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les filles désirs — letha&demelza

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Letha Bulstrode
Letha Bulstrode
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Âge : 25 ans
Occupation : Pigiste et écrivaine
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Habitation : 15 place d'Aphrodite, Chelsea, Londres
Messages : 9
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LES FILLES DÉSIRS
ft. demelza rowle


TW vulgarité, drogage, tabagisme @"Demelza Rowle"

Villa Pervinca, Positano, Italie
Été 1948

Le soleil de l’Italie est brûlant sur sa peau blafarde.

Allongée sur l’une des chaises longues de la terrasse de la villa Pervinca, Letha se prélasse, ses longues jambes dénudées étendues devant elle. Face à elle, la mer se déploie à perte de vue, léchant les falaises de la côte dans un fracas qui lui parvient comme une douce mélopée. Avec l’insouciance caractéristique de la jeunesse dorée, Letha goûte aux plaisirs qui ne sont accessibles qu’à ceux qui ont la chance de se trouver au sommet du monde. À ce moment précis, elle se fait l’emblème de ces gamins nés dans une opulence démesurée, dans les orgies de richesses extravagantes. Parmi toutes les résidences que possède l’ensemble de sa famille en Europe, Pervinca est de loin sa préférée. Quelque chose en lien avec le charme à l’italienne, sans doute.

Sur la chaise d’à côté, Demelza a les yeux fermés. Elle s’est déjà enroulée d’une fine chemise en soie blanche pour cacher son corps encore mouillé par leur baignade, même s’il n’y a que les oiseaux dans l’arbre au-dessus pour la voir. Sacrée Demelza.

L’arrivée de sa cousine à la villa, un peu plus tôt ce matin, a redonné au séjour de Letha une nouvelle note de fraîcheur qui commençait cruellement à lui manquer. Non pas que Demelza y soit particulièrement pour quelque chose. De manière générale, Letha a toujours besoin de quelqu’un à embêter, et que sa vieille chaperonne commence à ne plus l’amuser du tout. Comme en écho à ses pensées, une voix acide et remplie de reproches se fait entendre quelque part derrière elles, sous la petite tonnelle en verre :

— De mon temps, les jeunes femmes ne s’exposaient pas aussi impudiquement.
— C’était comment de vivre au milieu des tyrannosaures, ma tante ? C’est bien de cette branche que vous descendez ?
— Tu n’es qu’une petite impertinente, Letha.
— Vraiment ? C’est la première fois qu’on me le dit.

Du coin de l’œil, elle voit que Demelza a souri — un subtil redressement du commissure de ses lèvres, si bref et si ténu qu’il a failli échapper à Letha. Quelque chose lui dit que sa cousine non plus ne porte pas Berenice Fawley dans son cœur. La mégère est occupée à broder un mouchoir en tissu, bien camouflée par l’ombre de la tonnelle et du citronnier, dardant son regard sévère sur le corps de sa petite-nièce. Stéréotype ambulant de la vieille fille aigrie, à jamais coincée à l’époque Victorienne. Letha est à peu près sûre que chaque ride sur son visage creusé équivaut à une année, ce qui signifie qu’elle a depuis longtemps dépassé les cent ans. La vieille Berenice n’a jamais voulu lui confier son âge, et se contente à chaque fois de lui répondre avec dignité, l'âge, c'est dans la tête, ma fille. L’ironie de cette phrase amuse beaucoup Letha, puisque l’apparence flétrie de Berenice n’est rien comparée à son esprit archaïque.

Letha se redresse et s’étire comme un chat, prenant un malin plaisir à laisser ses hanches déborder de son short galbant et sa poitrine de sa brassière étroite, et à écouter avec régal les protestations indignées de Berenice derrière son tambour à broder. La désapprobation est décidement la plus belle des musiques.

— Ma tante, ce soir, Demelza et moi nous coucherons tôt. Nous devons récupérer des forces pour notre journée à la plage, demain.

Dissimulée sous son élégante capeline, Demelza lui jette un regard intrigué. Qu'est-ce que tu manigances, Letha ? semble-t-elle l’interroger silencieusement. Letha adresse un sourire mielleux à sa grande tante, qui a posé son tambour sur ses genoux pour l’observer, les yeux plissés.

— Je pensais que vous iriez faire un tour à la fête du village.
— La fête du village, répète la jeune femme en roulant des yeux. C’est si… rustique. Tu ne trouves pas, Demelza ?
— Aucune opinion sur le sujet, répond placidement Demelza en ajustant son chapeau sur sa tête.
— Évidemment, Tièdelza.
— Appelle-moi encore une fois comme ça et je te jette par-dessus la balustrade.

Letha rit en se levant de sa chaise, sifflant une mélodie fausse entre ses lèvres tandis qu’elle regagne l’intérieur de la villa. Tièdelza, le surnom puéril que Letha donnait à sa cousine pendant leur enfance, à l’époque où elle la pensait lisse comme une poupée influençable, incapable de se forger la moindre opinion par elle-même. Une brave petite esclave à la botte des hommes. Une femme tiède. Si elle avait su, à l’époque, Letha, que Demelza était juste meilleure actrice qu’elle. La raison de ce changement radical dans sa personnalité, Letha ne la connaît pas. La lassitude, l’impatience, l’orgueil, peut-être. Tout ce qu’elle sait, c’est qu’à l’instant où Demelza a pris les rênes des Demoiselles, aussi insipides soit le club et les membres qui le constituent, avec leur dinette, leurs jolies toilettes, l’indifférence dédaigneuse de Letha s’est transformée en respect. Ce jour-là, Tièdelza s’est évaporée dans les airs.

Ce qui ne l’empêche pas de réapparaître de temps à autre, généralement lorsque Letha est prise d’une irrésistible envie de la rappeler au bon souvenir de Demelza.
Dans la cuisine, une escouade d’elfe est déjà sur le pont, en pleine préparation du dîner. Une odeur de basilic embaume la pièce. Letha se perche sur le comptoir, empoigne une pomme rouge qu’elle fait rouler entre ses doigts, observant la silhouette de Demelza qui traverse la terrasse pour venir la rejoindre.

— Alors ? exige de savoir sa cousine en s’arrêtant devant elle, bras croisés, un sourcil haussé.

Son apparent détachement ne berne pas Letha. Elle a des airs de conspiratrice, Demelza, et la curiosité se lit dans sa façon de la regarder.

— Alors, répète lentement Letha en croquant dans la pomme, ses yeux de chat illuminés par l’espièglerie. J’en connais une qui va bien dormir ce soir. Mais ce ne sera ni toi, ni moi.


Plus tard

Il est un peu plus de huit heures lorsque les murs de la villa Pervinca se mettent à trembler, secoués par d’horribles vrombissements intempestifs. La nuit est déjà tombée et la lune dessine son arc argenté dans le ciel. Pas un nuage à l’horizon. Une soirée idéale pour profiter d’un semblant de liberté.

Les deux petites silhouettes se faufilent comme des souris jusqu’à la chambre de leur chaperonne, entrebâillant la porte pour jeter un œil à l’intérieur. Le spectacle qui s’offre à elles tire un hululement hystérique à Letha, et même Demelza se fend d’un éclat de rire réjoui. La tante Berenice est écroulée en travers de son lit, sa chemise de nuit noire à moitié enfilée, des ronflements caverneux s’échappant de sa bouche grande ouverte.

— Tu en as beaucoup trop mis, lui reproche Demelza tandis qu’elles quittent la propriété sur la pointe des pieds, comme si par un quelconque miracle, Berenice risquait de les entendre par-dessus son vacarme.

Il n’y a pas de reproche dans la voix de la jeune Rowle. Juste un soupçon de satisfaction, avec suffisamment de retenue pour ne pas ébrécher son image de perfection. En plus, elle a raison. Letha a effectivement forcé la dose lorsqu’elle a glissé la Potion de sommeil dans le plat de linguine à l’encre de sèche, peu avant de se mettre à table, après que les cousines se soient mises d’accord pour ne pas y toucher. Un petit accent de cruauté inoffensif, pour lequel elle n’a même pas eu l’indulgence de nourrir le moindre remords. Les demoiselles avaient vu la tante piquer du nez à trois reprises dans son assiette, avant de s’excuser et de rejoindre ses appartements d’un pas vaseux pour ne plus en ressortir de la soirée. Le réveil de demain, probablement aux alentours de midi, sera rude et confus pour la pauvre Berenice. Letha entend bien y assister. Et profiter de chaque seconde.

La villa est située juste au-dessus du village, tant et si bien qu’il ne faut qu’une petite dizaine de minutes aux jeunes femmes pour en rejoindre le centre, là où doivent se dérouler les festivités. Ce soir, le bourg de Positano flamboie de lumière. Les habitants ont ouvert leurs portes pour faire sortir des mètres et des mètres de câbles électriques, accrochant des guirlandes aux réverbères pour décorer les ruelles. À mesure qu’elles approchent de la place centrale, les douces notes de musique de l’orchestre s’élèvent pour les accompagner sur le chemin. Au milieu de la plaza, des couples virevoltent, des petites filles dansent en farandole devant le soliste et ses violoncellistes, et les éclats de rire des noceurs inondent la nuit veloutée. La fête est belle et bien rustique, mais l’atmosphère est électrisante, et de toute façon, Letha n’a rien de mieux à faire.

Elle entraine Demelza là où des tables ont été disposées, abritées sous de hautes tentes en toile.

— C’est très… européen, commente Demelza en s’installant, son regard se promenant distraitement sur les couples en train de valser.

Letha, elle, observe les environs avec intérêt. Il n’est pas difficile de voir qu’elle cherche quelque chose — ou quelqu’un —, et qu’elle le cherche en vain. Avec un soupir, elle fouille dans la poche de sa robe pour en extirper un paquet de cigarettes moldues. Demelza lui jette un regard de biais, mais ne dit rien, se contentant d’observer ses longs doigts agiles allumer le petit bâton orange à l’aide d’un briquet.

— Je les ai trouvées dans la chambre de mon grand-oncle quand je suis arrivée, explique Letha. Berenice serait furieuse si elle savait que son frère possède des trucs moldus de ce genre.
— Je ne sais pas pourquoi je suis étonnée que tu sois allée fouiner dans la chambre des propriétaires…
— Tu veux tester ? C’est un peu fort au début.
— Sans façon.

Demelza doit deviner le mot qui s’apprête à sortir de la bouche de Letha, car elle se tourne vers elle pour l’assassiner du regard, et cette dernière se contente de se renfoncer dans son siège, un sourire moqueur sur les lèvres.

Un sifflement aigu perce la musique de l’orchestre, attirant l’attention générale. De l’autre côté de la place, près du mur qui borde la falaise, deux silhouettes perchées sur des engins à deux roues se découpent dans la pénombre, leurs visages éclairés par les lampadaires. Le premier, un jeune homme aux cheveux noir corbeau qui lui arrivent jusqu’aux épaules, a le regard rivé dans leur direction. Le visage de Demelza trahit sa surprise lorsque Letha lève le bras pour lui rendre son salut.

— Des amis à toi ?
— J’ai rencontré Antonio hier. Il m’a dit qu’il serait là ce soir.
— Comment tu as fait, avec Berenice ? J’espère pour elle que tu ne la drogues pas tous les soirs.
— Avec sa vieille carcasse, c’est facile de la semer dans la foule.

Letha se penche vers Demelza, le regard pétillant. Elle voit dans celui de sa cousine toutes les questions qu’elle ne prononce pas.

— Je n’ai pas l’intention de coucher avec lui. Mais c’est très drôle de leur faire croire le contraire. Quand il va comprendre qu’il ne se passera jamais rien, elles vont devenir complètement bleues, si tu vois de quoi je parle.
— Tu es obligée d’être toujours aussi vulgaire ?
— Et toi d'être aussi coincée ? Et puis, c'est faux. Je sais aussi être une femme distinguée.

Pour ponctuer ironiquement ses paroles, Letha aspire une grande bouffée de la cigarette. La fumée lui brûle la trachée — elle n’est pas encore habituée à la sensation, mais pour la forme, elle se retient de tousser. À l’opposé, Antonio lui fait de grands signes de la main, ses lèvres prononçant des invitations silencieuses. Andiamo, tesoro. Quelque part en elle, une petite voix lui souffle que le jeu qu’elle entretient avec lui n’est que de la cruauté, et qu’elle devrait y mettre fin avant qu’il ne soit trop tard. Mais l’ennui est une maîtresse cruelle. Et Letha n’est pas prête à la laisser filer.

— Demelza, tu vois l’ami d’Antonio, là-bas ?
— Je le vois, répond lentement la jeune Rowle, prudente.
— Je veux que tu le rendes complètement dingue de toi d’ici minuit.

Avec un rictus dédaigneux, Demelza repousse ses cheveux blonds dans son dos.

— Je ne rentrerai pas dans tes jeux stupides, Letha. C’est très mal me connaître.
— Oh, Tièdelza, chantonne Letha, et à cet instant, quiconque l’aurait vu aurait pu la prendre pour le diable incarné. Est-ce bien toi ?

Elle la voit serrer les poings sur ses genoux, furieuse.
Sur le point de rentrer dans un piège pourtant si grossièrement ficelé.

Traductions:
Demelza Rowle
Demelza Rowle
Buveuse de thé

Onglet 1
Âge : vint-deux ans
Occupation : assistante de la ministre de la magie
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Habitation : manoir rowle, tudor's acre, londres
Messages : 5
Date d'inscription : 26/03/2024
Onglet 2

   

les filles désirs
ft. letha bulstrode
VILLA PERVINCA, POSITANO, ITALIE

TW consommation d'alcool, tabagisme

Demelza a toujours aimé l’Italie. C’est un pays de lenteur et de plaisirs simples, de paysages qui rappellent à l’âme un paradis dont la porte aurait été perdue. Elle aime ses villes, ses monuments et ses odeurs, ses côtes sauvages où se mêlent vestiges de pierres érodées et citronniers en fleurs. Son air sec qui vous glisse sur la peau et étouffe tout ce qu’il touche, avec une tendresse un peu traître. La villa Pervinca et le bourg de Positano qu’elle surplombe ont pour la jeune femme des accents d’une douce liberté, comme un cadre hors du temps entre lequel tout s’arrête pour tourner au ralenti - quelque chose d’abstrait. Atemporel. Demelza a toujours aimé l’Italie. Son histoire, ses trésors, sa langue qui roule contre la sienne avec délicatesse. Le chant des oiseaux le matin et le bruit des vagues lors des dîners sur la terrasse ombragée. Le calme qu’entraine immanquablement la chaleur, lorsqu’elle s’abat sur la côte amalfitaine.

Là, alors que la terre semble avoir interrompu sa course et s’être endormie, une seule tempête continue de sévir encore.
Letha Bulstrode.
Cette chère cousine Letha, le diable personnifié - un vrai démon des pieds jusqu’au bout de ses ongles habillés de brun. Elle a les mots tranchants et le sourire fourbe, l’art et la manière de se jouer de tout, et de se ficher du reste. Une vraie peste.
Pourtant, lorsque Demelza a reçu l’invitation à venir séjourner dans la demeure italienne des Fawley, elle n’a pas hésité longtemps. Letha ou pas - Letha surtout. Car si elle maudit sa cousine autant qu’elle l’apprécie, elle ne peut nier que sa présence est toujours rafraîchissante. Pénible, peut-être. Mais elle a au moins le mérite de l’amuser. Comme une distraction bienvenue sur la toile de son quotidien où tout est calculé et réfléchi, à un millimètre si précis qu’il ne laisse que trop peu de place aux plaisirs spontanés. Alors elle n’a pas tergiversé plus que nécessaire, Demelza, avant de quitter le blizzard de l’Angleterre pour le soleil d’Italie, un avant goût d’été sur un printemps qui fleurissait à peine.
Peut-être avait-elle eu la mauvaise idée d’oublier que bien trop souvent, l’idée que se faisait Letha d’une bonne distraction était à ses dépens.

Elle en trouve le rappel ici, un flot de souvenirs de piques entre leurs langues de vipères. Sous couvert du lien familial, presque affectueux. Depuis que Demelza avait délaissé ses airs de poupée fragile, qu’elle avait cessé de se dissimuler sous des couches de mensonges pour en revêtir de nouvelles, plus flatteuses, le regard de Letha avait changé. Et leur relation à peine cordiale, qui mêlait mesquinerie et indifférence comme seuls les liens hypocrites des familles semblables aux leurs savaient le faire, s’était peu à peu transformée. Ce qui n’excluait cependant jamais la malice que Letha maniait si bien ; presque comme si elle s’en faisait maîtresse pour alimenter sa propre vie.
Ça l'agace, Demelza.
Évidemment que ça l’agace, parce qu’elle a l’égo fragile et qu’elle ne se considère pas comme un simple détail au-milieu de l’existence des autres, parce qu’elle-même voit d’un œil ennuyé les excès puérils de Letha. Elle déteste lorsqu’elle tente de la faire sortir de sa zone de confort, de la pousser dans ses retranchements. Mais ce qu’elle déteste par-dessus tout, c’est lorsque ça fonctionne.

Irritée, Demelza lance un regard de travers à la mine narquoise affichée par sa cousine. Celle-ci ne la regarde déjà plus, les yeux rivés sur Antonio et son ami qui les attendent plus loin, à l’autre bout de la place. Il serait simple de se fondre dans la foule et de disparaître, de tourner les talons, leurs bruits sur les pavés étouffés par celui de l’orchestre, puis de rentrer à la villa en laissant Letha partir seule avec les deux italiens. C’est exactement ce qu’elle ferait - Demelza le sait. Elle se contenterait de hausser les épaules, l’air de rien, puis valserait avec indifférence à travers la mare humaine jusqu’à eux et leurs vespas rutilantes. Elle s’amuserait sans doute jusqu’au matin, ou jusqu’à ce qu’elle ne se lasse. Et Demelza serait endormie sous les draps fins de sa chambre plongée dans l’obscurité. À l'abri. Sage comme une image.
Raisonnable petite Tièdelza, dont le nom résonnerait jusqu’à la fin du voyage.

— Tu vas me le payer, siffle-t-elle alors entre ses dents, avant de terminer d’une traite les dernières gouttes de son vin.

Elle repose le verre vide sur la table, prend une grande inspiration puis se relève. Le dos bien droit, le regard perçant posé sur les deux hommes qui les attendent toujours - et elle ignore le rictus satisfait de Letha, qui se relève à son tour après avoir écrasé sa cigarette pour s’en débarrasser.

— Ne fais pas cette tête. Je suis certaine que tu vas bien t’amuser, raille-t-elle en s’enfonçant dans la foule.
— Probablement autant qu’une mandragore morte.

Elle lui emboîte le pas pour traverser la place, au-milieu des couples qui dansent et des enfants qui se dandinent en riant aux éclats. Près de la fontaine, une poignée de vieilles dames se sont installées sur des chaises en fer forgé et tentent de recouvrir le bruit de la musique avec leurs commérages, dont elle saisit quelques bribes - un laïus sur cet imbecille de Fernando et cette degenerare de Giuseppa. Plus loin, les hommes qui semblent être leurs maris se perdent au fond de leurs verres et certains se lèvent pour suivre le rythme des guitares, accompagnant la voix claire du chanteur qui a entamé une ballade entraînante. Le tableau dégouline de simplicité, d’un naturel auquel Demelza n’est pas habituée. Elle n’est pas totalement à sa place, ici ; elle détonne peut-être même un peu, avec sa robe hors de prix et ses airs guindés.

Les deux jeunes femmes atteignent rapidement Antonio et son ami, un moldu un peu plus âgé qu’elles, cheveux noirs et yeux tout aussi sombres, la naissance d’une barbe de quelques jours déjà sur ses traits fins.

— Fabrizio, principessa, se présente-t-il à la plus jeune.

Il lui adresse un sourire tout en lui faisant signe de monter sur l’engin, derrière lui, un geste désinvolte de la tête qui fait valser ses mèches un peu trop longues. Demelza hésite. Si elle n’est pas du genre à se dérober, elle pas non plus vraiment certaine d’avoir fait le bon choix, en cédant aux piques de l’héritière Bulstrode. Mais Letha a déjà relevé sa robe pour se glisser sur la vespa rouge de l’autre homme, les bras accrochés autour de sa taille de la manière la plus inconvenante qu’il soit. Evidemment.

— Monte ! La presse sa cousine lorsqu’elle remarque sa réticence.

Elle doit retenir un soupir, couvert de justesse par les lèvres qu’elle pince. Elle n’a aucune confiance ni en l’engin à deux roues, ni en son conducteur - et encore moins en l’autre sorcière en train de murmurer des paroles visiblement hilarantes à l’oreille d’Antonio.

Soit, Demelza abdique. Son altesse consent à céder, désireuse de fuir les regards de plus en plus curieux, tout sauf discrets, de certains villageois qui observent la scène comme une nouvelle pièce pour le théâtre de leurs ragots préférés. Surement Antonio et son ami doivent-ils être connus à Positano - et Merlin sait que les rumeurs s’embrasent vite.

Elle fait alors taire la petite voix qui lui murmure toujours que c’est une mauvaise idée, puis attrape un pan de sa robe pour monter sur la deuxième vespa avec précaution, chaque geste évalué au préalable pour que son apparence reste lisse, parfaitement contrôlée. C’est une chose de s’aventurer sur un scooter moldu, c’en est une autre de paraître ridicule. Demelza sait à quel endroit elle tire sa limite.

Les italiens font rugir les moteurs de leurs deux roues une fois que les demoiselles sont correctement installées, l’une plus à l’aise que l’autre. Contrairement à sa cousine, Demelza ne peut pas se laisser aller contre le dos de Fabrizio. Elle n’en a pas envie. Non pas qu’elle se sente particulièrement obligée de se montrer irréprochable vis-à-vis d’un fiancé qu’elle connaît à peine et qui est à l’autre bout de l’Europe ce soir, mais elle n’a pas pour habitude de fréquenter la gente masculine d’aussi près. Pas comme ça.
Elle dépose alors à contre-coeur ses mains sur le rebord, à l’arrière du siège sur lequel elle s’est assise. Et sans plus attendre, l’engin démarre avec un nouveau bruit de machine flambant neuve - attirant une nouvelle fois les regards sur le quator qu’ils forment.

Ils disparaissent à toute allure, laissent derrière eux la place animée du village et l’éclairage factice des lampadaires. La vitesse prend Demelza au dépourvu, et elle doit se cramponner plus fort pour garder son équilibre.
Ils longent ainsi la route qui borde la crête et s’enfoncent dans les hauteurs. Le paysage est flou à travers le regard de la jeune femme, les lumières forment des sphères incandescentes et la lune se reflètent sur la mer endormie. Si elle ne craignait pas de tomber, elle pourrait presque profiter du spectacle offert - une vision quasi kaléidoscopique de Positano.

Le trajet ne dure heureusement qu’une poignée de minutes. Les vespas ralentissent aux abords d’un petit coin isolé, seulement éclairé par le ciel et un vieux réverbère à l’éclat vacillant. Lorsque les moteurs s’éteignent, Antonio tend sa main à Letha pour l’aider à descendre, et Demelza s’empresse alors de se débrouiller, laissant Fabrizio dissimuler leurs moyens de locomotion près d’un buisson, aux bords du chemin.

— Jolie vue, vrai ?

La question, purement rhétorique, est prononcée dans un anglais approximatif. Les syllabes sont belles lorsqu’elles roulent sans se soucier des règles phonétiques, elles montent au lieu de descendre, se font presque charmantes. L’italien est une jolie langue. Demelza doit au moins leur accorder ça.
Pour faire preuve de bonne foi, elle laisse son regard se perdre sur l’horizon. Elle ne se déride pas, mais elle acquiesce : la vue est bien entendu magnifique.
Ils sont ici à l’autre bout de la côte où se trouve la villa Pervinca. Sur la partie plus sauvage et moins habitée. A quelques mètres sous leurs pieds, le versant de la falaise s’arrête brusquement et s’enroule autour d’une petite crique. La douce brise s’infiltre dans les parterres incohérents de plantes à foison, comme si la nature avait repris ses droits pour s’étendre et vivre sans la pression des hommes.

— Sensationnel, approuve Letha en faisant quelques pas pour observer les lieux.
— Venez !

Ils leur font signe de les suivre, en direction d’un chemin plus étroit bordé par ce qui ressemble à un ancien mur en pierres blanches, aujourd’hui à moitié détruit. Le vide n’est qu’à quelques mètres de leurs quatre silhouettes qui s’avancent dans la nuit, et Demelza maudit plus que jamais la brillante idée de sa cousine. Une main fermement posée sur les vestiges à sa droite, pour s’y raccrocher au cas où.

— Je t'ai dit de sourire, lui souffle Letha juste derrière elle.

La mâchoire de Demelza se crispe imperceptiblement, fissurant son masque de neutralité et d'ennui.

— Pourquoi faire ? Réplique-t-elle tout bas. Je ne suis pas une mijaurée ridicule que l’on impressionne aussi facilement.
— Là n’est pas la question. Et tu le sais.
— Non, je ne sais pas.
— Demelza, soupire l’autre femme, exagérant l’agacement feint qu’elle lui réserve lorsqu’elle marche à son niveau et attrape son bras libre. Je te vois tous les mois te pavaner au-milieu de réceptions ennuyantes à mourir comme si tu passais le meilleur moment de ta vie. Tes talents d’actrice ne sont plus à prouver, alors utilise-les.

Sans lui laisser le temps de répliquer, elle relâche son bras pour lui passer devant, trouvant celui d’Antonio sans aucune pudeur. La scène la ferait presque lever les yeux au ciel.
Une mélodie s’élève au loin, suivie d’une légère rumeur mêlant voix indistinctes et rires étouffés par la distance et la végétation tout autour. Demelza entend Antonio s’agiter et Fabrizio se retourne pour lui adresser un clin d'œil.
Il ne leur faut plus que quelques pas avant qu’elles n’en découvrent l’origine. Ainsi, derrière un mur éboulé qui clôture le chemin sinueux emprunté, une petite place éclairée par un feu de camp se dessine entre les falaises et les ruines. Au sommet de la côte, dans un lieu sauvage et secret : une dizaine de jeunes gens de plus ou moins leurs âges sont déjà là et profitent de la nuit avec insouciance.

— Verre ? Propose Fabrizio tandis que l’autre italien salue un ami.
— Plusieurs, soupire Demelza, ignorant la malice qui danse au fond des iris de sa cousine.

Cette chère cousine Letha,
le diable personnifié.
Letha Bulstrode
Letha Bulstrode
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LES FILLES DÉSIRS
ft. demelza rowle


TW suicide, paranormal, alcool

Le feu de camp projette des ombres fantomatiques sur le visage des jeunes italiens assis autour des bûches. Une jeune femme à la longue chevelure noire nouée en deux tresses épaisses est perchée debout sur une pierre, une bouteille à moitié entamée à la main, qu’elle lève avec enthousiasme en voyant arriver Fabrizio et Antonio sur le petit sentier. Mais son sourire s’affaisse lorsqu’elle aperçoit Letha et Demelza, cheminant juste derrière eux. Ses yeux se plissent en deux fentes vipérines tandis qu’elle les observe rejoindre le groupe.

Chi diavolo sono questi ragazze?
Stai zitto, Gia.

Letha n’a pas besoin de traduction pour sentir l’hostilité palpable qui se dégage de l’italienne. Elle lui décoche un large sourire mièvre qui exsude toute l’hypocrisie dont elle sait faire preuve. Il n’y a rien de vrai dans son expression extatique, et la dénommée Gia l’a bien compris.

Gente, questa è Demelza e Letha! s’écrie Fabrizio en ouvrant grand les bras, ravi. Elles sont anglaises.
Inglesi? Ci mancava solo questa.
Cazzo, Gia!

Gia fait claquer sa langue, mais se rassoit sur le rocher sans rien ajouter, ses pupilles aussi noires que le ciel d’encre dardées sur Letha. Cette dernière lance un regard amusé à Demelza, qui se contente de lever les yeux au ciel, bien peu intéressée par les mesquineries de sa cousine. Le problème de Demelza, c’est qu’elle n’a jamais su s’amuser. Elle n’est jamais parvenue à comprendre que l’ordre, la raison, la retenue sont des concepts creux, une illusion artificielle pour donner un sens à une existence qui en est dépourvue. C’est le chaos qui est intrinsèque à l’humanité, lui qui forme les racines profondes de toute forme de vie. Tout ce qu’il y a de plus primaire, de plus sauvage, de plus pur. La beauté du désordre.

L’art de mettre un coup de pied dans la fourmilière. Parce qu’après tout, pourquoi pas ? Et puis, qui l’en empêchera ?

Letha resserre son manteau en fourrure sur ses épaules, lorgnant la fine silhouette de Gia sans se départir de son sourire torve. Elle la voit se tendre, ses épaules rigides et son regard empli de défi.

— Je peux ? s’enquit Letha, sa voix enrobée de miel, désignant du doigt les bouteilles de bière amassées près du feu de camp.
— Je doute que ça soit au goût de ces dames, réplique Gia avec un accent à couper au couteau.
— Ça fera l’affaire, merci de t’en inquiéter.

En quelques pas, Letha a attrapé deux bouteilles, qu’elle décapsule avec agilité avant d’en lancer une à Demelza qui, prise par surprise, en renverse la moitié et manque de la laisser tomber dans l’herbe. Le regard assassin de sa cousine est sans équivoque. On dirait que tu as fait ça toute ta vie.

Letha se contente de sourire. Après tout, elle aurait menti en prétendant le contraire.

Comme tout un chacun, il y a des choses qu’elle se garde bien de clamer sur tous les toits. Des choses qui hérisseraient les cheveux de Vesta Bulstrode sur sa tête si elle venait à les découvrir. Comment son adolescente de fille, pendant les soirées mornes à Poudlard, s’échappait du château avec une poignée de ses camarades pour profiter de la fraîcheur de la nuit, de la lumière éthérée de la lune au-dessus de sa tête et de la douceur âcre de l’alcool sur sa langue.

En Italie, la lune est plus brillante, l’air plus chaud, mais l’alcool, bien qu’un peu plus fort que ce à quoi elle est accoutumée, a le même goût : celui de la liberté. Elle peut sentir le regard brûlant d’Antonio qui la dévisage, quelque part à sa droite. Joueuse, elle fait lascivement glisser le goulot sur sa lèvre inférieure, électrisée par sa propre audace.

— Et ton amie, elle boit pas ? s’enquit une autre jeune femme du groupe, une petite brune coiffée au carré.

Elle dévisage Demelza d’un air soupçonneux, presque hostile. Pour des gamins de Positano, qui n’ont sans doute jamais mis les pieds en dehors de leur village, les manières aristocratiques de la jeune Rowle doivent leur sembler bien condescendantes.

— Tièdelza, l’admoneste Letha. Une goutte de bière ne va pas te tuer.

Les poings serrés contre ses flancs, Demelza semble à deux doigts de céder à la folie et de jeter sa cousine par-dessus le muret en pierre qui borde le précipice. S’en suit une longue communication silencieuse, joyeux mélange de haussement de sourcils et de regards entendus qui laisse le reste du groupe pantois.

Avec un soupir vaincu et tremblant de frustration, Demelza porte à son tour la bouteille à ses lèvres pour en boire une infime gorgée. Le groupe d’italiens semble se détendre un peu, allant même jusqu’à siffler pour la féliciter.

Andiamo, venez vous asseoir ! lance joyeusement un jeune homme aux cheveux blonds foncés. Il y a de la place.

Letha et Demelza se rejoignent pour s’installer sur une bûche de bois, entre Fabrizio et Antonio. Demelza enfonce ses ongles dans le dos de sa main, mais Letha ne bronche pas. Elle se contente de sourire avec un attendrissement exagéré à sa cousine, ses dents brillant d’un pâle éclat sous la lueur de l’astre lunaire.

— Démon, lui siffle Demelza à l’oreille. Je déteste la bière.
— Je sais.
— Tu vas le regretter. Tu le sais, ça aussi ?
— Je n’attends que ça, Dem.

Autour des bûches brûlantes, les bouteilles vides s’amassent et les conversations s’enhardissent, les langues se délient et les esprits s’échauffent. Le jeune homme blond – Carmelo – entraîne la fille à la coupe carré – Donna – dans une danse effrénée autour des braises, beuglant une chanson italienne que Letha n’a jamais entendu de sa vie. Mais elle rit et applaudit, et parvient même à embarquer Demelza dans une valse au tempo approximatif, sous les exclamations joviales des italiens et le sourire vindicatif de Demelza – qui aura au moins réussi, à défaut d’autre chose, à lui broyer le pied.

Letha a la tête qui tourne. Le bruit des voix se mélangent aux chants des criquets, et à la douce brise qui fait trembler les branches des forêts de pins autour d’eux. Elle ferme les yeux, le visage levé vers le ciel, savourant l'euphorie d'un moment d'abandon. Elle payerait cher, très cher pour voir la tête de la vieille Berenice si elle savait ce qui était en train de se produire sous son chaperonnage.

— Viens, tesoro. Allons trouver un endroit plus calme.

Le souffle chaud d'Antonio effleure son épaule nue, vient se perdre dans le creux de son oreille. Letha ouvre un œil, l'observant un instant de son regard félin. À sa droite, Demelza est aux prises avec un Fabrizio légèrement alcoolisé, ses mains s'agitant dans tous les sens tandis qu'il s'engage dans un discours passionné et confus sur les bienfaits du jus de carotte. C'est du moins ce que Letha parvient à saisir à travers quelques bribes, mélange confus d'anglais et d'italien. À l’opposé, Gia la fixe sans ciller, ses yeux froids glissant de temps à autre sur la main d'Antonio posée sur sa cuisse.

Letha met un point d'honneur à se pencher à son tour sur Antonio, lentement, jusqu'à ce que ses lèvres frôlent son oreille.

— Bientôt. Je ne peux pas laisser ma cousine toute seule.
Dai, Letha, murmure-t-il en laissant échapper un grognement équivoque. J'ai attendu ça toute la soirée.

Elle, de son côté, n’en attendait pas moins de lui.

Letha s’apprête à lui rétorquer de faire preuve d’encore un peu de patience lorsqu’un cri perçant déchire la nuit et lui fait redresser la tête. Les conversations s’éteignent aussitôt, comme soufflées par une violente brise, et les danseurs se figent comme des statues de pierre. Pendant de longues secondes, le temps reste suspendu au-dessus de leurs têtes.

— C’était le vent, hein ? s’enquit finalement Donna, agrippée au bras de Carmelo, en jetant des regards éperdus dans les ténèbres épaisses qui les enveloppent.
— Évidemment, réplique sèchement Gia, mais le trémolo de sa voix la trahit. Cosa credi, stupida.
— Ou alors…

Fabrizio s’est levé en chancelant, balayant ses amis d’un regard de conspirateur. Ses syllabes traînantes donnent une indication limpide sur son taux d’alcoolémie.

— Ou alors, c’est Fiamma.

Sur la cime d’un arbre quelque part au-dessus d’eux, une chouette pousse un hululement strident qui arrache un glapissement de surprise à Donna. Embarrassée, l’italienne se met à marteler rageusement l’épaule du pauvre Carmelo comme si celui-ci était d’une manière ou d’une autre responsable de cette coïncidence.

— Arrête tes conneries, Fabrizio, grommelle le jeune homme en se frottant le bras.
— Qui est Fiamma ? s’enquit Demelza en fronçant les sourcils.
— Une femme qui vivait ici, il y a longtemps. C’était la maîtresse d’un peintre du coin. C’était sa muse, et elle était belle, très belle, vous voyez, un peu comme une apparition divine. Ils se rejoignaient chaque nuit dans les ruines de la chapelle là-bas, un peu plus loin dans la forêt. Puis un jour, il a cessé de venir.

Un silence profond s’épaissit autour du petit groupe, alourdi par le chant sinistre des criquets et les craquement sec des bûches enflammées. Ravi de son effet, Fabrizio ouvre la bouche pour reprendre le fil de son histoire, mais Antonio le devance :

— Pendant des mois, chaque soir, elle est revenue aux ruines en espérant qu’il finirait par se montrer. Mais il n’est jamais revenu. Il avait quitté l’Italie avec sa femme. Alors Fiamma s’est approchée de la gorge et elle s’est jetée dans le vide.

Letha suit le regard d’Antonio, un peu plus loin à l’est, vers le précipice. Elle sent un frisson délicieux la parcourir des pieds à la tête. L’écrivaine en elle s’est réveillée, alléchée par le noir romantisme du récit. A la lueur du feu, ses pupilles scintillent d’un éclat envoûté.

— Oui, enfin, bref, maugrée Fabrizio de mauvaise grâce. Son fantôme hante les ruines et fait disparaître tout ceux qui les approchent d’un peu trop près. Fin de l’histoire.
— Sauf que c’est n’importe quoi, tranche Gia. Il n’y a que toi pour croire des conneries pareilles.
— Alors explique-moi pourquoi personne n’est jamais revenu ?
— Je ne sais pas, peut-être parce qu’il y a un précipice et que les gens sont extrêmement stupides.
— Pourquoi on n’irait pas vérifier ?

Les regards convergent d’un seul mouvement vers Letha, qui, le menton au creux de la paume, arbore un sourire torve. Demelza lève les yeux au ciel.

— Mauvaise idée.
— Je suis d’accord avec la blonde. Quand Rizio disait que personne n’est jamais revenu des ruines, il ne plaisantait pas.
— Vous avez raison… et puis, je comprends que vous ayez peur. Certaines personnes sont plus fragiles que d’autres.

Gia serre les mâchoires, ravalant toute la haine que la voix suave, exagérément onctueuse de Letha lui inspire. Sous sa cuirasse de prétendue insensibilité, l’italienne est comme les autres. Dotée d’un égo surdimensionné qui la rend malléable à souhait. À chaque nouvelle rencontre, Letha met un point d’honneur à repérer en l’autre la corde sensible qu’il lui faudra tirer pour prendre l’ascendant. Celle de Gia, d’une grossière banalité, lui est apparue de façon flagrante : la crainte de faire preuve de faiblesse. Il n’a suffit que d’une simple pression sur ce piètre talon d’Achille pour l’amener exactement là où Letha le désirait. D’une simplicité enfantine – instillant un goût insipide à la victoire – mais prévisible.
L’expérience lui a appris que celles qui montrent les crocs sont toujours les cibles les plus ennuyeuses.

— Très bien, allons-y, dit Gia entre ses dents serrées, bondissant sur ses jambes avant de s’éloigner en direction de la forêt.

Letha retient à grande peine un soupir mélancolique.
Il n’y a décidément aucun plaisir à manipuler les simples d’esprit.

Donna, l’air peu impressionnée, fait claquer une bulle de son chewing-gum.

— Sans moi.
— Amusez-vous bien, ravi de vous avoir connu, renchérit Carmelo.

Antonio et Fabrizio se sont déjà empressé d’emboiter le pas à Gia, échangeant des regards de défi qui indiquent clairement qu’un combat de coq vient de se lancer. Alors sans prononcer le moindre mot, Letha se tourne vers Demelza, sa main tendue paume ouverte dans sa direction, son rictus de démon solidement agrafé aux coins des lèvres. Peut-être que l’alcool a commencé à agir dans la partie de son cerveau reliée à une autre partie spécifique de son anatomie, car Demelza n’a plus autant l’air de l’aristocrate coincée qu’elle était encore une heure plus tôt. Les bras croisés sur sa poitrine, elle ne montre aucun signe d’agacement, mais une profonde et indifférente placidité à la limite de l’apathie. Lorsque Letha l’interroge du regard, sa cousine se contente de hausser les épaules.

— J’ai éteint mon cerveau. Je tiens à ma santé mentale, et il est hors de question que j’ai des rides à cause de toi.
— Meilleure décision de ta vie.

Letha entrelace ses doigts à ceux de Demelza, l’entraînant dans une course folle en direction de la forêt, où les silhouettes sombres des italiens sont déjà en train de disparaître entre les arbres. Les troncs gris luisent à la lueur de la lune, guidant leurs pas à travers le dédale de racines et de pierres recouvertes par la mousse et les hautes herbes. Enfin, les bois cèdent leur place à une étroite clairière à ciel ouvert. Derrière les ruines d’une construction qui devait autrefois être une chapelle, le terrain en pente se termine abruptement pour laisser place au gouffre béant de la mer charbonneuse, bien plus loin en dessous.

Les garçons se tiennent à la lisière de la clairière, tendus et silencieux, jetant des coups d’oeil inquiets devant eux. Letha a juste le temps d’apercevoir Gia franchir les deux piliers effondrés du bâtiment avant qu’un hurlement ne déchire la nuit.

Lorsqu’ils atteignent l’entrée, à bout de souffle, Gia se tient là, dos à eux, au beau milieu du transept. Son corps tremble comme une feuille.

Une femme est assise sur les marches en pierre menant au choeur. Sa silhouette est baignée d’une lumière blafarde, soulignant la blancheur aveuglante de la longue robe qui traîne jusqu’à ses pieds. Ses cheveux ivoire, tressés à l’aide de fines fleurs de lys, glissent en cascade jusqu’à ses genoux.

Pendant un instant, Letha se contente de la contempler. Fascinée.

Les fantômes ont toujours fait partie du paysage de son existence. À Poudlard. Dans les couloirs du manoir Bulstrode. L’âme des sorciers trépassés, vestige immatériel d’une humanité fanée. Mais ce fantôme-ci, en l’occurence, n’a jamais été humain. Elle comprend mieux pourquoi Fabrizio prétendait que personne ne revenait jamais des ruines.

Le fantôme de la Vélane n’a toujours pas relevé la tête. Lorsqu’elle retient sa respiration, Letha peut l’entendre fredonner en jouant avec les fleurs dans ses cheveux ; le son est doux, ténu. Déroutant. Un long frisson lui parcourt l’échine, mais au lieu de reculer, Letha fait un pas en avant. Son escarpin glisse sur le verre brisé d’une fenêtre, émettant un horrible crissement contre la pierre.

La Vélane s’interrompt brutalement. L’espace d’une insoutenable seconde, elle se tient parfaitement immobile, muée en statue de pierre. Puis ils finissent par croiser ses yeux.

Les yeux de la folie.

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