félicie avait ce jour-là gagné une forme d'immunité qu'elle ne connaîtrait certainement plus jamais. Lui-même se sentait encore redevable, vis-à-vis de la jeune vélane : se montrer rude avec elle aurait été plutôt malvenu.

— Personne ne te retient, Félicie, A choisi de répondre sa sœur en lui jetant un regard agacé.
— J'attendais un remerciement de ta part, pour avoir sauvé l'honneur de la famille et la tête de ton petit-ami, Lâche l'autre avec détachement. Mais si je dois attendre que tu daignes être polie, je serai encore là à minuit.
— Merci, Réplique sèchement son ainée, comme si le mot en question lui avait arraché les lèvres. Tu es contente ?
— Ravie. Maintenant, si vous voulez bien m'excuser...

La cadette a été la première à disparaitre en un tourbillon, sous le regard curieux d'Eduardo – dont les pensées évidentes à l'égard de cette dernière se lisaient encore sur son visage.

— Sans vouloir vexer qui que ce soit, je préfère rentrer à Londres pour cette fois, Intervient à son tour Hafsa avec un soupir sec. « Ces histoires m'ont épuisée, et je ne suis pas certaine de vouloir encore risquer un scandale ou une course-poursuite avec la justice.
— Je suis désolée pour tout ça, Entend t-il Althea glisser à son amie, un peu plus bas. « Je me rattraperai, c'est promis.

L'intéressée a adressé un mince sourire à la vélane, qui montrait davantage son empressement à se sortir de ce huis-clos que de sa volonté d'en discuter plus. Et c'est sans le moindre regard pour Guilhem ou Eduardo qu'elle transplane à son tour, daignant seulement adresser un signe de main affectueux à James, lequel a consulté sa montre d'un coup d'œil.

— J'ai promis de passer la journée avec mes parents, Indique t-il à son tour. Je vous rejoindrai ce soir à l'hôtel, d'accord ?
— Profite d'eux, Kergoat, Acquiesce le français en s'approchant de lui pour lui donner une brève accolade. « Et merci.

Parce que s'il ne savait pas exactement quel avait été le rôle de James tout au long de la soirée, il lui était reconnaissant d'être tel qu'il était ; un soutien indéfectible, malgré les ennuis dans lesquels ils s'évertuaient toujours à le fourrer sans que celui-ci n'en ait rien demandé. À ce même propos, il n'aurait jamais pu en vouloir à Hafsa de l'amertume qu'elle avait témoigné à leur sujet en partant : lui-même se sentait un brin embarrassé de les avoir trainés tout au long de la nuit dans les rues de la capitale, et amenés à fuir des troupes d'aurors. James a opiné de la tête en lui rendant son sourire, puis s'est approché de la vélane pour déposer un baiser sur sa tempe. Il a cru voir qu'au passage, l'irlandais lui avait glissé quelques mots qu'il n'a pas été en mesure d'entendre ; mais il n'a pas choisi de s'en formaliser.

— Visiblement, c'est plus qu'nous trois, S'est réjoui Eduardo en adressant un sourire satisfait aux deux amants, une fois leur ami disparu. « J'ai bien une ou deux idées d'activités...
— Tu me connais, je dis rarement non à ce genre de proposition, Réplique Guilhem avec un mince sourire, lequel trahissait le contre-coup de la fatigue. « Mais j'ai une seule envie : retrouver notre hôtel, et prendre une douche.
— Un peu d'sueur me dérange pas, lorsque c'est toi, Argue le pirate en lui adressant une œillade, pivotant alors le menton vers Althea. « Et toi ma sirène, toujours pas tentée ?
— Ça ne serait pas très original, comme manière de se dire au revoir, Elude la vélane en glissant rapidement ses doigts sur la joue du corsaire, un vague sourire aux lèvres. « Merci pour tout Eduardo.
— Pas d'quoi. Passez-donc à Puerto Agustin, si vous vous ennuyez, Fait-il en glissant affectueusement son pouce sur la main de la jeune femme. « Sofia, Jérômine et les autres seraient contentes d'vous voir.
— On y pensera c'est promis.

Mais la vraie question était certainement de déterminer s'il y avait encore véritablement un « On », entre eux ; si les évènements passés n'avaient pas trop fragilisé leur équilibre pour qu'ils en restent encore certains – si le pronom n'en était pas devenu hypocrite, à leur égard.
Pour la première fois depuis longtemps, Guilhem n'était plus certain de rien.

Ils auraient pu faire tâche, dans le hall large de cet hôtel de la quatrième avenue ; avec leurs fripes sales et leurs cheveux poisseux, leurs mines fatiguées et leurs yeux cernés. Mais les gosses de riches  qu'ils étaient avaient cette capacité étonnante à paraitre royaux en toutes circonstances, même lorsqu'ils n'en avaient plus l'apparence. Sans doute en gardaient-ils tant bien que mal l'allure, si bien que la réceptionniste n'a jeté qu'un bref regard à leur dégaine avant de leur confier la clé de la chambre qu'ils avaient réservée. À travers les colonnes et les mosaïques, ils s'avancent pour grimper les escaliers en spirale, qui les mènent au premier étage ; et c'est dans le silence le plus total qu'ils progressent jusqu'à la porte numérotée, déverrouillée sans plus attendre.
La petite suite a des airs art déco, aussi grandiloquente que les américains savaient le faire ; sorte d'ameublement à la Fitzgerald, au sein duquel on aurait aisément pu imaginer un Gatsby évoluer, enchainer les coupes de champagne avec Daisy. La comparaison littéraire est cependant vite laissée sur le côté, lorsque le français tombe lourdement sur l'un des fauteuils pour se délester de ses souliers. Du coin de l'œil, il a vu la vélane s'approcher d'une petite coiffeuse aux ornements géométriques pour ôter les lourdes boucles d'oreilles qui pendaient contre son cou. Et il s'est demandé qui d'eux deux finirait par parler le premier : une chose à laquelle ni l'un ni l'autre ne souhaitait visiblement se risquer, tant la tension entre eux était palpable.
À dire vrai, il n'était même pas sûr de savoir quoi lui dire ; il ne savait même pas si elle avait l'intention de rester visiter la ville avec lui après s'être changée – comme ils avaient prévu de le faire avant que tout ne dérape. Mais surtout, il avait peur de le lui demander.

La sorcière n'a pas mis longtemps avant de disparaitre dans la salle de bain, le laissant seul dans le séjour de la suite. L'œil s'attarde quelques secondes sur la porte tout juste close, et un nouveau nœud se forme dans son ventre devant l'image de ce battant fermé ; sorte de symbolique imbécile qui ne pouvait que le heurter de plein fouet, et le rappeler à son désarroi.
Ses doigts se saisissent un à un des boutons de sa chemise, pour en dégager le tissu poisseux ; et tendis qu'il ouvre son étui à cigarette pour en coincer une entre ses lèvres, il s'approche du combiné de téléphone pour composer le numéro de la réception.

— Réception, comment puis-je vous aider ? A demandé une voix masculine à l'accent américain trainant.
— Ce serait pour commander deux petit-déjeuners, Fait-il à son tour en anglais, le téléphone coincé entre son oreille et son épaule alors qu'il allumait la cigarette. « Chambre 103.
— Petit-déjeuner français, anglais, ou américain ?
— Peu importe, Exhale t-il sur le ton de l'indifférence. « Merci.

Le combiné est reposé sans plus de cérémonie, et sa silhouette se déplace jusqu'à l'une des larges fenêtres de la suite, qu'il ouvre d'un mouvement de poignet. Un peu plus loin derrière lui, il entend le bruit de l'eau qui coule, à travers la porte close de la salle de bain ; sorte de rappel étrange de la présence de son amante – tout autant que de son absence. Les avant-bras s'appuient machinalement sur le balcon, alors que la posture s'incline légèrement vers l'avant pour observer le flot des passants dans la rue. Tous semblent vivre leur matinée avec simplicité, comme si la nuit dernière n'avait pas été un chaos sans nom, que sa vie à lui n'avait pas failli être détruite : une pensée qui lui semblait étrange, et à laquelle il avait de la difficulté à s'accoutumer.

La porte de la salle de bain grince pour s'ouvrir, et dans son dos, il entend le bruit feutré des pieds nus d'Althea sur le plancher. Entre ses doigts, la cigarette est presque entièrement consumée ; il la porte une dernière fois à ses lèvres avant de l'écraser sur le cendrier présent sur le balcon, puis quitte celui-ci pour se diriger vers la valise qu'il avait fait porter la veille dans la chambre. Quelques fripes en sont extirpées d'un geste hasardeux, et il s'enferme à son tour dans la salle d'eau encore embuée.
Là, entre les fines particules d'eau, le parfum d'Althea est partout ; odeur tout aussi familière et rassurante, que rappel de leur confrontation passée – et de celle qui suivrait inévitablement. Plongeant sans attendre sous les gerbes d'eau brûlante, il a alors laissé celle-ci détendre les muscles de son corps et vider son esprit, juste un temps, de ses pensées parasites.

Lorsqu'il est ressorti de la salle d'eau, il a aperçu la silhouette de la vélane face à la coiffeuse, s'appliquant visiblement à démêler les longs cheveux blonds qui tombaient sur ses épaules. Elle n'a tourné la tête vers lui qu'au moment où il l'a enfin interpellée – n'y tenant sans doute plus, dans ce mutisme partagé.

— Tu as faim ? Demande t-il simplement. « J'ai commandé le petit-déjeuner. Si jamais.

Elle l'a dévisagé une seconde avant d'acquiescer, et de retourner le menton vers son reflet dans la glace. Rien de plus. Et il s'est demandé ce qu'elle pouvait bien voir, dans le visage qu'elle observait sans discontinuer ; si elle tâchait de décrypter ses propres expressions, ses propres émotions, pour enfin parvenir à les comprendre. Peut-être aussi à prendre une décision à leur propos – ou plutôt au sien.
Il n'a pas eu le temps d'y songer davantage, puisque quelques coups ont résonné à la porte ; deux elfes sont alors apparus, portant deux lourds plateaux d'argents clochés, qu'ils se sont empressés de déposer sur la table basse du petit séjour, entre les sofas de velours. Après un remerciement machinal, les créatures s'éclipsent aussi vite qu'elles sont arrivées, laissant le fruit de leur travail embaumer la pièce d'une odeur d'œufs brouillés. Le fumet a sans doute dû arriver au museau de la vélane, puisqu'elle ne tarde pas à se laisser attirer par la perspective du petit-déjeuner tout juste servi, et à prendre place face à son amant sur l'une des deux causeuses brodées. Sans qu'ils n'aient à faire le moindre mouvement, la cafetière s'agite alors d'elle même pour servir les deux tasses, et les grains de raisin se détachent de leur grappe pour rejoindre l'assiette de la sorcière.  

— Qu'est ce qui s'est passé, cette nuit ? Finit-il par demander d'un ton prudent, alors qu'elle levait les yeux vers lui. « Tu disais que Eduardo t'avait tiré d'une mauvaise passe.

Elle a hoché la tête, et porté sa tasse de café à ses lèvres pour en boire une gorgée.

— J'ai fini par retrouver Bonnie, au Quai, Répond la jeune femme avec amertume. « Mais elle m'a clairement fait comprendre qu'elle n'avait que très peu d'estime pour les femmes comme moi, et qu'elle se fichait pas mal que tu puisses payer pour un crime que tu n'avais pas commis. J'ai insisté, et... Disons que ça a failli mal tourner.
— Elle t'a fait du mal ?
— Rien de dramatique.
— Althea...

Mais le regard qu'elle a posé sur lui l'a dissuadé de s'éterniser sur le sujet : il n'était pas en mesure de lui reprocher son impulsivité – pas cette fois, puisqu'il aurait été terriblement mal placé pour le faire. Alors il s'est tu, et a planté sa fourchette dans son assiette d'œufs.

— Je n'en reviens pas que je puisse être redevable à Félicie, Soupire t-elle avec lassitude, en croquant le bout d'une tartine de confiture.
— C'est moi qui lui suis redevable, Corrige t-il en lui jetant un regard. Pas toi.
— Sauf qu'elle n'en a rien à faire de toi, Rétorque t-elle en secouant la tête. « Tandis qu'elle ne se privera certainement pas pour me rappeler à l'avenir à quel point elle t'a sauvé la mise.

Il n'a rien trouvé à répondre au constat formulé par la vélane ; elle avait sans doute raison sur le sujet, et il savait à quel point elle avait en horreur tous les liens qui pouvaient être noués entre elle et sa sœur. En particulier lorsque les raisons de ceux-ci n'étaient pas pour l'arranger, et qu'ils auraient pu servir un chantage comme seule Félicie savait en fabriquer.
Au terme d'une nouvelle poignée de secondes silencieuses, Guilhem a alors redressé les yeux sur le visage de son amante pour observer celui-ci, les lèvres pincées, brûlant de la nécessité de formuler l'interrogation qui le taraudait depuis leur arrivée à l'hôtel.

— Est-ce que tu veux rester à New York, ou rentrer à Londres ? Finit-il par demander sans ciller.

Elle a semblé surprise de sa question. Pourtant, elle a pris plusieurs instants pour le dévisager avant d'affirmer quoi que ce soit – comme si la réponse n'était pas si évidente que ça.

— J'ai besoin de me changer les idées, Finit-elle par lâcher en décrochant son regard du sien pour plonger celui-ci dans le contenu de sa tasse. « Et je n'ai pas envie de quitter la ville en n'ayant fait qu'y courir et y fuir.
— Avec moi ?
— Oui.

Quelque chose s'est alors délié dans sa poitrine ; une sorte de soulagement profond, qui a suffi à annihiler une partie des tensions au creux de son ventre. Pourtant, il savait aussi que l'idée qu'elle puisse vouloir rester en sa compagnie n'était pas suffisante : car si leurs échanges restaient aussi tendus qu'ils ne l'étaient depuis le début de la matinée, sans doute préfèreraient-ils l'un et l'autre rester chacun de leur côté.

— D’accord, Opine t-il légèrement, avant de pincer légèrement les lèvres d'hésitation. « Mais Althea… Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée qu’on quitte cette chambre d’hôtel sans parler de ce qui se passe entre nous.

Le temps se fait alors flottant entre eux ; les yeux de la vélane sont papillonnants, ils peinent à se fixer sur un élément ou un autre plus d'une seconde. Surtout pas sur son visage à lui, malgré son obstination à lui faire face. Plus bas, il a vu les doigts fins de la jeune femme émietter la croûte d'une tartine, alors que sa bouche se plissait en une mimique amère.

— Guilhem, je n’ai pas envie de te mentir, Finit-elle par déclarer avec un soupir. Je suis toujours en colère contre toi pour ce que tu as fait. Et pour l’instant, je n’arrive pas à faire autrement, alors je ne sais pas non plus si c’est une bonne idée de revenir là-dessus.

Il a accusé le coup simplement, sans paraitre particulièrement surpris des propos énoncés : si ceux-ci lui serraient le cœur, la tension accumulée entre eux depuis leur arrivée dans la suite les soulignaient également avec une brutale évidence. Bien sûr, qu'elle lui en voulait ; et s'il peinait à saisir l'entièreté des raisons de sa rancœur – ou plutôt, de la profondeur de celle-ci – il refusait également de penser qu'il leur suffirait d'ignorer le problème pour que celui-ci s'éloigne. Il voulait la comprendre, Althea. La comprendre pour enfin combler la fissure qui s'était créée entre eux, et pour cesser de penser qu'elle puisse songer à ses actes avec mépris.
Il a opiné de la tête, baissant le menton vers sa fourchette qu'il a laissé jouer avec les derniers morceaux d'œufs brouillés dans son assiette.

— C’est pour ça qu’on s’est envoyés en l’air, tout à l’heure ? Demande t-il avec amertume. « Pour te faire oublier que tu m’en voulais ?

Elle a hoché la tête sans rien ajouter de plus ; mais l'affirmation était déjà suffisamment douloureuse pour être encaissée. Car l'idée en elle-même ne lui plaisait pas, lui paraissait viciée, tout à fait contraire à ce qu'ils étaient. Sans doute avait-il eu sensiblement la même sensation en Italie, après leur première nuit : lorsqu'il avait vainement pensé qu'une étreinte suffirait à stopper l'éloignement qui s'opérait entre eux, et qu'il s'était surpris à regretter d'y avoir cédé. À la différence qu'il ne ferait cette fois pas la bêtise de lui dire que c'était le cas – qu'il éprouvait quelques remords face à l'interlude charnel qu'ils avaient pu partager. Ça aurait été la blesser inutilement, et ils n'avaient pas besoin de se braquer encore davantage l'un avec l'autre.

— Althea, Reprend t-il avec un léger soupir, je préfère que tu me hurles dessus une bonne fois pour toutes plutôt que tu ravales ta colère, ou que tu couches avec moi par rancœur.
— D’accord, si c’est ce que tu veux, Réplique t-elle alors en redressant vivement les yeux vers lui –visiblement agacée du reproche qui se dessinait sous ses mots. « Je suis toujours hors de moi à l’idée que tu aies pu me voler ce libre-arbitre là. Je suis hors de moi, parce que je pensais que tu serais le seul qui n’aurait jamais la bêtise de le faire, parce que tu me connais, Guilhem. Je suis hors de moi, parce que pendant un moment, j’étais persuadée que j’allais te perdre, quoi qu’il arrive : soit parce que tu serais condamné, soit parce que même si tu finissais par être épargné, je ne pourrais plus jamais te faire réellement confiance. » Elle a marqué un temps de pause, durant lequel ni l'un ni l'autre n'a semblé ciller, et suite auquel sa voix a résonné de nouveau – plus rauque. « Pendant un moment, je t’ai perdu, Guilhem. Et c’est ta faute, et je te déteste pour ça. 


Et seulement à ce moment-là a t-il entraperçu la raison pour laquelle elle lui en voulait autant : ce n'était pas seulement pour ce qu'il avait fait, mais parce que ce qu'il avait fait l'obligeait à le considérer autrement, à remettre en question la confiance qu'elle avait péniblement construite à son égard – ainsi que toutes les autres certitudes à son sujet. Il ne l'avait pas seulement forcée à se faire victime esseulée, tout juste bonne à être sauvée par un stupide chevalier auto-proclamé ; il l'avait forcée à douter de ce qu'ils avaient mis tant de temps à tisser, qu'elle avait eu l'optimisme – ou la folie – de considérer comme acquis. Et sans doute cette chose-là était-elle la plus impardonnable d'entre toutes.
Il l'a dévisagée plusieurs instants, au terme desquels il a baissé le regard sur sa tasse de café, dont il a observé le contenu durant quelques secondes avant de se résoudre à répondre.

— Quand je me suis dénoncé, je savais que tu m’en voudrais à la mort, Commence t-il du bout de la voix. « Je savais même que tu n’aurais peut-être pas envie de me pardonner, que j’étais possiblement en train de condamner notre relation. Je ne voulais pas décider à ta place, je sais à quel point tu as besoin d’être maitresse de tes choix. Mais sur le moment j’ai paniqué, j’ai juste… Je me suis juste dit qu’il valait mieux moi que toi. Comme il aurait mieux valu moi que James, ou même que Félicie. » Sa voix s'affadit et sa posture se redresse légèrement, alors que ses doigts passent sur son visage avec lassitude. « Je sais que je n’ai pas le droit de penser comme ça, que ce n’est pas juste, mais...

Un souffle s'échappe alors d'entre ses lèvres, comme s'il avait dû se résigner à user des mots qu'il s'apprêtait à formuler, mais qu'il répugnait par avance à aborder le sujet. Il n'a cependant pas réussi à affronter le regard qu'elle appuyait sur son visage, préférant largement se perdre dans la contemplation du café noir, au fond de sa tasse.

— Mon père est venu me voir, quand j’étais en prison, Lâche t-il finalement d'une voix grise. Pour me dire qu’il me trouverait un avocat, histoire de limiter la casse pour l’image de la famille, mais surtout pour m’exprimer tout le bien qu’il pensait de moi. Il m’a expliqué que je n’étais déjà pas grand chose à ses yeux, mais qu’à partir de maintenant, je n’existerais plus du tout. Et ce n’était même pas une surprise, parce que c’était quelque chose que je savais déjà, à quel point je peux être insignifiant pour lui… Mais l’entendre de sa bouche, ça m’a juste rappelé à quel point il…

La voix s'éteint, avant même que la phrase ne se termine. Peut-être parce qu'il n'avait toujours pas les tripes de le dire, après toutes ces années : ça m'a juste rappelé à quel point il n'a jamais réussi à m'aimer.  
Y'a alors un sale sourire qui plisse la commissure de ses lèvres, sorte de mimique amère, remplie d'un humour cynique.

— Tu sais, j’ai toujours été persuadé que si on lui demandait un jour lequel de ses enfants méritait le plus de continuer à vivre, il n’hésiterait pas une seconde ; et je suis sûr qu’il n’hésiterait pas non plus si on me plaçait face à toi, James ou Hafsa. Face à n’importe qui. » Il serait toujours en bas de la liste. Et il le savait. « J’ai grandi avec cette idée, Thea, Achève t-il finalement en redressant les yeux vers elle. C’est difficile pour moi, de m’en détacher. 


La vélane n'a pas réagi immédiatement, observant chacun des traits de son visage avec attention ; mais une lueur différente avait pointé dans le creux de son regard à l'évocation de son père, et de leur relation. En silence, elle s'est alors levée pour rejoindre la place à ses côtés, sur le sofa qu'il occupait.

— Je croyais que tu te fichais de ce que disait ton père sur toi, Fait-elle du bout des lèvres.
— J’aimerais bien, crois-moi, Affirme t-il avec un pincement de lèvres. « Ce que je veux dire, c’est… Je n’ai pas fait ça parce que je pensais que je devais te sauver, ou que tu n’étais pas capable de le faire seule. Mais parce que quand on cherche quelqu’un à condamner, je ne sais pas comment faire, pour ne pas me désigner.

Il avait prononcé les derniers mots un peu plus bas, presque honteux de sa propre confession. Chaque mot était pourtant vrai, et il était lucide sur la question ; mais il n'aimait pas spécialement l'idée de donner dans le misérabilisme, ou qu'on puisse nourrir une forme de compassion complaisante à son égard. Sans doute qu'avec elle, les choses étaient différentes ; mais la gêne n'en restait pas moins présente.

— Tu dois apprendre, Guilhem, Soupire t-elle finalement en secouant la tête. « Parce que je ne peux pas être avec toi en ayant peur que tu joues les martyrs pour un oui ou pour un non, surtout quand tu es à des milliers de kilomètres de moi.
— Je sais. Mais tu auras toujours peur de ce que je fais, quand tu n’es pas là. Pas vrai ? » Il a redressé les yeux vers elle, et compris à l'expression de son visage qu'il avait touché un point juste. « Je ne peux pas te jurer que je ne ferais plus jamais une imbécilité pareille, Althea, Affirme t-il alors à contre-cœur. Mais je peux te promettre de tout faire pour ne plus te voler ton libre-arbitre.

La promesse en question – bien que tronquée – a semblé satisfaisante aux yeux de la vélane, qui a levé une main vers son visage, pour en frôler une mèche brune rebelle.

— C’est un début, Fait-elle d'une voix un peu radoucie.
— Tant que ce n’est pas une fin.

Lentement, elle a secoué la tête de gauche à droite, comme pour repousser l'idée que leur relation pourrait s'achever. Pas pour le moment, en tout cas : une perspective qui l'a un brin rassuré, et face à laquelle il s'est senti se détendre légèrement. Machinalement, il a alors glissé ses doigts contre le genou de la jeune femme, pour y exercer une pression affectueuse.

— Je suis désolée, pour ce que t’a dit ton père, Fait-elle alors, alors que ses phalanges rejoignaient sa main sur sa jambe. « Peut-être qu’en apprenant que tu es innocent… 

— Althea, c’est mon père, Objecte t-il d'un ton amer. Pour lui, je suis coupable depuis le jour de ma naissance, alors ce n’est pas un témoignage qui va changer grand chose.

Elle a semblé vouloir rétorquer quelque chose, puis a secoué la tête de résignation : car si elle ne connaissait pas Edgar comme lui, elle l'avait suffisamment fréquenté pour savoir qu'il s'agissait d'un homme borné et complexe, que peu de choses sur cette terre auraient pu faire changer d'avis. Encore moins lorsqu'il s'agissait de son fils.
La tête de la jeune femme est alors venue s'échouer contre son épaule, frôlant sa joue de ses cheveux encore humides.

— J’aimerais qu’il te voie comme je te vois, L'a t-il entendue prononcer.
— Beau à en mourir ? Doué comme personne, aux arts du plaisir ? 

— Non, espèce d’imbécile. Le rabroue t-elle en flanquant une petite tape sur son bras. « Comme quelqu’un qui évolue, qui se force à ne plus être le même d’un jour à l’autre, à être meilleur. » Elle s'est interrompue un instant, comme si elle avait cherché ses mots, et la manière la plus juste d'exprimer ce qu'elle avait en tête à son sujet. « Si n’importe qui d’autre me faisait la promesse de ne plus me blesser en me privant de ma liberté, je crois que je n’y croirais pas vraiment. Toi, je sais que tu es sincère, je sais au moins que tu essayeras. Parce que tu l’as déjà fait.

Un peu surpris par ses paroles, il a décalé sa tête pour jeter un coup d'œil à son visage, appuyé contre son épaule. Mais il n'a pas osé l'interrompre.

— Tu dis souvent que tu es égocentrique, et c’est peut-être vrai : mais tu n’es pas égoïste, Fait-elle simplement. « Tu te soucies des autres, Guilhem, plus que la plupart autour de toi. J’aimerais qu’il voit ça, tout ça.

Et il n'a pu faire autrement que de rester mutique, un peu imbécile face aux mots prononcés par son amante ; quelque chose dans sa poitrine et dans sa gorge s'était gonflé, pour empêcher toute parole de sa part. Mais cette fois, ce n'était pas du chagrin : c'était de la gratitude pure et simple.

— Mon ange, ce serait embêtant, Finit-il par articuler à mi-voix. Il risquerait de tomber amoureux, et c’est un risque qu’on veut éviter tous les deux. » Mais puisqu'il était conscient que cette note d'humour ne suffisait pas, il a levé les doigts vers son visage pour en caresser le menton du flanc de l'index. « Merci, Thea. 


En guise de réponse, elle a tendu le nez vers lui pour cueillir ses lèvres des siennes en un baiser simple. Et bêtement, à cet instant-là, il s'est senti terriblement chanceux.
Les bouches s'attardent une seconde encore l'une contre l'autre, taquinant avec tendresse la chair convoitée ; puis la silhouette de la vélane se redresse légèrement, pour tendre la main vers une nouvelle tartine de confiture.

— Quand est-ce que tu dois être de retour à Naples ? L'interroge t-elle alors en croquant dans celle-ci.
— Demain, au plus tard, Réplique t-il avec une mince grimace. Ils reprennent les entrainements aujourd’hui, et Toni va me tuer si j’en rate davantage.
— Oh.

La déception marquée de la sorcière lui a arraché un léger sourire, et il a levé une main vers elle pour dégager les cheveux humides de sa nuque.

— Est-ce que tu es jalouse d’Antonio ?
— Peut-être que je devrais, après tout : il te voit bien plus souvent que moi, Argue t-elle sur le ton du reproche en lui jetant un coup d'œil.
— Et parfois nu comme un ver, dans les vestiaires.

Elle a levé un sourcil.

— J’ose espérer que les choses s’arrêtent là.
— À mon grand désarroi, il est toujours obsédé par Vittoria.

La réplique a semblé faire naitre au pli de ses lèvres un sourire léger, signe que sa taquinerie avait fait mouche. Les tasses de café sont alors finies d'un geste, et tendis qu'elle se lève, Althea semble hésiter à ajouter quelque chose.

— Tu sais... Pour tout à l'heure, Fait-elle d'un ton précautionneux. « Ce n’était pas juste pour oublier que je t’en voulais. C’était pour oublier que je suis terrifiée de te perdre.

Ses yeux ont alors trouvé les siens, et il a opiné du chef – ne sachant trop comment accueillir la confession en question.

— Est-ce que ça a marché, au moins ?
— Pendant quelques minutes, oui. » Sa propre réplique lui a arraché un demi-sourire. « Tu sais très bien que tu es doué pour me faire perdre la tête.
— La prochaine fois que tu souhaites que je te fasse oublier ton nom, mon ange, contente-toi de demander. Tu sais que je suis toujours partant pour ces choses-là.

La vélane s'est alors éloignée de quelques pas, pour aller chercher une paire de souliers vernis qu'elle s'est appliquée à enfiler.

— Est-ce que tu as une idée de ce qu'il y a à visiter ? Interroge t-elle d'un ton léger.
— Je ne sais pas, je suppose qu'on peut demander à la réception, Hasarde t-il en se levant à son tour de la banquette. « Ou juste flâner.
— Flâner, ça me parait être une bonne idée.
— Et puis Harlem est juste à côté. » Il a marqué un temps de pause, détaillant la silhouette qu'elle déployait en se redressant du bord de lit où elle s'était assise. « Tu es ravissante, tu le sais ?
— Et le soleil se couche à l'Ouest, mon amour, Réplique t-elle avec malice, singeant l'une des répliques qu'ils avaient l'habitude de s'offrir.

L'air est doux, lorsqu'ils quittent le bâtiment de l'hôtel pour rejoindre la large artère de la quatrième avenue. Leur pas se fait hasardeux, bien plus léger qu'à leur arrivée ; les tracas ont tous été laissés aux portes de leur chambre, et s'ils sont sans doute tout à fait conscients que tout n'est pas réglé, le sujet a cependant assez été décortiqué pour qu'ils méritent de le laisser de côté pour le moment. Le long de leurs silhouettes, les doigts s'enlacent ; ils ont l'air de n'importe quel jeune couple d'amoureux, en voyage romantique dans les rues de la métropole. Et peut-être que l'idée en elle-même, si naïve soit-elle, a quelque chose d'apaisant – qu'ils peuvent enfiler les rôles en question, juste pour un temps.
Les rues droites les mènent peu à peu aux abords du parc Marcus Gravey, depuis lequel ils entendent chahuter des gamins ; au coin de celui-ci se dresse un kiosque à affiches, dont les publications se troublent et changent de couleurs à la seconde précise où ils passent devant – attirant alors leur attention. Le maléfice en question était un classique, dans les villes où moldus et sorciers se côtoyaient, et ainsi, les seconds avaient dû trouver des artifices pour profiter de l'espace public sans faire naitre le doute chez les premiers.
Sur le large panneau arrondi, un poster criard a semblé intéresser la vélane, qui s'en est approchée d'un pas léger.

— Le cirque Arcanus ! S'est-elle exclamée en pivotant les épaules vers son amant. « J'avais vu leur spectacle quand j'étais petite, quand ils étaient de passage à Lyon. Guilhem, il faut absolument qu'on y aille !
— Au cirque ? A t-il répété avec surprise, en observant l'affiche colorée dont les écriteaux se mouvaient légèrement contre le papier. « On est dans la ville de l'Empire State, de Harlem et de Soho, et tu veux aller au cirque ? » Il a marqué un temps de pause, suite auquel un petit rire a résonné au creux de sa gorge. « Très bien. Avec un peu de chance, peut-être qu'ils seront intéressés d'offrir un emploi à un homme à la main d'or.
— Ou à une ravissante vélane.

Il a levé un sourcil, pivotant le menton vers son amante.

— Pour qu'ils t'enferment dans une cage ? Je croyais que personne n'avait le droit de disposer de ta liberté.
— Touché, Reconnait-elle avec une grimace, reportant son attention sur l'affiche. « Ils disent que c'est au Zoo du Bronx.
— Ce n'est pas à côté, on ferait mieux d'appeler un taxi.

La baguette se lève sans plus de cérémonie, lançant une étincelle légère dans les airs ; une poignée de minutes plus tard, c'est une petite bécane tassée qui pile devant eux, ouvrant les portières arrières  en un bruit sourd de ressort. Les deux amants grimpent sans discuter, donnant l'adresse en question au chauffeur qui démarre en trombe.

— Je crois me rappeler qu'ils étaient passés à Paris, quand j'étais tout petit, Fait alors Guilhem à l'intention de la vélane à ses côtés. « Des dragons avaient été lâchés par erreur, et mis le feu à tout le chapiteau : ça avait fait la une, et terrifié ma mère. Il me semble que c'est pour ça, qu'ils ne nous ont jamais emmenés à n'importe quel autre cirque, plus tard.
— Alors tu n'as jamais eu le plaisir de voir un fou jouer avec un Manticore ? Comme je te plains, Taquine t-elle en lui jetant un coup d'œil.
— Ça ressemble à quelque chose que je pourrais tout à fait faire ivre, mon ange : si tu cherches à m'impressionner, trouve autre chose.
— Titus ne compte pas.
— Tu dis ça parce que Titus ne t'a jamais mordu, Objecte t-il.
— Parce qu'il n'a aucune raison de le faire, avec moi, Affirme t-elle avec orgueil. « D'ailleurs, j'ai l'impression qu'il n'est pas ravi de rentrer à Naples, et qu'il préfèrerait...
— Mon amour, pour l'équilibre de notre couple, ne t'engage pas sur ce terrain-là.

Ça lui a arraché un petit rire, à la sorcière ; une hilarité puérile qui l'aurait peut-être vaguement agacé une autre fois, mais qui lui a tiré un sourire un peu stupide. L'entendre rire lui faisait du bien : parce qu'il s'était dit un jour que tant qu'elle continuerait à le faire en sa compagnie, c'était qu'il y avait encore de l'espoir quelque part.
Le véhicule s'est alors stoppé, et une fois payé, les portières se sont ouvertes de concert pour les laisser descendre. Si les portes du parc ne laissaient deviner aucun cirque apparent, on entendait cependant déjà quelques bribes de musique et d'exclamations typiques. Visiblement hâtive, la vélane a enroulé ses doigts autour du poignet de son amant pour l'attirer à sa suite entre les grilles du square, suivant le brouhaha léger des célébrations ; et ils n'ont pas mis longtemps avant de se retrouver nez-à-nez avec les chapiteaux colorés, ainsi que la petite foule de passants et d'enfants qui chahutaient déjà à l'entrée, où brillaient les caractères d'une devise lumineuse : Cirque Arcanus, Musée des Curiosités Vivantes.

Althea Lovegood
Althea Lovegood
Admin

Onglet 1
Âge : 25
Occupation : Joaillière
Head : be a fool ⎯ althem 21c29054d0a8d9b604e39302a7641e83
Messages : 10
Date d'inscription : 26/03/2024
Onglet 2

   

stars, hide your fires
ft. guilhem verrier
28 avril 1949 ⎯ New york ; Cirque Arcanus, Musée des Curiosités Vivantes.

TW violence animale, sang


Guilhem et Althea sont bavards.

Oiseaux insatiables qui piaillent pour exprimer leurs émotions, leurs désirs, leurs idées — parfois bancales — ou bien leur attrait pour les histoires les plus rocambolesques. Ils usent des mots, manient les verbes et font danser les lettres avec l'habileté d’un équilibriste qui avancerait sur une corde tendue au-dessus du vide. Ils évoquent et se lancent au visage les émotions qui les dévorent, car les humeurs sont préférables à la discrétion d’un regard de travers. Tout du moins jusqu’à ce jour, et c’est cette singularité qui rend la situation dérangeante. Affreusement marquante. Lorsque Althea le regarde, elle ne parvient pas à trouver ses mots, ils lui échappent et la laissent là, possédée par une frustration qui vient ronger son cœur et y laisser les traces d’une aigreur apre. Si elle ne peut pas lui détailler la raison de sa colère, de sa rancune ou de la douleur insidieuse qui se glisse dans son ventre, comment peut-elle se libérer de ce qui l’étreint ? De cette noirceur qu’elle ressent à travers ses veines et qui s’étiole ; lave ardente qui brise les fondations bancales de ce qu’ils ont peiné à construire. Mais elle n’y parvient pas, parce que dans leur échange, elle a conscience d’une vérité plus cruelle encore : Guilhem ne peut pas la comprendre. Il ne peut comprendre ce que c’est de ne pas être libre, d’être enclavé par le contrat que son premier cri a signé à sa place et à la place de chaque femme. Si la richesse défait quelques crans de la laisse dorée autour de son cou, cette dernière continue pourtant de l’étouffer à chacun de ses pas. À chaque fois qu’elle décide que ce qu’on lui cède n’est pas assez et que la liberté qu’elle désire doit se faire sans restriction.


Mauvaise langue qu’elle est, car ils ont réussi à se parler, à émettre des sons qui sont venus panser certaines blessures. Ils sont parvenus à recouvrir les failles qui s’étaient étendues sous leur peau albâtre, avec des pansements qui suffisent pour l’instant ; jusqu’à ce qu’une averse vienne les décoller et déverser au sol ce qui reste à pourrir au fond d’eux. Dans les tréfonds de son cœur, Althea sait que ce n’est pas assez. Que ce ne sont que des choses qu’ils relèguent derrière le mur fragile de tout ce qu’ils régleront plus tard, un autre jour, durant une autre colère — ou une autre existence.


Mais pour le moment, le bruit qui s’échappe de la ville, le brouhaha continuel de la vie, a quelque chose d’apaisant, de suffisant, car il leur permet de combler les interstices de doute ainsi que les secondes où le temps leur a semblé plus assassin que d’ordinaire. S’ils n’en oublient pas la violence de leur nuit ni la brutalité de leurs échanges — de leurs silences étourdis —, ils en oublient au moins ce qui en reste. Ils laissent derrière les bâtiments qui défilent par la fenêtre du taxi ce qui les use encore, pour reprendre leurs us habituels. Leurs sourires, leurs étreintes, leurs effleurements passagers qui réduisent à néant les douleurs passées.


Devant leurs yeux, les contours du cirque se dessinent enfin.


Les couleurs ne sont plus grisâtres, noirâtres ou éteintes, elles ne se dévoilent plus dans des teintes cendrées, aussi sombres que les instants oubliés. Elles sont éclatantes, brillantes, elles viennent les frapper de leur éclat, de rouge, d’or et d’orange — de rires étourdissants et de voix d’enfants qui s’exclament, qui acclament ce que les deux amants ne peuvent pas encore apercevoir. Beauté solaire qui la frappe de plein fouet et qui trouve son écho dans les émotions qu’elle peut lire sur les traits de Guilhem à ses côtés. La splendeur du monde pourrait se dessiner sous ses yeux que rien ne saurait la distraire de l’émerveillement qu’il dévoile et de la pureté qui se dégage de son sourire. Sa main descend alors le long de son bras, s'égare jusqu’à ses doigts pour s’y mêler et l’entraîner à sa suite vers le guichet d’entrée.
Le cœur plus léger, libéré du poids qui refusait de la quitter.


L’homme qui se tient derrière le comptoir semble tout à fait normal ; tout du moins au premier abord, il est presque banal avec ses cheveux blanchâtres et sa barbe parsemée d’éclats gris. Seuls ses yeux ors créent une différence, un éclat qui captive la vélane et ôte à ses lèvres les mots dont elle sait pourtant user.


— Quatre pièces d’or par tête, Lâche l’homme d’une voix bourrue.


Althea sort les pièces de son sac pour les lui donner, mais à l’instant où elle recule sa main, les doigts de l’homme se referment sur son poignet. Ses lèvres s’étirent alors dans ce qu’elle suppose être un sourire — suppose, car la façon dont il dévoile ses dents aiguisées laisse également présager une menace silencieuse. L’étrangeté de son apparence fait alors planer un spectre de mauvais augure, et elle pourrait jurer que les filaments d’or se sont faits d’anilines quand l’homme reprend la parole d’une voix plus grave encore.


— Ne sortez pas du chemin, les âmes perdues ne sont pas facilement retrouvées par ici, Prévient-t-il, ponctuant ses mots par un ricanement rauque.


Avant qu’Althea ne puisse se défaire de la moiteur des doigts inconnus, ces derniers l’ont déjà libérée. L’homme a retrouvé son air vide à l’instant même où sa main se tend vers les personnes qui patientent derrière les amants, les incitant tous les deux à avancer et à rentrer dans le cirque. Alors, durant un instant, une seconde passagère, Althea ne bouge pas. Elle reste là, immobile, véritable statue de sel jusqu’à ce que Guilhem l’entraîne derrière lui à travers les allées ensorcelées. La vélane ne sait pas pourquoi les mots ont eu le pouvoir de la perturber. Peut-être parce qu’elle est lasse des aventures qui viennent déranger le peu de quiétude qu’ils peinent à retrouver. Peut-être parce que son esprit est fatigué des dangers qu’ils effleurent et qui les entraînent à leur suite.


Pourtant, bien vite, elle oublie, aussi bien les dents aiguisées que les mots qui ont été lâchés. Autour d’eux, New York n’est plus qu’un détail dont les contours ont été floutés. Masqués par la grandeur des chapiteaux. Le sol se dessine dans un chemin de pavés aux reflets brillants, aux éclats d’or et de diamants, d’illusions qui laissent croire à une certaine richesse quand tout s’efface aux yeux de ceux qui ont le malheur de s’abaisser à une observation plus attentive. L’illusion est pourtant suffisante pour retourner l’esprit et distraire le visiteur qui s’avance. Peu importe si les chapiteaux ne sont pas aussi immenses qu’ils le laissent présager, les multiples couleurs comblent les interstices de vide. Les bruits de la ville semblent si loin à présent que l’idée même d’être encore à New-York paraît absurde. Tout, des sons des voitures aux pas pressés des habitants, a été remplacé par des rires et par le brouhaha de créatures dissimulées derrière des voiles ; des portes de tissus qui s’ouvrent et se referment pour préserver certains mystères.


— Par où tu veux commencer ? Demande Guilhem, arrachant Althea à sa contemplation des lieux. « Je suis presque sûr d’avoir vu une nymphe là-bas, si jamais je peux…
— Idiot, L’interrompt Althea en levant ses yeux au ciel. « Méfie toi, j’ai vu quelques personnes regarder ta main avec intérêt, ils pourraient vouloir te garder et, cette fois, je ne ferais rien pour te sauver.
— Tu ne tiendrais même pas une journée.
— Avant de trouver une personne pour te remplacer ? Je n’ai besoin que de quelques heures, souviens-toi qu’Eduardo est en ville… Tout comme le frère de James.


Le sourire qu’elle lui offre est joueur, amusé ; peut-être même un peu cruel quand elle recule pour faire mine de s’éloigner. La vélane a dans les yeux cette lueur , celle qui se moque de faire manquer un battement au cœur de son amant. Peu importe son air agacé ainsi que la moue qu’il dévoile, elle ne se soucie guère de cette étincelle de jalousie qu’il ne parvient pas à dissimuler derrière la noirceur de ses iris. Mais quand Guilhem l’attire à lui et que ses bras retrouvent leur place autour de sa taille, le soupire qu’il arrache à Althea fait disparaître le subterfuge. L’air lui manque même lorsque leurs lèvres se rejoignent enfin et que le monde cesse d’exister pour ne les laisser que tous les deux ; tel des amants ivres de tous les baisers manqués.


Les doigts d’Althea se mêlent alors à ceux de Guilhem, ils s’enroulent pour l’entraîner à sa suite, rompant le charme de l’instant — ou l’envie naissante de laisser tomber le cirque pour d’autres activités. Pour tout avouer, elle n’a aucune idée d’où leurs pas vont les mener car chaque chapiteau l’appelle, mais c’est devant un plus petit, un plus modeste que ses pas s’arrêtent. Et c’est étrange, car elle ne l’avait pas remarqué quelques instants auparavant. Peut-être pourrait-elle même jurer qu’il n’y avait absolument rien à cet endroit, si ce n’est un vide, une terre aride désormais comblée par une tente aux reflets fanés par le soleil et les années — par l’ombre qui semble briser la clarté de l’espace.


— Une voyante, vraiment ? L’interroge Guilhem d’un air moqueur.
— Peut-être qu’elle va nous révéler le nom de mes futurs amants, Rétorque Althea.
— Tu veux dire, le nom de tes futures déceptions ?
— Tu crois qu’elle me dévoilera que mes jours se finiront dans les bras de Vittoria… Demande-t-elle avec un espoir surjoué, s’offrant un grognement de la part de Guilhem.
—  Je t’ai déjà dit qu’une histoire à trois ne me dérangerait pas ? Répond-t-il alors.
—  D’accord, oublie, Rétorque la vélane en levant les yeux au ciel. « Gardons la rupture pour la fin de la journée.


Si l’endroit semble l’appeler, la happer malgré son évidente volonté de s’en éloigner, elle a pourtant l’impression de devoir s’en arracher. Comme si chaque mètre instauré entre elle et ce lieu éveillait dans son ventre une douleur incongrue qui ne tirerait sa source d’aucune logique. Elle suit pourtant les pas de Guilhem jusqu’à une devanture plus accueillante, où les rires des enfants reprennent leurs droits et effacent le chapiteau usé — qu’elle jurerait voir disparaître lorsqu’elle lui offre un dernier regard. Quand ils écartent les rideaux de celui qu’ils s’apprêtent à visiter, l’intérieur ôte à leurs lèvres un soupir de surprise, il capture leur souffle dès l’instant où leurs yeux se perdent sur les arches de bois et les épais tissus indigos qui recouvrent le plafond.


Devant eux, deux silhouettes se dessinent, deux amants aux airs surpris qui esquissent un sourire en même temps que leur reflet. La galerie des glaces s’étend à perte de vue. C’est un mélange de miroirs et de vitres transparentes, véritable labyrinthe de corps inconnus plus lointains ou des images déformées de leur propre personne. Ces dernières se répètent dans un kaléidoscope de silhouettes qui se multiplient au gré de leurs mouvements ; à chaque angle sa forme, sa découpe dans ces faux portraits altérés par les lumières tamisées de l’endroit.


— Ne te perds pas, S’amuse Althea en libérant les doigts de Guilhem. « Tu serais capable de te laisser attirer par la beauté de ton propre reflet.




La vélane s’échappe alors en laissant glisser ses mains le long des vitres. Elle les effleure jusqu’à disparaître, telle la lumière qui s’échappe au fur et à mesure qu’ils s’éloignent de l’entrée, les laissant seuls avec les jeux d’éclats tamisés. Si aucun des deux ne parle, elle sait pourtant qu’il est toujours derrière elle, elle peut sentir le musc de son parfum, la chaleur de son souffle quand elle ralentit le pas et qu’il ose l’effleurer. Du bout de ses doigts, du bout de ses lèvres.


Tous les rires, tous les murmures et les voix qui résonnaient alors se sont effacés pour ne laisser que le bruit de leur respiration. Seuls au monde, une nouvelle fois. Ou peut-être seulement dans leur esprit qui parvient toujours à censurer ce qui les dérange.


— Regarde, Souffle Althea, juste avant de l’attirer vers l’un des miroirs. « Le miroir déforme notre apparence.  


Le reflet ne semble pas étrange, tout du moins dans un premier temps. Mais au fur et à mesure qu’ils l’observent, les détails changent. Leurs corps se modifient, leurs traits également pour laisser apparaître les signes du temps et les marques des années qu’ils n’ont pas encore vécues. Althea voit alors leurs cheveux blanchir, elle contemple les rides qui naissent sur ses traits ainsi que sur ceux de Guilhem. La barbe qu’il aborde aujourd’hui perd de sa noirceur. Les coins de ses yeux se froissent — à peine. Ses traits se transforment et la ressemblance avec son géniteur se fait alors si frappante qu’elle ne peut être niée ni ignorée. Peut-être est-ce précisément la raison pour laquelle elle peut apercevoir la faille dans l’expression de Guilhem, une fracture indistincte dans ce sourire qu’il tente, malgré tout, de conserver. De toutes les choses qui terrifient son amant, Althea a bien conscience que cette révélation est peut-être l’une des plus effrayantes. Comment accepter que l’on puisse ressembler à l’être qui nous brise ? À cet homme qui serait prêt à renoncer à son existence plutôt que d’accepter sa propre descendance ? Pourtant, Guilhem ne s’effondre pas devant ce regard éteint qui le fixe, il reste debout, il prétend, avec une facilité déconcertante que ça ne le touche pas, que ça ne fait que l’effleurer ; tel le doux contact d’une lame empoisonnée.


Mais Althea le connaît, elle le connaît assez pour voir son sourire qui s’effrite et le voile qui se dépose sur la noirceur de ses iris. C’est cette fadeur là qui montre qu’il est brisé et ce sont les cendres de son bonheur éteint qui poussent la vélane à l’arracher à la cruauté du reflet pour déposer ses lèvres contre les siennes. Avec douceur, avec lenteur, avec un simulacre de sourire qui trouve écho dans la bouche ridée du miroir. Elle tente de chasser la comparaison en occupant son esprit, en le distrayant de ses lèvres, de ses doigts qui remontent contre sa nuque, de la chaleur de son souffle qui se mêle au sien.


— Ce que je vois me plaît, Affirme-t-elle finalement dans un murmure. « Je crois que je peux encore rester avec toi quelques années.
— Est-ce que tu avoues que tu es avec moi uniquement pour mon physique ? Rétorque-t-il d’une voix à demi-éteinte. « Je m’en doutais, mais l’entendre me brise le cœur…
— Je reste aussi pour quelques-uns de tes talents, ne te rabaisse pas. Tu es très doué dans certains domaines, Débute-t-elle avant de se reculer, sans libérer l’étreinte de ses doigts. « Par exemple… Tu fais un café délicieux et tu es très doué sur un balais…
— Et entre tes draps, je suppose.
— Ne te surestime pas.


Un sourire, un échange de regard, et des mots qui glissent en silence pour panser les blessures les plus profondes. Elle n’a pas besoin des mots pour lui dire ce qu’elle pense, ni pour lui faire comprendre que pour elle il n’a rien de son géniteur. Peu importe à quel point cette vérité peut avoir ou non assez d’importance pour combler les lacunes d’un amour qui devrait lui être offert sans effort. Pourtant, elle pourrait faire l’effort de prononcer ce qu’elle ne dit pas, mais elle ne le fait pas. Non par désir de masquer ce qu’elle estime être la vérité, mais parce qu’elle a bien conscience que cela n’a d’utilité que s’il accepte de la croire ; et alors d’éteindre le feu ravageur qui consume son esprit.
Quand Guilhem avance, Althea recule. L’un face à l'autre, ils refusent de continuer à observer ce reflet qu’ils relèguent dans un coin de leur esprit. Enfermé à double tour derrière le voile des choses qu’ils ne veulent plus accepter. Pourquoi laisser exister les démons d’un avenir qu’ils ne connaissent pas encore ?


— Est-ce que tu penses qu’ils viendront nous chercher, si on ne ressort jamais de ce labyrinthe ? Demande Althea en s’adossant à une vitre. « James et Hafsa, je veux dire.
— Ils profiteront de quelques jours de tranquillité avant.


Les mots de Guilhem se meurent au creux de son cou, lorsque ses lèvres s’échouent contre son épiderme. Elle peut sentir la pression de son corps qui retrouve sa place contre le sien et la chaleur de son souffle qui éveille dans son esprit des pensées qui ne devraient pas avoir leur place à cet endroit. Il serait si simple alors de se laisser aller à l’appel de ses baisers, de succomber sous les doigts qu’il ose égarer le long de sa cuisse et qui remontent légèrement le bas de sa robe. Mais dans un soupir, à travers une légère pression, Althea le repousse avant de se retourner pour reprendre sa marche. Elle prétend ne pas sentir cette chaleur qui incendie le bas de son ventre et remercie alors la légère obscurité qui masque la rougeur de ses joues. Pourtant, rien ne peut dissimuler à Guilhem le léger changement dans le souffle de la vélane, ni le sourire qui naît sur ses lèvres quand elle s’en éloigne.


Les deux amants errent, ils hésitent à chaque détour, tâtonnent à la recherche de la sortie et ne laissent que quelques soupirs franchir le pas de leurs lèvres face à de nouvelles impasses. Certains miroirs leur dévoilent encore des images d’eux vieillissantes, le reflet de ce qu’ils ne veulent pas devenir ; de ce que Guilhem refuse d’être. Images dont elle le distrait chaque fois par des sourires, par des effleurements qui se font seulement du bout de ses doigts. Pour oublier que dans ses cauchemars, c’est la tête d’Edgar qu’il superpose à la sienne — douce tragédie que de devoir ressembler au monstre de ses nuits.
Devant-eux des enfants surgissent en riant, ils s’élancent, se cognant aux murs dans des éclats de rire qui résonnent et s’égarent à travers les étoiles au-dessus d’eux. Ils semblent d’ailleurs être plus doués pour trouver la sortie, car un des petits s’exclament qu’il a enfin réussi. Les deux amants n’ont alors plus qu’à suivre les voix aiguës pour laisser derrière eux la noirceur des lieux.


La douceur du soleil vient les cueillir lorsqu’ils franchissent enfin le pas du chapiteau, les laissant un instant hagard - le temps d’oublier les traits d’Edgar. Ils restent quelques secondes sans bouger, aveuglés par l’éclatante lumière qui contraste avec les lueurs tamisées du palais des miroirs. Pendant un temps, les deux amants ne parlent pas. Ils sont encore hantés par les images et les illusions du dernier palais, ils s’enferment dans un futur qui ne leur correspond pas assez pour qu’ils puissent s’en amuser ; où ne serait-ce que prétendre le faire. C’est finalement Althea qui est la première à sortir de ses pensées, distraite par le bras qu’il passe autour de ses épaules pour l’attirer contre lui.


— Tu penses qu’ils ont des dragons ici aussi ?
— Si on suit l’odeur de chair brûlée, je peux sûrement t’y conduire les yeux fermés.


Elle répond à ses mots par un rire et lentement, alors que les secondes passent et que les odeurs de sucreries parviennent jusqu’à eux, il naît sur les traits d’Althea un air apaisé. Les derniers stigmates de la nuit passée s’effacent pour laisser leur place à une douceur étrange. Ou simplement au besoin de ne plus penser à rien si ce n’est à eux.  


— Ils ont une bonne équipe de quidditch à New York ? Demande finalement Althea en détournant son regard vers l’un des stands, dont les sucreries semblent un peu trop vivantes pour éveiller son appétit.
— Ils ont une équipe, mais de là à dire qu’elle est bonne… Lâche Guilhem avec un rictus. « Pourquoi, tu veux apprendre à jouer ?
— Très drôle, Rétorque Althea avant de reprendre. « C’est juste que je me verrais bien vivre ici. Pas tout de suite, je sais que tu es bien en Italie, mais un jour.
— Tu veux vraiment vivre sous un chapiteau ? Demande alors son amant avec un air amusé. « On a déjà dit que tu ne supporterais pas la…
— Idiot, Souffle Althea en levant ses yeux au ciel avant de reporter son attention sur lui. « Je parlais de vivre à New York !
— Et Londres ? Demande-t-il après un court silence. « Et ta boutique ?
— Je pourrais installer une bijouterie ici et trouver quelqu’un qui travaillerait pour moi à Londres. Au moins ici personne ne saurait qui on est, jusqu’à ce que notre nom soit partout…


Guilhem acquiesce lentement sans pour autant prendre la parole. Il se terre dans un certain mutisme sibyllin, tandis que ses doigts effleurent le bras de la demi-vélane dans une douce caresse mécanique. Le silence qui s’installe a le don de faire baisser la tête à Althea. Il fait naître une sensation étrange dans le creux de son ventre, comme si l’idée évoquée devenait alors une obligation aux yeux de son amant. Une condamnation qu’elle aurait prononcé pour un futur ensemble, pour une vie qui serait bien loin de celle qu’il avait imaginée. Elle craint alors d’avoir brisé l’instant en lui imposant un avenir trop posé pour ceux qui ne prévoient rien, si ce n’est de ne pas se détacher. Les pensées d’Althea s’emballent, elles lui font imaginer le pire. Elle se dit alors qu’elle est bien stupide d’avoir évoqué ça, que si elle méprise cette vie qu’ils partagent actuellement, cette distance qui n’est jamais trop longue mais qui est suffisante pour qu’elle ressente le manque et que les matins sans lui soient des matins cendrés, lui se complaît peut-être dans leur éloignement.


Et elle revient cette boule noirâtre dans son ventre, elle s’installe et prend ses aises. Elle étend ses griffes et la poignarde en plein cœur. Elle a même l’audace de venir abimer son sourire. Croit-il alors qu’elle veut briser les ailes de sa liberté ?


— Nous sommes très bien comme nous sommes aujourd’hui, Reprend Althea, certainement un peu trop rapidement, dans l’espoir de ne pas laisser à Guilhem la possibilité de lui répondre. « Mon appartement et mes moments solitaires avec Titus sont certainement mes moments préférés, alors laisse tomber, ce n’était qu’une idée stupide.
— Althea…
— Regarde ! L’interrompt la vélane en l’entrainant vers un autre chapiteau, dont quelques grognements s’échappent. « Je suis certaine qu’ici on trouvera des dragons !


L’odeur qui se dégage, quand elle soulève le pan de velours, est assez forte pour les faire grimacer. Loin du soufre qui pourrait s’échapper des naseaux d’un dragon, les effluves ici laissent présager une créature plus sale encore. Ils continuent malgré tout d’avancer, laissant leurs yeux s’habituer à la noirceur de l’endroit. Au centre de la pièce, un homme est allongé ; il ne bouge pas vraiment, ou seulement pour repousser quelques moucherons qui ont l’audace de se déposer sur son corps. Son apparence rachitique arrache aux deux amants un froncement de sourcils, tandis qu’ils suivent le groupe devant eux pour faire le tour de la cage. Aucun des deux ne parle, ils se contentent d’observer l’individu sans trop comprendre la raison de sa présence ici.


C’est seulement quand une voix s’élève que la réalité vient les frapper.


— Bienvenue ! S’exclame un homme, doté d’un haut de forme rouge, d’une voix si forte qu’elle fait sursauter les quelques personnes présentes. « Bienvenue devant l’horreur incarnée, devant le monstre de vos cauchemars les plus profonds : Le malédictus ! Ne criez pas, car cela ne servira à rien, si le monstre s’échappe, il vous arrachera la gorge et étouffera le moindre de vos cris.


Les deux amants échangent alors un regard. Ils n’ont pas besoin de parler pour comprendre que ni l’un ni l’autre ne vont apprécier le spectacle qui va certainement se dérouler devant leurs yeux. Mais c’est un enfant qui parvient à distraire l’attention d’Althea, un qui s’amuse, qui laisse échapper quelques exclamations de bonheur devant les grognements sourds de l’homme allongé à même le sol. Le garçon tire la manche de sa mère pour lui faire remarquer que celui qu’il nomme monstre a une odeur affreuse et Althea serre ses poings.


Pourtant, elle voudrait que son visage reste stoïque, qu’il étouffe les marques de la colère elle éprouve devant cette scène, mais elle n’y parvient pas et quand elle s’assied aux côtés de Guilhem, la sensation de sa main sur sa cuisse ne calme en rien les battements erratiques de son coeur. Elle ne peut s’empêcher de penser aux vélanes, à elle-même, à ces personnes que l’on rejette ou dont l’on se sert avant de les abattre car elles ne sont que des créatures aux yeux des hommes et des femmes. Parce que dans leurs différences, ces êtres n’en deviennent que des choses dont on se moque, que l’on utilise et rejette car c’est plus simple et qu’importe si cela ôte aux tortionnaires et aux spectateurs les dernières traces de leur humanité. Le bourdonnement qui résonne dans ses oreilles étouffe les cris et les rires, les applaudissements ne sont plus qu’un fond sonore quand l’homme dans la cage s’agite, que son corps se tord — que sa douleur défigure ses traits abîmés par des années de souffrance. Althea n’entend rien, elle ne voit rien, elle ne saisit que les craquements de ses articulations et les râles qu’il laisse échapper et qui se mêlent au bonheur des autres. Brouhaha cruel et malsain qui éclate alors, et Althea, elle, parvient à peine à respirer tant la pression autour de son cœur se fait plus forte.

Le râle devient soudainement rugissement, grognement bestial qui s’échappe de la bouche d’un ours immense et pourtant si maigre qu’il en perd de sa stature. Seuls ses yeux gardent la trace de l’homme qu’il était, mais cette lueur s’échappe à l’instant même où l’ours se jette contre le métal de sa cage, ne faisant que trembler légèrement les barreaux.


— Observez le monstre ! Rugit l’homme en dehors de la cage. « Observez la lueur meurtrière dans ses yeux et espérez qu’il ne s’échappe pas car il vous déchirerait entre ses griffes !


Le bruit sourd du fouet qui s’abat contre les barreaux fait sursauter Althea. Il la sort de cette transe dans laquelle elle s’était plongée et l’incite à se redresser, au même moment que Guilhem. Lui-même n’a aucune trace de sourire sur ses lèvres, il observe Althea avec attention, comme s’il n’attendait qu’un seul mot de sa part pour la faire sortir de cet enfer, mais elle ne parvient pas à parler. Tout ce qu’elle ressent, c’est cette nausée et cette rage qui lui retournent le ventre.


— On y va, viens, Fait-il finalement en glissant sa main dans la sienne


Autour des doigts de son amant, l’étreinte d’Althea se fait plus forte lorsqu’un nouveau coup de fouet se mêle aux rugissements et à la douleur de l’homme, qui tente alors de briser les barreaux. Elle essaie pourtant d’éteindre ce qui l’étouffe, de faire taire son envie de briser la main qui fait claquer le fouet, d’arracher cette langue qui répète en boucle le même mot, encore et encore, dans une cruelle mélopée ; monstre, monstre, monstre.


Althea ne parvient pas à expliquer ce qu’elle ressent alors. Elle peut presque prétendre à une absence ou à une colère si sombre qu’elle a pris le pas sur ses pensées et sur le mouvement de ses doigts. Elle ne sait pas à quel moment elle a sorti sa baguette, ni encore pourquoi elle l’a levée. Elle a seulement conscience de la froideur du bois dans sa main et de sa volonté de tout détruire. Elle n’est même pas certaine que Guilhem ait remarqué la variation dans son regard, cette lueur qui a vacillé pour ne laisser place qu’à une colère froide.


À une explosion de rage.


À une explosion tout court car les barreaux se brisent dans des éclats argentés, ôtant à chaque personne dans le chapiteau le moindre brin d’air. Seule la colère de l’homme qui s’avance vers elle lui parvient, juste avant que les cris ne résonnent. L’ours n’a mis qu’un instant avant de repérer la sortie, juste autant de secondes que les visiteurs avant de comprendre le danger qui règne désormais. Même Althea n’a pas tout de suite réalisé qu’elle était la cause du capharnaüm autour d’elle. Elle est restée là, la main de Guilhem dans la sienne, à observer l’ours, à se perdre dans la contemplation de ses griffes, de ses dents trop longues qu’il dévoile dans un grognement sourd.


C’est seulement lorsque Guilhem l’attire brusquement en arrière et qu’elle sent les griffes de la bête effleurer son bras qu’elle sort de sa torpeur, et qu’elle réalise alors que dans les yeux de l’homme l’humanité s’est éteinte, ne laissant plus qu’un vide abyssale. L’ours ne s’attarde pas sur eux, bien vite il se détourne pour se jeter sur le présentateur, dont le torse prend la même teinte carmine que son chapeau lorsque les crocs lui déchirent la chair. Peut-être que Althea devrait ressentir une certaine culpabilité, se sentir mal pour l’homme qui pourrait mourir par sa faute, mais tout ce qu’elle ressent, c’est un vide face à l’image sanglante qui se dévoile sous leurs yeux — juste avant que Guilhem ne l'entraîne vers la sortie.

En dehors du chapiteau, la rumeur se propage. Ils peuvent l’entendre rugir lorsqu’ils se fondent dans la foule pour sortir de l’enfer aux effluves de sang et de mort. Althea ne peut s’empêcher de maudir leurs cris apeurés, ainsi que la panique que fait naître la liberté de celui dont ils se moquaient, à peine une poignée de minutes plus tôt.

Un groupe d’employés du cirque ne tarde pas à intervenir, ils s’élancent en sens inverse des spectateurs qui cherchent à s’enfuir ; ils bousculent les deux amants sur leur passage, sans les voir, trop occupés par l’urgence de la cage déchirée et de l’homme qui se vide de son sang. Peut-être que Guilhem et Althea pensent pouvoir profiter du chaos pour quitter les lieux sans se faire voir, coupables qui s’évadent sans payer le prix des conséquences de leurs actes, mais la voix de l’une des employés s’élève brusquement dans leur dos.


— Arrêtez-vous !


Les deux fautifs n’ont besoin que d’un regard pour s’élancer, non pas vers la voix mais dans l’autre sens, dans l’espoir de semer celui qui tente de les rattraper. Le dédale de chapiteaux se transforme alors en un parfait labyrinthe à travers lequel ils essayent de se dissimuler, de fuir le martèlement des pas derrière eux. Peu importe les menaces énoncées par le guichetier à l’entrée, ils s’éloignent tous les deux des pierres du chemin principal pour se fondre dans les coulisses d’un autre monde. Jusqu’à ce qu’elle le remarque. Cet étrange chapiteau délabré, usé par le soleil et les années. Lui revient alors cet étrange attrait qui lui fait oublier, l’espace d’un instant, qu’ils sont pourchassés.


S’il semble étrange de vouloir s’enfermer dans un lieu clos ou même de ne pas chercher à sortir du cirque pour se fondre dans les rues de la ville, les deux amants se figent devant l’entrée. Ils s’arrêtent devant cette toile qui s’agite malgré l’absence de vent autour d’eux. Peut-être devraient-ils alors réfléchir avant d’écouter ce besoin soudain qu’ils ont de rentrer dans ce chapiteau, peut-être qu’ils devraient avoir tous les deux conscience que la noirceur qui s’en dégage ne devrait pas les captiver à ce point. Pourtant, ils ne semblent pas aptes à réfléchir. Et c’est ensemble qu’ils se glissent à l’intérieur, sans même jeter un coup d'œil derrière eux.


L’intérieur semble désert, comblé uniquement par une fumée opaque qui dissimule à leurs yeux curieux ce qui les entoure. Même les quelques bougies qui tentent vainement d’apporter un peu de lumière ne semblent pas assez fortes pour réussir à exister dans cette ambiance étrange, comme si les ombres étaient ici assez vivantes pour dévorer la moindre étincelle, la moindre lueur.


Entre Althea, viens affronter tes peurs les plus profondes.


La voix qui résonne ne se fait pas entendre dans la pièce, non, elle résonne dans la tête d’Althea, comme si ses propres pensées se revêtaient d’une tonalité différente. Celle d’une voix étrangère, dont la douceur laisse percer une pointe de dangerosité qui incite la française à reculer d’un pas.


— Tu as entendu ? Murmure-t-elle en se tournant vers Guilhem.
— Comment est-ce qu’elle peut connaître mon nom ? Lui répond-il alors.


Ce simple détail aurait certainement suffi à faire fuir les âmes les plus braves. Mais pas Althea, ni Guilhem. Braveté ou stupidité, la frontière est souvent bien trop fine pour qu’ils ne puissent discerner ce qui les pousse à toujours prendre des décisions irréfléchies quand ils sont ensemble. Contrarier les mauvaises personnes, libérer des êtres dangereux ou, comme à cet instant, s’avancer vers le fond d’une pièce étrange. En direction d’une porte au bois si sombre qu’ils ne l’avaient pas vu en entrant, simplement car une voix dans leur tête leur a demandé de le faire. Sans un mot, Althea pousse alors la porte, suivie de près par Guilhem. Le bruit de leurs pas résonne au-milieu de l’étrangeté des lieux tandis qu’ils s’avancent lentement, à la recherche d’une présence autre que la leur. Mais il fait trop sombre pour qu’ils ne puissent discerner quoi que ce soit. Peut-être est-ce alors ce qui les pousse à se retourner vers la sortie ; à enfin renoncer à leur quête idiote.
La porte qui se referme brutalement met fin à leur tentative de repli. Elle les plonge alors entièrement dans le noir : il n’y a plus de bougie, plus d’étincelles, plus de bruit. Seules les ombres les entourent. Même leur souffle court semble s’éteindre et, quand Althea se recule, elle ne sent plus rien. Ni rideau, ni bois, ni même le corps de son amant qui devrait pourtant se trouver près d’elle.


— Guilhem…? Demande Althea d’une voix hésitante.
— Je suis là, Répond-il dans un souffle.


Alors que la voix de Guilhem devrait résonner à ses côtés, elle rebondit plutôt en échos - comme si elle venait de partout et de nul part en même temps.


— Ne craignez rien, vous êtes en sécurité, Murmure une voix féminine à l’oreille d’Althea. Ils ne vous trouveront pas ici.


D’un mouvement brusque, la vélane se retourne alors, balayant l’air de sa main dans l’espoir de saisir l’inconnue qui se joue d’eux. Mais ses doigts ne rencontrent que du vide.


— Ici ne viennent que ceux qui cherchent des réponses, Reprend la femme d’une voix plus lointaine. « Cet endroit est pour ceux qui ont le cœur faible ou celles qui le laissent se faire dévorer par les doutes.
— On n’est pas là pour ça, Lâche la voix Guilhem toujours trop lointaine, poussant Althea à avancer à tâtons dans sa direction. « Mais c’est gentil de proposer.
— Ne me mentez pas, je vois ce que vous avez dans le cœur, S’amuse l’inconnue. « Je vois vos doutes, vos questions… Même vos secrets.
— Ce numéro est ridicule, S’agace Althea en continuant d’avancer dans la pièce, convaincue qu’elle finirait bien par trouver une lumière ou la présence de celle qui se joue d’eux. « Dîtes-nous combien vous voulez et laissez nous partir.
— L’or ne m’intéresse pas.
— L’or intéresse tout le monde, Rétorque tranquillement Guilhem, quelque part dans le dos d’Althea, avant d’ajouter avec un rire moqueur. « Ou peut-être que vous voulez… notre âme ?
— Ce que je veux est beaucoup plus simple, S’amuse la voix chantante. « On va faire un marché. Je vous montre votre avenir, du moins l’un de vos avenirs potentiels, et en échange vous me devrez un service.
—  Lequel ?
—  Hm, je ne sais pas encore. Je vous le ferai savoir quand l’heure sera venue.
— Pitié, on ne peut pas juste sortir d’ici ? Souffle Althea, exaspérée.
— Vous pouvez, mais dans ce cas là vous vous ferez arrêter et votre seul avenir sera derrière les barreaux d’une prison miteuse… Soupire la femme avant de reprendre d’une voix plus joviale : « Mais si vous acceptez mon marché, je vous ferais revenir dans le temps, juste avant votre petit accident avec notre ami l’ours.


Ni l’un ni l’autre ne semble oser prendre la parole en premier. Ils laissent tous les deux les secondes défiler, pour réfléchir à la réponse qu’ils devraient accorder à l’inconnue — ou simplement pour ne pas être le premier à imposer sa décision à l’autre.


— Très bien, si ça vous amuse, soupire finalement la demi-vélane.


L’idée est stupide. Althea sait pourtant que se perdre dans des futurs hypothétiques peut être plus dangereux encore que d’affronter l’inconnu des jours à venir. Mais étrangement, au fond de son cœur, elle ne peut s’empêcher de le vouloir. D’espérer voir un futur qui lui offrirait ce qu’elle désire. Ne serait-ce que pour cesser, enfin, d’avoir peur que leur histoire ne soit qu’une vague passagère destinée à ruiner leur existence.


Mais avant qu’elle ne puisse réfléchir au bien fondé de ce qu’ils ont accepté, une lumière naît devant elle, une lueur étrange, d’un gris perle qui dévoile les contours de Guilhem à ses côtés ; comme s’il ne l’avait jamais quittée. Autour d’eux apparaissent les détails des murs qui les entourent, mais il n’y a personne avec eux. Il n’y a plus non plus de porte par laquelle s’échapper. Ils prennent alors conscience qu’ils n’ont pas le choix et dans un mouvement commun, ils avancent leurs mains vers le globe lumineux. Un nouveau voile s’abat sur eux ; tout se trouble, comme si l’image n’était plus tout à fait nette. Exactement comme s’ils sombraient à l’intérieur d’une Pensine.


Et la douleur est soudaine.


Elle est violente et remonte dans le bras d’Althea, dans sa poitrine. Dans le creux de son ventre. Elle explose, la poussant à fermer les yeux et à se plier en deux. Elle peut sentir la main de Guilhem qui s’empare d’elle, elle peut sentir son odeur qui emplit l’espace. Et puis le vide.


Le vide avant la lumière.


Avant l’éclat du soleil qui vient frapper ses paupières closes, et le brouhaha de la ville qui résonne soudain autour d’eux.

Guilhem Verrier
Guilhem Verrier
Admin

Onglet 1
Âge : vingt-sept ans.
Occupation : poursuiveur tête-brûlée de l'équipe des Vivets de Naples ; la célébrité à laquelle il regoûte avec une forme d'ivresse, après avoir pensé celle-ci définitivement éloignée.
Head : be a fool ⎯ althem Qmtp
Habitation : rues ensoleillées d'un Naples où il apprend à se reconstruire depuis plusieurs mois, loin du Paris mortifère dont il avait fait son propre enfer.
Messages : 14
Date d'inscription : 26/03/2024
Onglet 2

   

stars, hide your fires
ft. Althea Lovegood
28 AVRIL 1949 ⎯ NEW YORK ; METROPOLITAN MUSEUM OF ART

TW mention de discrimination.

Il avait sûrement été naïf de leur part de croire à la possibilité d'un interlude emprunt de légèreté après les précédents évènements. De songer une seconde qu'il leur serait possible de parcourir la cité new-yorkaise sans interruption ni débordement, comme s'ils n'avaient été que les simples touristes qu'ils avaient prévu d'être. Ironiquement, les mots prononcés par Hafsa au moment de prendre congé d'eux – si désinvoltes avaient-ils pu être à ce moment-là – s'étaient enduits d'une réalité cruelle lorsqu'ils s'étaient échappés de ce chapiteau à toute allure, poursuivis par cette flopée de voix qui leur ordonnait de se stopper. À croire qu'il leur était pathologiquement impossible de profiter du moindre calme quelque part, sans déclencher un cataclysme – dont ils ne se dépêtreraient finalement qu'avec une chance inouïe. Une réflexion que Guilhem aurait pu avoir s'il n'avait pas été préoccupé par le marché proposé par la voix étrange, qui résonnait dans l'obscurité englobante.
Ce n'était pas tant la proposition, qui l'inquiétait – puisqu'il ne voyait pas bien ce qu'une petite vision d'un futur hypothétique pouvait avoir de terrifiant – mais plutôt les tenants et aboutissants de celle-ci. Il avait été élevé chez les Verrier, dans une société guidé par la mercantilisation de toute chose ; ainsi, toute offre devait profiter en premier lieu à celui ou celle qui la proposait. C'était la règle la plus basique qui soit – à moins d'une générosité gratuite qui n'avait sans doute pas sa place ici. Or, il peinait à saisir ce qui serait profitable à l'entité en question, dans le fait de leur offrir le visionnage de ce qui serait, ou ne serait pas. Il peinait à comprendre la raison de son insistance, jusqu'à leur donner les clefs du sauvetage tant espéré – la fin d'une énième fuite qui ne les aurait ironiquement menés qu'à la geôle qu'ils avaient évitée de justesse.
Mais sans doute ne fallait-il pas réfléchir autant ; ou plutôt, qu'ils n'aient pas eu réellement le choix. En l'absence du moindre indice sur l'identité – ou la nature – de l'être qui leur parlait, ils n'auraient formulé des hypothèses qu'à tâtons ; les esprits moqueurs existaient, et certains d'entre eux ne trouvaient de gratification que dans le tourment léger de celles et ceux qu'ils piégeaient. Peut-être était-ce la seule justification à trouver dans ce petit manège ; et ainsi, Guilhem n'a pas jugé utile de contredire la vélane, lorsqu'elle a fini par accepter le marché.

Aussitôt les mots prononcés, c'est une lumière violente qui nait devant eux, prenant genèse dans la formation d'une sphère étrange et mouvante, dessinant les contours vides des formes qui les entourent. D'abord fasciné par le phénomène en question, le poursuiveur se trouve frappé par une douleur vive dans le crâne – sorte d'écho intérieur, un peu comme si une bulle de savon y avait explosé, se répercutant sur chacune des parois de celui-ci. À ses côtés, il a vu Althea se plier en deux, et instinctivement, il a voulu tendre la main vers elle, se saisir du poignet qui pendait à ses côtés ; car peu importe l'endroit où on les emmènerait, il ne voulait pas prendre le risque de s'y rendre sans elle. Il avait suffisamment été seul ces dernières heures – physiquement, ou métaphoriquement. Peu importe ce qu'ils vivraient : ce serait à deux.

La lumière s'est dissipée ; la douleur dans son crâne aussi. Et alors que les paupières clignent, que les prunelles papillonnent, il reconnait autour de lui le fourmillement familier de la rue Beauxpois. Difficile de déterminer à quel point ils pouvaient se trouver dans un futur éloigné ; il avait quitté Paris depuis quelques temps maintenant, si bien qu'il n'aurait pu déterminer si les changements d'enseignes commerciales qu'il reconnaissait avaient déjà été d'actualité. Machinalement, il a baissé les yeux sur ses mains, qu'il a vaguement remué pour en déterminer la tangibilité ; il avait conscience de son propre corps, sentait même l'odeur du pain chaud, en provenance de la boulangerie d'à côté. En revanche, lorsqu'un passant s'est dirigé vers lui d'un pas vif pour traverser la rue, il a eu un mouvement de réflexe pour l'éviter – un peu trop lent ; et s'il y aurait dû y avoir collision, il n'en fut rien. Le sorcier l'a bêtement traversé, sans paraître remarquer le début d'une quelconque présence de sa part.
D'un automatisme léger, ses prunelles se sont alors déplacées vers Althea un peu plus loin, laquelle venait visiblement d'être témoin du même évènement avec le passant. Lorsqu'elle s'est dirigée vers lui, il a tendu la main vers sa silhouette, mimant de glisser ses doigts sur les quelques mèches qui ondulaient contre sa joue. Mais il n'a pas eu le privilège d'en sentir la douceur – et laissé son bras retomber avec une moue déçue.

— Par pitié, j'espère que l'expérience ne durera pas trop longtemps, Fait-il avec une aigreur feinte. Être témoin d'horreurs futures passe encore : mais ne pas pouvoir te toucher en est une autre.
— Qui qu'elle soit, celle qui nous a envoyés ici te connait déjà bien, Réplique son amante avec un mince sourire espiègle. Elle devait savoir que si elle te laissait l'occasion de m'approcher, tu serais incapable de te concentrer.
— Et Merlin sait à quel point j'aimerais pouvoir protester, Achève t-il en détournant le regard de son amante pour balayer la rue.

Non loin, il repère alors un petit kiosque à journaux circulaire, aux affiches animées par des gros titres tapageurs auxquels il ne prête qu'une attention distraite – à l'exception d'un. S'approchant de celui-ci d'un pas tranquille, il a ainsi pu lire convenablement la une qui l'intéressait, illustrée du dessin d'un balai en chute libre. « Défaite cuisante des Météores, à la Coupe d'Europe de Quidditch ». L'énoncé lui a arraché un bref sourire – nullement par cruauté, mais plutôt rassuré de voir un nom qu'il connaissait.

— Visiblement, ils ne se sont toujours pas remis de ne plus m'avoir dans leurs rangs, Commente t-il vaguement à l'attention d'Althea, laquelle s'était déplacée à ses côtés.
— Ou peut-être qu'au contraire, ils ont eu la stupidité de te nommer capitaine, Réplique t-elle avec légèreté. Le match se passait à merveille, mais tu m'as aperçue sur les gradins et... » La vélane ponctue l'histoire d'un soupir, secoue la tête avec un dépit mimé. « ... Patatras. La seconde d'inattention de trop, tu n'as pas vu le joueur qui te fonçait dessus.
— Mon ange, je suis amoureux, pas aveugle. Encore moins stupide, La réprimande t-il en fronçant légèrement les sourcils.
— Selon les adages, il parait que la première caractéristique est vectrice des deux autres.
— Petite arrogante.

D'un geste, il a alors levé le nez vers l'en-tête de l'affiche en question, à l'endroit où était imprimée la date du jour. Et si celle-ci ne l'a pas surpris – puisqu'il ne s'était attendu à rien à ce sujet – il s'est malgré tout senti désarçonné en prenant conscience de ce qu'elle représentait.

— 17 avril 1958, Fait-il à mi-voix. C'est dans presque dix ans.
— Oh... Guilhem, regarde. C'est...

Et si elle avait fait mine de tendre la main vers son épaule pour l'interpeller – oubliant que ses doigts ne pourraient que piteusement traverser sa manche de manteau – le poursuiveur a malgré tout réagi au son de sa voix, pivotant le buste pour suivre son regard. Une voiture élégante et moderne venait de se garer, tout à fait en bas de ce qu'il reconnaissait comme l'immeuble de ses parents. Une longue silhouette s'en est alors extirpée, de cheveux noirs coupés courts et de costume bleu nuit. Et si le doute aurait été permis à cette distance sur l'identité de celui qui venait de descendre du véhicule, celui-ci est immédiatement balayé lorsqu'un éclat se fait remarquer au bout de son bras – l'aspect d'une main de métal doré, à la brillance tapageuse. Machinalement, ce sont alors ses propres doigts qui frémissent – réagissant par instinct à l'exercice de se voir lui-même, un peu plus loin.

— Tu as coupé tes cheveux, Constate Althea avec une pointe de déception. Pourquoi ?
— Aucune idée. Je devais en avoir assez de te voir t'y agripper quand...
— Imbécile. » Coupe t-elle avec un demi-sourire, inclinant la tête sur le côté pour observer la silhouette de l'autre-lui. « Encore une fois, visiblement tu n'as pas si mal vieilli.
— Je te remercie mon ange, mais si tu as fini de complimenter mes rides, qu'est-ce que tu dirais de le suivre ? Parce que j'ai un peu de mal à imaginer la raison pour laquelle je pourrais encore me fendre de repas dominicaux chez mes parents.

Et c'était encore plus vrai depuis les évènements de la veille – la visite de son père dont il gardait encore un souvenir cuisant dans la poitrine. Quant à sa mère, s'il ne doutait pas qu'elle recevrait bientôt la nouvelle de son innocence, il ne pouvait s'empêcher de rester blessé par l'idée qu'elle ait pu le croire coupable, ne serait-ce qu'une seconde. Alors au delà de l'écorchure en question, il ne voyait pas vraiment de raison pour laquelle il aurait pu soudainement se rapprocher d'eux – même en une dizaine d'années.
La jeune vélane a alors acquiescé d'un mouvement de tête, sans doute aussi curieuse que lui à l'idée de se faire spectatrice discrète du spectacle en question ; leurs deux silhouettes ont alors traversé la rue, pour s'engouffrer à la suite de l'autre Guilhem dans le hall richement orné de l'immeuble. Celui-ci n'avait pratiquement pas changé : quelques rénovations semblaient avoir été effectuées sur les moulures des escaliers, et le chandelier de cristal remplacé par un nouveau. Mais l'odeur était la même que celle de son enfance – celle de la sauge toujours dispersée par la gardienne depuis sa loge. Au premier étage, ils ont tout juste eu le temps de se faufiler dans l'embrasure de la porte d'entrée de l'appartement avant que celle-ci ne se referme ; et ce n'est qu'une fois arrivé dans le corridor, que Guilhem constate les premiers changements. La décoration avait changé, plus moderne – épousant une mode qui n'existait sans doute pas encore de leur temps – et une grande partie du mobilier avait été remplacé par un autre, ce qu'il a observé avec étonnement. L'autre Lui avait eu le temps de traverser le petit hall d'entrée pour s'avancer, à en juger par les voix indistinctes qui parvenaient déjà du séjour ; et c'est d'un pas presque précautionneux que les deux amants s'avancent alors vers ce dernier, comme s'ils avaient bêtement craint de se faire repérer.

Le tableau qui les attend est à la fois fantasque et familier. Il y a d'abord Adélaïde, vêtue d'un tailleur pantalon à la moldu, qui enlace son frère d'une accolade tendre. Un peu plus loin, c'est une autre Althea qui se tient, plus distante ; négligemment assise sur l'un des sofas, elle a coupé ses cheveux juste en dessous du menton, et observe la scène avec une rigidité qu'il ne parvient d'abord pas à comprendre. Car si les yeux de la vélane sont fixés sur les deux silhouettes fraternelles, ils sont accusateurs, et la mine agacée.

— Je ne savais pas que tu devais venir, Remarque t-elle en détachant soigneusement ses syllabes, s'adressant visiblement à Guilhem.
— Disons que j'ai pu me libérer, Prétend l'intéressé en se détachant de l'étreinte de sa sœur. Je n'allais quand même pas manquer l'anniversaire de ma frangine.
— Ce n'est pas comme si ça t'avait particulièrement froissé l'année dernière.

Le ton est si âpre qu'un frisson naît à la base de son échine, symptomatique d'un malaise persistant. Par réflexe, il a voulu tendre les doigts vers ceux de l'amante qui se tenait à ses côtés, comme embarrassé de voir leurs versions futures ainsi s'écharper. Une chose était certaine : la période en question n'était pas synonyme de bonheur conjugal pour eux, à en juger par la tension mortifère qui se dessinait entre leurs deux êtres. Ils en savaient quelque chose ; car ironiquement, ils étaient passés par suffisamment de déchirements pour reconnaître lorsque leur propre relation n'était pas au beau fixe. Et même s'il gardait à l'esprit que ce qu'ils voyaient n'était qu'un futur hypothétique, quelque chose en lui s'est serré, un peu déçu de ne pas découvrir un petit bonheur sans failles.
L'autre Guilhem n'a visiblement pas réagi aux paroles de son – ancienne ? – amante, se contentant de se délester de sa veste en ignorant la pique en question. Une indifférence qui a semblé irriter la vélane, laquelle a roulé les yeux à mâchoires crispées, se redressant un peu dans le sofa rougeâtre.

— Comment est-ce que tu vas ? Lance alors rapidement Adélaïde en se saisissant une coupe translucide pour y verser un verre de vin. Félicitations pour le match d'hier : j’ai dû feindre ma déception lorsque les Météores ont perdu, mais c’était une sacrée rencontre, il parait. Regarde, même Le Souaffle Coupé, avec leur mauvaise foi habituelle, n’a pas réussi à prétendre le contraire.

Alors qu'il saisissait le verre tendu par sa cadette, le sorcier a alors eu un petit rire léger – avec un détachement un peu suffisant.

— Ce n'est pas comme s'ils avaient eu la moindre chance. Les Vivets sont trois fois champions d'Europe, il fallait s'y attendre.
— On peut au moins se consoler en se disant que leur capitaine a été formé dans notre beau pays, Ironise Adélaïde en levant légèrement sa coupe dans sa direction.
— Est-ce que c'est vraiment une consolation ? Entend t-on alors commenter Althea d'un ton plat, visiblement trop absorbée par la contemplation de ses ongles pour daigner lever le nez vers celui à qui la pique était dirigée.

Difficile de déterminer si le poursuiveur – pardon, capitaine – avait été froissé par cette dernière ; toujours est-il qu'il a pivoté le nez vers sa silhouette et l'a observée une seconde sans rien dire, avant de se laisser tomber dans l'un des fauteuils capitonnés. Façon grand prince – toujours Verrier. Et s'il reconnaissait terriblement bien chacune des mimiques qui se dessinaient devant lui, esquissées par celui qui aurait pu être lui, il y trouvait à l'instant quelque chose d'un peu exagéré, un brin caricatural. Comme si chaque geste, chaque expression avait été amplifiée par les années, pour devenir ce ballet terrifiant de nonchalance et de dédain mortifié.

— Et toi Althea ? Comment vas-tu ? Finit-il par lâcher, avec un intérêt dont l'exagération semblait clairement ironique.
— À merveille, je te remercie, Lâche t-elle sèchement. Tu...
— Maman ! Regarde ce que papa a trouvé !

Une voix enfantine les a interrompus, déboulant dans le séjour par l'aile droite. Un gamin de six ou sept ans, blond comme les blés, aux grands yeux noirs qui papillonnaient sur l'assemblée. En remarquant l'arrivée du nouveau convive, il s'était stoppé net, comme soudainement intimidé par cette présence qu'il ne connaissait visiblement pas – ou peu. Un blanc s'est dessiné entre tous les protagonistes ; et à cet instant, il ne sait pas bien quelle est la chose qui l'a frappé en premier – laquelle avait pu être la plus évidente, la plus violente. Étaient-ce les traits de ce visage poupin, ciselés d'une manière qu'il ne connaissait que trop bien – puisqu'en le regardant, il avait l'impression troublante de se revoir au même âge ? Ou peut-être l'échange de regards entre l'enfant et l'autre Guilhem, curieux d'un côté, pétrifié en face.
Deux évidences distinctes se dessinaient alors : la première était que cet enfant était son fils, leur fils. La seconde, bien plus cruelle, était que le bambin ne semblait rien en savoir, observant l'homme comme s'il s'était agi d'un parfait étranger, avec un intérêt candide.
Une béance s'est alors creusée dans son ventre, et sa gorge s'est serrée. Car si jusqu'à présent, le futur présenté ne lui semblait pas si désagréable, il prenait pas à pas une tournure tortueuse, à tel point qu'il doutait de sa volonté de continuer à s'en faire spectateur.

— Guilhem, A murmuré Althea à ses côtés. Tu crois que c'est notre...
— Oui. Je crois, Lâche t-il plus bas encore.

Mais une ultime question lui brûlait les lèvres, en conclusion des autres ; si l'enfant ne semblait pas connaître celui qui lui faisait face, qui avait-il appelé par le surnom papa ?
Et comme en réponse à cette interrogation muette, une dernière silhouette s'est alors découpée dans l'encadrement de l'arche tout juste traversée par le gamin, pour rejoindre le petit groupe déjà installé. Une tension supplémentaire s'est alors dessinée – crispation légère qu'il a vu naître dans le regard brun de l'autre-lui, lorsque celui-ci a levé les yeux vers le nouvel arrivant.

— Théodore, Fait-il platement. Content de te voir.
— Guilhem, Opine l'autre d'un hochement de tête, esquissant quelques pas pour rejoindre la silhouette d'Althea dans le sofa.

Le visage de celle-ci a semblé s'éclairer face à l'arrivée du vélane, tendant la main vers la sienne pour glisser ses doigts contre son bras en une caresse tendre. Un geste qui n'a pu que lui arracher un frisson irrité – une jalousie instinctive et mal placée, quand bien même il savait n'être spectateur que d'un parfait artifice.
Putain, mais qu'est-ce que Théodore Viscontin faisait ici ? S'il ne manquait pas de raisons de se montrer aigre vis-à-vis de quelques uns des individus masculins qui gravitaient autour de son amante, il n'avait pas poussé la possessivité jusqu'à se méfier de ceux qui ne faisaient pas partie de son entourage – du moins, à sa connaissance. Le pire étant qu'il reconnaissait l'expression sur le visage d'Althea – de l'autre ; elle était heureuse. Il y avait de la tendresse dans son regard, celle qu'elle lui réservait habituellement ; et la voir en affubler un autre était un exercice complexe, auquel il ne s'était pas spécialement préparé.

— Je sais ce que tu penses, A t-il entendu souffler la vraie Althea à ses côtés. Ce n'est pas la réalité, Guilhem, d'accord ? Regarde-moi.

Et s'il a obéi, si son regard a croisé le sien, il a fini par secouer lentement la tête – à contre-cœur.

— Je sais. T'en fais pas.

Il ne sait pas s'il l'avait convaincue. Il ne sait même pas s'il s'est convaincu lui-même ; toujours est-il qu'à cet instant, il aurait voulu l'enlacer, l'embrasser, se prouver sa tangibilité, la réalité de celle qui était à ses côtés – et non la copie qui se dessinait plus loin. Mais s'il avait tendu la main vers elle, il savait qu'il n'aurait tout au plus senti qu'une brise, qu'un courant d'air plus solitaire encore ; alors il n'a rien fait. Il s'est contenté de pincer les lèvres légèrement, pivotant les épaules pour se placer face à elle.

— De toute façon, je ne sais pas ce que tu pourrais trouver de plus à Theodore Viscontin, Lâche t-il d'un ton qui se voulait certainement détaché.

Elle a haussé un sourcil.

— Tu le connais ?
— Vaguement. Mais je ne savais pas que tu le connaissais.

La vélane a ouvert la bouche pour répondre, mais de nouvelles voix ont capté leur attention, alors qu'elles se rapprochaient du couloir depuis lequel ils observaient la scène depuis tout à l'heure, en catimini. Leurs doubles se sont alors isolés dans la semi-pénombre de l'entrée en question, jetant quelques regards furtifs autour d'eux avant de reprendre leur conversation.

— Tu crois vraiment qu'il va encore avaler longtemps que c'est le sien ? Lâche l'autre Guilhem à voix basse, le ton plus sec qu'aux instants précédents. « Il a une majorité de sang sorcier, comment tu comptes lui expliquer ça, quand ses pouvoirs se développeront ?
— Je t'ai déjà dit que ce n'était pas ton affaire, Réplique la vélane, cassante. Tu es peut-être le père biologique d'Octave, mais Théo est celui qui l'élève et qui l'aime depuis des années. Je t'interdis de me donner la moindre leçon, tu entends ?

Un agacement mutuel s'est effiloché sur les deux visages en question, qui se sont détournés l'un de l'autre avec vivacité. Après un instant de silence pesant, c'est la voix de la vélane qui résonne de nouveau, jetant au joueur de Quidditch un regard vipérin.

— Comment va Vittoria ?
— Tu sais très bien qu'on s'est séparés.
— Si tu crois que j'épie le moindre de tes faits et gestes... Je suppose qu'elle aussi, tu as fini par la tromper ?
— Tu deviens ridicule, Althea, Réplique t-il avec lassitude. Arrête.
— Non Guilhem, je ne fais que commencer : la vérité, c'est que plus personne ne peut plus te supporter. Toi, tes petites victoires, tes frasques dans les journaux, ta petite image de salopard bien émaillée. Ça fait des années qu'on a tous lâché l'affaire, que tu te fous bien de savoir ce que deviennent James, Isidora, que tu parles plus que de toi. Et même là, t'as le culot de sous-entendre que c'est toi, qui devrait être dans la vie d'Octave ? Pour quoi, parce que j'ai fait la connerie de coucher avec toi ce soir-là, y'a sept ans ? Octave a un père, bien meilleur que toi, que tout ce que tu pourrais être, même si tu essayais. » Elle a marqué une pause, un peu haletante, le regard brillant de rage. « C'est pas compliqué, y'a plus qu'Adélaïde qui accepte encore de te voir arriver à l'improviste, comme si t'étais attendu par tout le monde. Alors je te conseille de jamais plus la décevoir, parce qu'elle est tout ce qui te reste.

La tirade l'a heurté comme s'il était celui à l'avoir reçue de plein fouet ; comme si c'était bien de lui, qu'il s'agissait. De ses actes, de ses erreurs. Et au fond, c'était le cas – ou en tout cas à moitié. Car si ce Guilhem-là n'était pas lui, il restait en revanche une éventualité, qui résonnait froidement avec chacun des travers qui étaient déjà les siens. L'égocentrisme, l'attrait de la reconnaissance et de la célébrité : cruellement, il s'y reconnaissait, même si le portrait ainsi dépeint l'écœurait.
Soudainement, il s'est senti infiniment coupable – ne pouvant s'empêcher de prendre bêtement la responsabilité de ces actes qu'il n'avait même pas encore effectués. Et machinalement, il a jeté un coup d'œil à Althea à ses côtés – laquelle semblait tout autant incrédule de ce qu'ils venaient d'entendre.
Face à eux, le double de la vélane a alors secoué la tête avec un mélange de rage et de résignation.

— Retrouver cette main, c’est la pire chose qui te soit jamais arrivée, Lâche t-elle comme toute conclusion. La seule période de ta vie où tu as réussi à être un homme décent, c’est quand tu en étais privé.

Il n'a pas entendu si l'autre avait répondu – ou trouvé la moindre réplique pour le faire. Car le monde autour d'eux s'est troublé, et il s'est senti aspiré par un étrange courant, alors qu'une lumière vive ne se déployait une nouvelle fois pour les aveugler. Et lorsque celle-ci s'évanouit, lorsqu'il ne reste plus que la pénombre totale dans laquelle la tente avait été plongée, seules résonnent les dernières paroles de la vélane, au creux de son oreille : retrouver cette main, c’est la pire chose qui te soit jamais arrivée.

Le silence autour d'eux est assourdissant. Puis finalement, c'est un rire léger qui résonne, comme une sorte d'écho ; il reconnait l'intonation éthérée de l'entité qui les avait soumis à cet étrange marché, encore un peu sonné par les images dont ils s'étaient faits spectateurs.

— J'espère que le voyage aura été instructif... Psalmodie la voix, dont les inflexions amusées contrastent cruellement avec la dureté du futur ainsi montré. « Je percevais chez vous des esprits emplis de doutes... Peut-être que cette expérience vous aiguillera sur les chemins à emprunter.

Un souffle ironique s'est alors échappé des lèvres de Guilhem, mais c'est Althea qu'il entend pourtant répondre la première :

— Pourquoi nous montrer un futur aussi catastrophique ?
Catastrophique ? Penses-tu qu'il puisse être aussi désastreux que celui qui vous attendait, si je ne vous avais pas fait la fleur d'effacer vos erreurs commises ?
— Qu'est-ce que vous voulez en échange ? Demande alors le poursuiveur d'une voix trouble, un peu à court de patience.
— Je ne veux rien. Votre lucidité me suffit amplement ; je vous libère. Lorsque vous sortirez de cette tente, votre erreur aura été réparée. Faites bon usage de cette seconde chance.

Et à ces mots, ils ont vu s'écarter un pan de tissu, dévoilant le paysage extérieur du cirque quitté plus tôt. Sans se faire prier davantage, les deux amants se sont alors faufilés hors de l'espace clos, rejoignant le tumulte tranquille des célébrations.
Encore secoué par les évènements passés, Guilhem a glissé une main sur son visage avec un léger soupir de soulagement, exerçant quelques pas machinaux sur l'herbe sèche devant la tente maudite. Force était de constater qu'au moins, l'étrange entité n'avait pas menti, puisqu'il ne restait plus aucune trace des gardiens qui les poursuivaient quelques temps plus tôt. Une seconde fois, ils pouvaient se targuer d'avoir évité de justesse les barreaux de la prison – et en toute honnêteté, il n'aurait pas craché sur quelques instants de calme pour s'en remettre. Un peu fébrile, il a pivoté le menton vers Althea, qui semblait presque tout autant désorientée par l'expérience. Leurs regards se croisent alors, et en silence, voilà qu'elle approche sa silhouette de la sienne pour s'y glisser contre ; ses bras l'enlacent, et son visage s'abaisse pour appuyer son nez sur le haut de son crâne – respirer l'odeur familière de ses cheveux. Il a fermé les yeux un instant, se concentrant sur le bruit de la respiration qu'elle appuyait contre sa poitrine.

— Je ne veux pas devenir comme ça, A t-il fini par lâcher à voix basse.

Comme si elle avait craint cette réplique, Althea s'est alors défaite de son étreinte pour lui faire face, et lever le vers vers ses traits. Ses doigts se lèvent pour frôler la peau rugueuse de sa joue en une caresse légère, puis descendre contre son cou.

— Guilhem, tu n’es pas comme ça, Fait-elle avec fermeté. Et tu ne seras jamais comme ça.
— J’aimerais en être aussi sûr que toi, Achève t-il, un peu amer.

Libérant un léger soupir, comme agacé par la lourdeur de ses propres pensées, il a résolu de changer de sujet pour ne pas s'attarder d'avantage sur ces préoccupations-là. Laissant alors ses doigts dévaler dans le dos de la vélane, il l'a légèrement attirée à lui, laissant le brun de ses prunelles se balader sur ses traits.

— Théodore, vraiment ? Finit-il par lâcher.
— Il est plutôt charmant, Réplique t-elle avec un haussement d'épaules, sans doute pour masquer l'embarras léger d'avoir trompé sans le faire – ou en tout cas dédramatiser.
— Je sais très bien ce qu’il est, crois-moi.

Face à lui, Althea a arqué un sourcil circonspect – ne sachant visiblement comment prendre exactement ses dernières paroles – puis a glissé ses bras autour du cou de son amant, inclinant doucement la tête sur le côté.

— Est-ce que tu es jaloux d’une infime possibilité qui n’existera sûrement jamais, mon amour ? Chuchote t-elle plus bas.

— Non, je veux dire… Pourquoi lui ?

Et la question était justifiable, même s'il se doutait qu'elle n'aurait sans doute pas la réponse. Ce qu'il voulait dire c'était, pourquoi un vélane ? Car à la lumière des conversations sur le sujet, échangées les derniers jours, il s'interrogeait réellement : avait-elle davantage de chances de trouver un certain apaisement avec un vélane, qui comprendrait ce qu'elle vivait au quotidien ? L'idée ne lui plaisait pas, évidemment, piquait son égo à un endroit inconnu jusqu'à présent ; mais la graine en avait été semée – l'idée selon laquelle il y avait des choses d'elle qu'il ne comprendrait jamais vraiment.  
Constatant que la question était visiblement plus sérieuse qu'il n'y paraissait, Althea a marqué un temps de pause pour le considérer, reprenant une mine plus sérieuse.

— Tu me demandes de réfléchir comme celle qui je pourrais être dans le futur, Guilhem. Je n’en sais rien. Je pourrais te demander pourquoi cette version de toi a replongé dans les bras de Vittoria : mais je m’en fiche de le savoir, parce que rien de tout ça n’est vrai.

Et si vague soit-elle, la réponse lui convenait. Ou plutôt, il était conscient qu'il ne pouvait pas en demander davantage pour l'instant – et était de toute façon trop éprouvé pour le faire. Surtout qu'elle marquait un point : à l'instant, il ne se serait absolument pas vu fréquenter Vittoria une nouvelle fois, et aurait eu du mal à trouver des justifications pour lesquelles il y aurait été mené. Lui demander la même chose était injuste ; alors, il s'est contenté d'opiner de la tête, jugeant qu'il était plus sage de changer de sujet. C'est un mince sourire qui s'étire alors au pli de ses lèvres, alors que sa main ne se lève pour taquiner l'une de ses mèches de cheveux.

— Tu sais très bien que je trouve prématuré de penser à ça, mais… » La voix se suspend, et les doigts dégringolent le long de son épaule pour en flatter le contour. « Il faut bien avouer que nos gènes s’accordent merveilleusement bien.

Elle a semblé prise au dépourvu, étonnée de voir le sujet en question abordé. Curieusement, une légère teinte rosée s'est même glissée contre ses pommettes – une coloration de peau adorable qu'il a eu envie d'embrasser.

— Si tu parles d’Octave, Finit-elle cependant par répliquer avec détachement, cet enfant avait visiblement pris tout de mon côté.
— Ne t’attribue pas le mérite d’un travail effectué à deux, c’est terriblement grossier.
— Pitié, est-ce qu’on peut arrêter d’en parler ? Grimace t-elle, au comble de l'embarras.
— Désolé, S'esclaffe t-il en courbant la nuque pour atteindre la base de sa mâchoire, sur laquelle il a déposé un baiser. « C’était loin d’être une proposition cachée, mon ange, rassure toi ; j’ai déjà du mal à rester un homme décent, alors je n’ai pas pour projet d’élever un enfant pour l’instant. 


Un sourire s'est alors dessiné sur les lèvres de la vélane pour toute réponse, dont les bras se sont dénoués de son cou, pour rejoindre sa poitrine. Plus loin, des gamins passaient, imitant des rugissement d'une bête en s'esclaffant ; et à la mine déconfite de son amante, il a saisi que les premiers devaient imiter le Malédictus qu'ils avaient vu plus tôt – comme un rappel cuisant qu'elle avait échoué à le sauver. Lentement, voilà alors que son index ne se glisse le long de son menton pour en tracer le contour, invitant son visage à se redresser vers le sien.

— Thea... Qu’est ce qu’il s’est passé dans ce chapiteau, avec le Maledictus ? Souffle t-il alors avec précaution.
— Je ne sais pas, je… Commence t-elle, avant de marquer un instant de pause, le regard en vadrouille vers un point sur sa droite. « Il y avait cet homme dans cette cage, qui n’a jamais demandé à être ce qu’il est. Et on l’appelait monstre, simplement parce qu’il devenait autre chose, et je ne pouvais pas m’empêcher de me dire que l’unique chose qui nous différenciait, c’est que les vélanes n’ont pas de crocs et de pelage, juste de grands yeux et un air sage. Que cette beauté-là, c’est tout ce qui me sépare du fouet, parce que leur façon de le regarder est la même que lorsqu’on me regarde moi. » Sa voix s'est éteinte pendant un instant, et durant une seconde infime, il lui a semblé percevoir le mélange de peine et de rancœur au fond de celle-ci. « Pour eux, on est des monstres à part égale. On ne subit seulement pas les mêmes sortes de cages.

Et il a laissé une poignée d'instants s'écouler, face à cette confession fragile, distante. Pourtant, rarement ne lui avait-elle parue aussi sincère : ça l'a remué, à tel point qu'il a hésité plusieurs secondes avant de déterminer une façon juste d'y répondre.

— Qu’est-ce que c’est, ta cage à toi ?
— Le regard des hommes.

Comme un écho, son regard bleu s'est redressé, pour s'épingler au sien. Retenant son souffle, il a finalement cédé à la tentation de poser la question qui lui brûlait les lèvres.

— Et le mien ?

Alors, ses phalanges à elle se sont levées, et ont tracé le contour de son œil droit, avec une lenteur tendre.

— Dans le tien, la plupart du temps je me sens bien. Parce que tu es amoureux : alors j’ai le droit d’être libre, dans tes yeux.

Althea Lovegood
Althea Lovegood
Admin

Onglet 1
Âge : 25
Occupation : Joaillière
Head : be a fool ⎯ althem 21c29054d0a8d9b604e39302a7641e83
Messages : 10
Date d'inscription : 26/03/2024
Onglet 2

   

stars, hide your fires
ft. guilhem verrier
29 avril 1949 ⎯ New york

TW allusions sexuelles


Les souvenirs d’Althea reviennent facilement se glisser entre les interstices de sa mémoire. Elle se remémore l’étreinte de leurs corps et la simplicité avec laquelle elle s’était laissée aller dans les bras de cet homme aux traits parfaits. Celui dont les effluves parvenaient à capturer la moindre de ses pensées, faisant du monde autour d’eux un détail bien insignifiant face à la douceur de ses lèvres. Son passage éphémère dans les bras de Théodore n'a pourtant pas laissé que les souvenirs utopiques d’un amour estival, il y a dessiné les sillons d’une sensation étrange serpentant le long de sa peau. Tel un événement passé dont on conserverait une certaine nostalgie, non pas à cause du manque, mais simplement parce qu’il avait été vécu d’une façon assez pure pour être mémorable, tout en étant marqué par la brutalité du retour à la réalité. Étrange dualité qui entremêle une douceur et une violence si prenante qu’elle s’est détestée pour l’amour qu’elle lui a donné. Comme si ce sentiment, manipulé par son être, n’était alors qu’un trouble n’ayant qu’une importance assez faible — pourtant impossible à laisser de côté. Althea l’a alors méprisé. Non pas Théodore, mais cette facilité avec laquelle elle aurait été capable de lui offrir l’univers entier avant de l’oublier. Telle une passion que l’on recherche mais qui s’efface ; qui se coince un instant au fond de la gorge et qui laisse aux heures qui suivent une fadeur étrange. Althea s’était alors dit que c’était ainsi que les choses se passaient avec Guilhem, qu’il l’aimait d’une façon fugace, avec un sentiment fragile ne tenant qu’à leur proximité. Un léger trouble addictif que l’on oublie avec facilité.


Pourtant, lorsqu’elle se retrouve face à ce futur aux allures de chimères, Althea ne peut nier que l’idée l’a déjà traversée. Les sentiments étaient fragiles, mais avec Théodore tout était facile. Elle n’avait pas à se donner pleinement, simplement à se laisser porter par le courant d’un parfum entêtant. Elle se serait alors contentée d’éclats de bonheur jusqu’à ce que ces derniers ne soient plus que des nuances disparates ; transformant leur histoire en un sentiment de nostalgie envers les choses qu’ils étaient et qu’ils ne sont plus. Althea ne peut nier non plus que Théodore la comprenait mieux que les autres. Le vélane savait que le regard des autres, ces iris noircies par le désir, n'était pas une éloge. La convoitise des inconnus n’était pas une louange mais plutôt un poignard enfoncé profondément dans son cœur. Douleur profonde servant à lui rappeler qu’elle n’était qu’une chose à s’approprier — telle une griffure qui nécrose son être par la douceur de leur avidité. Peut-être que grâce à cette reconnaissance, les deux amants auraient réussi à s’aimer, mais pour Althea, cela lui semble plus détestable encore à imaginer. Vous comprenez, la facilité n’a que peu d’importance pour la vélane si cette dernière doit se faire sans Guilhem. Elle est bien là la vérité, elle est évidente, elle se dessine avec une clarté déconcertante. Son bonheur n’a jamais été réel sans Guilhem. Elle a aimé, tout du moins a-t-elle prétendu le faire, elle a sourit, rit avec ses amants de passage en prétextant des amours infinis, mais jamais elle n’a éprouvé ce qu’elle ressent dans ses bras. Il est sa seule réalité, à travers les cris et les colères. C’est dans la tempête de leur amour que Althea veut installer son monde. Le futur qui est apparu devant eux est alors forcément fourbe. Peu importe les images qui ont eu l’audace de se dévoiler sous leurs yeux ou dans son esprit troublé.


Est-ce qu’elle veut se convaincre qu’elle ne peut concevoir un avenir dans d’autres bras ou simplement est-ce qu’elle est terrifiée à l’idée que son amant soit responsable de leur fin prématurée ? Althea ne peut nier que la façon dont l’âme de Guilhem se perd entre les nuages et les éclats d’orage, lorsque le vent frappe son visage et que la liberté de son amant se fait sans elle, elle n’a pas déjà imaginé n’être qu’un grain de poussière dans les rouages de son indépendance. Alors, bien qu’elle tente de prétendre ne rien ressentir d’autre qu’une conviction profonde du mensonge des illusions, Althea a l’audace de ressentir une peur irrationnelle, une qui ressort à travers le visage de Vittoria. Telle une nouvelle preuve que l’ancienne amante, celle qu’elle nomme amie, n’est peut-être qu’un serpent blotti sous une pierre et qui n’attend qu’une mauvaise passade pour diffuser son venin et noircir leur futur.


—  On fait quoi maintenant ? Demande-t-il, interrompant alors le fil de ses songes.
— On s’en va, Répond Althea en déposant un baiser sur l’arrête de sa mâchoire, effaçant alors de ses pensées le traître parfum de son amant passé. « Mais avant, j’ai faim !
— Tu ne veux pas attendre de rentrer pour ça ? Reprend-il au creux de son oreille, arrachant à son corps un frémissement qu’elle ne cherche pas à dissimuler.
— J’ai trouvé plus appétissant que toi.


En effet, il y a un autre parfum qui s’égare jusqu’à eux et qui n’a ni le goût de l’amour, ni le goût de la trahison, mais seulement celui de l’enfance. Une légère nostalgie au doux goût sucré. Celui des nuages aux couleurs vives qui sont disposés sur un étal non loin d’eux et vers lesquels elle se dirige sans l’attendre. Althea n’a pas besoin de se retourner pour savoir qu’il est juste derrière elle, elle peut sentir sa présence, celle qui efface, pour un temps, les dernières traces de ses peurs les plus profondes. Ils ont toujours été doués pour ça, les deux amants candides, pour prétendre qu’ils n’ont rien à réparer, que chaque fracture dans leur histoire n’est qu’une bagatelle qui peut être effacée par un baiser — ou par la douceur édulcorée de la barbe à papa. Comment imaginer les tourments de leurs pensées quand ils quittent les chapiteaux colorés en laissant derrière eux tout ce qui a eu l’audace de venir les troubler ?


Autour d’eux, les bruits du cirque laissent place au brouhaha des voitures, des taxis et des sons d’une vie qui continue comme si de rien n’était. Eux font tâche au milieu des personnes qui travaillent, qui avancent en fixant leur objectif ou le trottoir sous leurs pieds. Dans le monde grisâtre, ils détonnent avec leurs sourires et l’éclat coloré de leur sucrerie, dont ils récupèrent des morceaux qui fondent entre leurs doigts et habillent leurs lèvres de bleu et de vert.

— Tu veux rentrer ? Demande Guilhem entre deux bouchées.
— Je veux bien visiter un peu avant, Répond Althea en jetant un regard autour d’elle. « Imagine si Adélaïde me demande de lui décrire la ville et que je suis seulement capable de lui citer toutes les choses qui ont dérapé, elle ne me laissera plus être avec toi…
— Je comprendrais, tu as une très mauvaise influence… Soupire l’homme avec exagération, arrachant à Althea un râle moqueur. « Peut-être que je devrais lui demander de me protéger de toi…

Le rire qui franchit les lèvres de la jeune femme est très rapidement étouffé par le bruit des moteurs quand elle le dépasse pour avancer, sans savoir vers où elle se dirige.

— Tout le monde sait que j’étais un ange avant de te connaître, Reprend-elle finalement, sans un regard pour son amant. « Je dirais même que j’étais la candeur incarnée.
— C’est bien une preuve que personne ne te connaissait.
— Sans toi je me serais certainement mariée à un riche sorcier, Continue Althea comme s’il ne l’avait pas interrompue. « Je serais devenue la fille préférée de mes parents, héritière de leur fortune. Tous les matins je me serais réveillée dans un manoir sublime… » Un léger silence, un moue chagrine avant qu’elle n’ajoute, d’une voix larmoyante : « Et si je lui avais demandé de m’offrir son fléreur, il me l’aurait confié sans l’ombre d’une hésitation…

Guilhem rit et elle doit faire de son mieux pour conserver un visage sérieux quand elle se tourne vers lui, afin de le regarder avec un prétendu dédain.

— Quel futur affreux, S’amuse Guilhem. Mais mon amour, Titus ne sera jamais à toi.
— Tu ne m’aimes plus, je le savais, Soupire Althea avec une exagération surjouée.

Pourtant, cette prétendue tristesse s’efface assez soudainement, dès l’instant où il capture sa main dans la sienne pour l’attirer contre lui et que leurs lèvres se retrouvent. C’est si simple de tout oublier lorsqu’elle égare ses doigts entre les boucles de ses cheveux. Lorsque leurs êtres se retrouvent et que le monde s’efface pour ne laisser que la chaleur de leurs respirations qui se mêlent jusqu’à n’être plus rien C’est dans ces moments là qu’Althea réalise que le futur n’a pas réellement d’importance si le présent peut continuer de leur apporter ces instants. Quel intérêt de souffrir sur ce qui n’existe pas encore ? Les Vittoria et les Théodore n’ont pas leur place à travers la douceur sucrée de ses lèvres.

— Où est-ce que tu veux aller ? Demande finalement Althea en glissant ses doigts le long de sa joue.
— J’ai une idée… Souffle t’il.

Guilhem se recule, juste assez pour appeler un taxi moldu d’un mouvement de sa main, l’autre reposant toujours au creux de son dos. S’il ne lui donne aucun indice sur la direction qu’il souhaite prendre, Althea le suit pourtant et monte derrière lui sans poser de question. Guilhem s’avance vers le chauffeur pour lui murmurer quelques mots que la vélane ne parvient pas à saisir. Elle fronce alors ses sourcils dans une interrogation silencieuse quand il se réinstalle à ses côtés. Guilhem balaie l’air d’un mouvement de sa main et dépose un baiser contre sa tempe.

— Tu ne veux pas te gâcher la surprise.

Althea ne peut pas nier que la curiosité la démange mais, pour une fois, elle fait taire ses questions et se contente de se laisser aller contre lui. Elle dépose sa tête contre son torse alors que ses yeux retrouvent le chemin de l’extérieur. Autour d’eux, le monde continue de tourner, les immeubles défilent, la vie des personnes aux visages inconnus continue d’avancer. Althea pourrait rester ainsi des heures, à simplement profiter de l’étreinte de son amant sans se soucier du reste — même pas de l’absence d’argent moldu qui serait pourtant bien utile pour régler la course. Ce genre de détails superficiels ne semble qu’à peine les préoccuper, ce ne sont que des choses insignifiantes face à la caresse lente des doigts de Guilhem dans ses cheveux, le long de son cou, de son bras jusqu’à ce que ces derniers se mêlent aux siens. L’accalmie de cet instant apaise l’âme d’Althea, juste assez pour reléguer au rang de souvenirs éphémères toutes les colères et les cris des heures passées. C’est seulement quand elle aperçoit un ensemble de pièces métalliques et colorées qu’elle se redresse pour se rapprocher de la fenêtre. La grande roue qui se dévoile alors par la fenêtre de la voiture est immense, elle prend toute la place et fait presque oublier la foule et les attractions devant elle. Le visage d’Althea s’éclaire soudainement, tout autant que celui de Guilhem lorsqu’il la regarde avec amusement et qu’il vient murmurer à son oreille, d’une voix joueuse.

— Prépare toi à courir.

Althea a un instant de doute, une légère hésitation face à ses propos, le temps qu’elle réalise la portée de ses mots. Pourtant, elle ne réfléchit pas davantage, dès l’instant où la voiture s’arrête et que l’homme se tourne vers eux. Il tend sa main pour récupérer la somme indiquée sur le compteur d’une voix bourrue, sans politesse aucune, mais tout ce qui lui fait face c’est alors les deux français qui ouvrent leur portière d’un mouvement commun et qui s’élancent hors de l’habitacle. Peut-être pourraient-ils culpabiliser, eux les riches qui ont tout et qui s’en moquent, mais ils n’en ont que faire de la bienséance quand ils s’élancent à travers la foule et qu’ils bousculent les personnes qui se pressent. L’odeur sucrée des boutiques où attendent les enfants se mêle alors à l’embrun de la mer, aux effluves de transpiration de ces êtres dont la masse se referme autour d’eux. Ils n’ont pas besoin de se regarder pour savoir qu’ils se dirigent dans la même direction, ils se fondent parmi les rires des enfants et les cris du chauffeur qui tente de les rattraper sans y parvenir.  

La main de Guilhem se referme finalement autour de celle d’Althea. Il interrompt sa course en l’attirant dans son sillage jusqu’à l’arrière d’un stand. Les deux amants sont essouflés, leur poitrine se soulève dans un rythme saccadée et l’éclat de leur rire ne fait que voler le peu d’air qu’il leur reste. Ils ne parviennent pas à se contrôler et les larmes qui naissent dans leurs yeux ne témoignent d’aucune tristesse. Bien au contraire, Althea se sent vivante, libre, terriblement libre et la sensation que ça éveille au creux de son ventre la pousse à attirer Guilhem pour l’embrasser —  vidant un peu plus leurs poumons. Elle pourrait en mourir de ce baiser, le laisser asphyxier, les laissant là, suffoquant car ils ont considéré que leur amour était plus important que de respirer. Pourtant, Althea se recule, ses joues rougies ; leurs joues rougies et une lueur joueuse dans l’étincelle de leur regard.

— La prison a fait de toi un homme nouveau… Je ne suis pas certaine que ça me déplaise.
— Oh mon ange, as-tu oublié que j’étais un voleur aux doigts d’or ?
— Je n’oublie jamais le talent de tes doigts…
— Tu penses qu’il a renoncé ? Demande Guilhem sans se dépêtre de sa moue joueuse.

Althea hausse les épaules avant de se pencher en avant pour scruter la foule à la recherche du visage colérique de l’homme lésé. Finalement, lorsqu’elle reporte son attention sur Guilhem, c’est avec un sourire plus large.

— Je ne le vois pas, je pense qu’on peut sortir de notre cachette ou…
— Ou y rester encore un peu plus…Termine-t-il.

Guilhem l’attire contre lui, mais Althea détourne la tête juste avant que leurs lèvres ne se retrouvent. Ce n’est pas l’envie qui lui manque, mais peut-être que ça l’amuse davantage d’entendre la frustration de son souffle qui échoue contre sa joue. De voir la lueur noircie par le désir qui se dessine au creux de ses pupilles lorsqu’elle se recule finalement en remettant de l’ordre dans sa tenue.

— Je suppose que tu ne m’as pas emmenée ici juste pour le plaisir de faire l’amour dans un nouvel endroit… Le taquine Althea.
— On peut mêler les plaisirs, tu sais, je suis un homme très polyvalent.

Si l’amusement est visible sur les traits de la vélane, cette dernière ne peut s’empêcher de lever les yeux au ciel avant de quitter leur abri pour s’avancer dans la foule. Elle n’as pas un regard pour son amant qui ne met que quelques secondes avant de la rattraper. Les yeux d’Althea sont captivés par la grande roue devant eux, par sa lente avancée et la façon qu’elle a de dominer le ciel. Elle ne remarque pas la manière dont Guilhem use de ses talents pour récupérer un portefeuille dans la poche d’un homme. Malgré tout, elle n’exprime aucune surprise quand il dépose à la caisse quelques pièces moldues et qu’il l'entraîne à sa suite vers l’une des nacelles. Il y a quelque chose d’enfantin dans la façon dont leurs yeux brillent et dévoilent un bonheur naïf qui se satisfait d’une chose aussi simple qu’un manège. Pourtant, assise à ses côtés, installée dans la roue qui reprend son lent mouvement, Althea ressent dans chacun de ses sens cette joie soudaine qui dessine sur son visage un sourire plus large encore. Peut-être pourrait-on alors compter les étincelles dans son regard.

—  Si tu as peur, n’hésite pas à t’accrocher à moi, je te protégerais, Lance Althea avec amusement en revenant se blottir contre lui.

Le bras de Guilhem se glisse alors autour de ses épaules, ses lèvres effleurent sa tempe avec douceur avant qu’il n’ajoute dans un souffle.

—  Heureusement que tu es là, qu’est-ce que je ferais sans toi ?
— Ta vie serait  morne et ennuyeuse… Soupire-t-elle. Tu serais sûrement dans ton lit à maudir ta triste existence…
—  Ou alors je serais dans mon lit, avec des hommes et des femmes nues et je…

Althea amorce un mouvement pour se redresser, mais Guilhem l’arrête en l’attirant à nouveau contre lui, résonne alors un éclat de rire qu’il étouffe à travers un baiser. Malgré l’envie que ressent Althea de prétendre une certaine jalousie ou tout du moins une légère colère envers ses propos, elle ne peut s’empêcher de répondre à ses lèvres. Petit à petit la foule à leur pied se transforme en un ensemble indistinct, la mer se dévoile d’un côté et fait face à la ville et aux bâtiments de l’autre. La vue est sublime, les couleurs également, le tout efface alors chaque tourment pour ne laisser qu’une admiration silencieuse, tout du moins le temps de leur premier tour. Ce n’est que lorsque la roue se rapproche à nouveau du sol pour s’élancer une nouvelle fois qu’elle reporte son regard vers lui, qu’elle observe ses traits apaisés, reposés malgré l’évidence de leur fatigue liée aux derniers événements.

Elle ne sait alors pourquoi elle a soudain besoin de parler, de briser l’enchantement des derniers instants pour évoquer un sujet plus sérieux, presque futile face à la grandeur du monde  qui se dessine autour d’eux.

— Je ne veux pas d’un futur où tu n’es pas à mes côtés. Je sais que l’on ne peut rien prévoir et qu’il nous arrive parfois d’être plus doués pour briser que pour réparer, mais je sais que tu es le seul avenir certain que je souhaite.

Les lèvres de Guilhem se déposent doucement contre sa joue, son regard se glisse sur son visage et alors qu’il s’apprête à lui répondre, elle reprend en levant ses yeux au ciel. Comme si le sérieux de ses derniers propos prenait trop de place pour qu’elle le laisse s’étendre plus longtemps —  ou simplement à cause d’une peur futile que les mots de son amant ne soient pas ceux qu’elle désire.

— Je n’imagine même pas mon avenir avec un enfant, Grimace Althea. Encore moins un garçon, quelle horreur de combler la société en ayant un héritier mâle quand l’avenir du monde est clairement entre les mains des femmes.
— Je serais fou de te contredire.
— Complètement suicidaire, Complète Althea.
— Laissons les héritiers à nos sœurs, représentons la décadence de la société sorcière, mon ange.

Althea hoche la tête pour confirmer ses propos avant de reporter son attention devant eux. La nacelle s’arrête alors de bouger, les laissant tout en haut. Deux âmes qui dominent les cieux et s’y égarent, les ramenant dans leurs aventures à travers les nuages. C’est dans ces moments-là que la vélane se sent le mieux. Quand il n’y a qu’eux et que chaque souffrance, chaque doute semble si dérisoire qu’ils ne sont guère plus importants que la brise qui les effleure.

L’immensité de l’océan devant eux capture leur attention, le monde entier disparaît. Jusqu’à ce que la roue tourne, jusqu’à ce que leur tour se termine et que le fracas de l’univers revienne briser le moment de quelques bruits métalliques. Sous leurs pieds, la terre est désormais ferme. Leurs doigts se sont entremêlés et ils errent parmi les badauds, parcourant de leurs regards ces personnes aux visages semblables. Ils profitent de l’insouciance d’une journée où plus rien ne pourrait venir troubler leur quiétude.

Althea ne comprend pas encore ce qui se passe dans le creux de son ventre, elle ne parvient pas encore à déposer de mots sur ce sentiment étrange et naissant qui se glisse de façon insidieuse, juste là. Dans un recoin encore délicat, rampant discrètement sous sa peau pour venir s’immiscer dans les recoins de son épiderme. Car oui, la vélane aura beau prétendre que ce futur parfait est la seule option envisageable, il y en a une autre.
Moins plaisante et pourtant plus réelle.


23 décembre 1949 ⎯ Paris


Les rues de la ville sont recouvertes de neige, non pas une blanchâtre comme celle de la place d’Aphrodite qu’elle a quitté quelques heures auparavant, ensorcelée pour être plus belle qu’elle ne l’est. Dans les rues de Paris, la neige est marron, elle se mêle à la boue des pieds qui la foulent. Même la beauté des illuminations ne parvient pas à la sublimer. Cela n’a pourtant que peu d’importance, les gens que Althea croise se pressent sans regarder le monde autour d’eux. Ils semblent tous accablés par ce qui leur reste à faire et désireux de trouver le meilleur cadeau dans le court laps de temps qu’il leur reste avant le réveillon de noël. Althea n’est pas meilleure qu’eux, outre le cadeau de Guilhem, elle ne s’est pas penchée sur les cadeaux destinés à Hafsa, à Simon, à James ou même à Auguste. Malgré son envie de prétendre que son sourire est assez beau pour combler de bonheur ses proches, elle est convaincue que sa présence n’est pas un cadeau assez intéressant pour celles et ceux qui l’entourent la majorité de l’année.

Plutôt que de chercher dans les banalités les plus évidentes, elle a plongé dans les allées moldues à la recherche d’une adresse que sa mère a évoquée plus tôt dans la journée. Une boutique tenue par une vélane, un endroit où de très bons vins sont vendus ⎯ Diane dirait que ce n’est pas difficile de faire meilleur que ces bourrins de sorciers, qui maltraitent le raisin plutôt que de le transformer en un délicat nectar.

La devanture face à laquelle elle s’arrête laisse, en effet, présager de très bons crus, mais Althea hésite pourtant à entrer. Elle ne saurait expliquer pourquoi elle ressent cette sensation étrange, comme un frémissement dans le bout de ses doigts, un pressentiment qui parvient presque à la convaincre de ne pas rentrer, mais la tempête qui recommence est plus violente que le murmure de son instinct.
La chaleur à l'intérieur est presque désagréable, elle contraste avec le froid glacé de l’extérieur, mais elle ne va pas s’en plaindre. Le silence de la pièce, simplement rompu par le bruit de la cloche, reste plus agréable que celui du vent. Malgré tout, quand elle s’avance entre les rayons vitrés où se dévoilent bourbons ensorcelés et whisky enchantés, c’est une autre odeur qui attire son attention. Une fragrance étrange, qu’elle ne connaît que très peu et qu’elle reconnaît pourtant dès l’instant où ses nuances viennent la trouver. L’attirant jusqu’au comptoir, jusqu’à l’homme qui se trouve derrière et dont le sourire arrache à ses lèvres un soupir involontaire.

Théodore Viscontin est certainement l’un des derniers hommes qu’elle aurait souhaité croiser.

⎯ Althea Lovegood, est-ce bien toi ? S’exclame-t-il en contournant le comptoir pour la rejoindre.  « Ça fait quoi, deux ans ?
⎯ Depuis que j’ai quitté Paris, oui, une vie toute entière, Répond la vélane en se détournant quand il s’avance, faisant mine d’observer avec une attention forcée un vin italien en vitrine. « Je ne t’imaginais pas devenir vendeur d’alcool.
⎯ L’ambiance est agréable, je t’offre quelque chose à goûter ?


La réponse se doit d’être non, mais lorsque les yeux d’Althea croisent les siens, c’est un oui qui franchit ses lèvres. Un qu’elle regrette pourtant quand il s’éloigne pour reprendre sa place derrière le comptoir à la recherche d’une bouteille sur les étagères.


⎯ Qu’est-ce que tu cherches au juste ?
⎯ Je pensais partir sur du vin rouge.
⎯ Celui là est une merveille, Répond-il en remplissant deux verres d’un liquide rougeâtre.


Althea récupère son verre, elle fait légèrement tourner le liquide dans ce dernier, observant les étincelles d’or qui ondulent avant de reporter son attention sur Théodore. Le regarder dans les yeux est étrange. Sans le vouloir, elle ressent toujours cette attirance inexplicable, ce sentiment particulier qui trouble ses sens, pourtant, c’est plus léger que dans ses souvenirs, presque impossible à discerner ; plus supportable que dans son passé.


⎯ C’est pour offrir à Guilhem Verrier ? Demande Théodore en s’appuyant négligemment sur le comptoir.
⎯ Tu le connais ?
⎯ C’est une vieille connaissance. Élude t-il. Quand je m’ennuie, les journaux sorciers sont mes meilleurs amis, et vous y apparaissez parfois.


La vélane lève les yeux au ciel un instant. Elle ne sait que trop bien ce que les vieilles connaissances de Guilhem peuvent être, mais l’idée même de se pencher sur cette idée lui déplaît assez pour qu’elle refuse de laisser l’image s’installer. Plutôt que de se laisser tourmenter par sa jalousie mal placée, elle prend une gorgée du vin. Son goût est délicat, il glisse dans sa gorge pour l’enrober d’une douceur tanique et aussitôt, le monde autour d’elle semble plus brillant. Les couleurs sont plus vives, elle peut presque entendre le bruissement des pattes d’une araignée qui court sur l’une des étagères et le son des bulles dans une bouteille de champagne.


⎯  C’est pour offrir à des amis, Répond-elle finalement.
⎯  Sorciers je présume ?
⎯  Tu présume bien, Acquiesce Althea en prenant une nouvelle gorgée. « Ce vin est très bon, je vais en prendre quatre bouteilles, emballées séparément s’il te plaît.


Théodore hoche la tête mais ne bouge pas. Il se contente de l’observer en silence, son visage éclairé par un demi sourire amusé, comme s’il avait une chose sur le bout de la langue mais qu’il n’était pas encore décidé à l’évoquer. Althea a alors l’audace de se perdre un instant dans la lueur ambrée de ses yeux avant de détourner le regard dans un soupir.


⎯  Je dois retrouver Adelaïde après alors si tu pouvais… Commence la vélane en indiquant d’un mouvement de la main les bouteilles derrière lui. « Me faire mes emballages…
⎯ On se retrouve à la boutique avec des amis mercredi prochain, à 19h, Dit Théodore sans bouger du comptoir. « Des amis vélanes. Tu pourrais peut-être venir, si tu n’es pas repartie à Londres ou à Lyon. Ça te changerait des sorciers.
⎯ Les mêmes amis que chez François ? Grimace Althea.
⎯ Non. Des amis comme toi, comme moi, on parle de la façon dont la société voit les vélanes, je pense que ça pourrait t’intéresser, Répond Théodore avec flegme avant d’ajouter, après s’être redressé. « Enfin, tu peux aussi te sentir très bien parmi les sorciers.


Althea termine son verre sans un mot avant de sortir l’argent pour régler ses achats pendant qu’il commence à emballer les bouteilles. Bien sûr que l’idée est intéressante, elle éveille dans le cœur de la vélane un feu qu’elle pensait s’être éteint à la fin de leur séjour à New York. Elle sait pourtant que prendre cette décision ne troublerait pas que sa quiétude, car dans son esprit reviennent les images du futur à Paris. D’un enfant qui court sans connaître son véritable père, d’une existence où Guilhem n’est qu’un géniteur que l’on ne souhaite plus croiser. Cette rencontre avec Théodore ne sonne pas chez elle comme une coïncidence hasardeuse mais comme un moment important destiné à déterminer la véracité des images que Guilhem et Althea ont affrontées quelques mois auparavant. Alors oui, la vélane ne dit rien, elle contient en elle ce désir insatiable d’accepter la proposition. Elle garde ses lèvres  closes quand elle lui tend l’argent, elle les maintient scellées car elle sait que ces dernières pourraient la trahir si elle se décidait de les laisser répondre.


Mais alors qu’elle s’éloigne, qu’elle est certaine que cette scène n’est qu’un instant du passé, une épreuve qu’elle a affronté, l’homme derrière elle reprend la parole.


⎯ C’était un plaisir, Althea.  


Cette phrase n’a rien de spéciale, pourtant, elle s’arrête, sa main posée sur la poignée. Il lui suffirait d’ouvrir la porte, de sortir affronter le froid et un futur sans l’ombre d’une tragédie annoncée. Elle s’imagine déjà rentrer chez elle et reléguer dans un coin de ses pensées cette étrange rencontre. Elle retrouverait Guilhem, se perdrait dans ses bras ; s'égarerait dans leurs draps.
Sans qu’elle ne le veuille pourtant, le fantôme des mots passés lui revient alors, le crachat de celles et ceux pour qui elle n’est qu’une créature. Bête stupide, physique qui dissimule un vide abyssal.


⎯ À mercredi, Souffle-t-elle alors d’une voix presque inaudible.


Et la tempête au dehors lui semble moins brutale que celle dans son ventre.

Contenu sponsorisé

Onglet 1
Onglet 2